Une théorie AI du récit est une théorie procédurale concernant la production et le traitement de texte. En d'autres termes le paradigme AI exige qu'on fasse des modèles complexes et non-réductionistes qui simuleront le savoir et le savoir-faire dont une personne a besoin pour créer et traiter un récit. Toutefois je me concentrerai surtout sur l'aspect de la compréhension de de l'information textuelle qui est particulière au récit. Ce paradigme de recherche se distingue radicalement des aproches discutées auparavant, parce qu'il met l'accent sur l'analyse des processus de traitement de récit. Le modèle idéal de l'AI dite forte - qui simulerait tous les processus complexes de raisonnement effectués lors de la production ou du traitement d'un texte - est encore loin d'être réalisé. En l'état actuel des recherches on dispose de modèles déjà très complexes, mais qui ne peuvent traiter que des récits très simples. Par contre il existe aussi des modèles plus partiels de compréhension du récit que l'on peut appliquer à des récits très complexes et que nous discuterons dans ce chapitre. Nous ferons une distinction entre deux types de modèles partiels. Le premier genre comprend les modèles s'intéressant aux aspects typiques du traitement du récit comme la compréhension des activités de résolution de problème, la représentation du contenu du récit dans une structure sémantique, ou encore le problème de faire un résumé de l'intrigue. L'autre type englobe des modèles incomplèts qui ne permettent pas encore la programmation. Les recherches sur l'analyse du récit inspirées par les travaux de l'intelligence artificielle offrent pour la plupart des modèles partiels dans les deux sens. Toutefois, malgré cet état de recherche, l'AI (et des chercheurs venant d'autres disciplines inspirés de l'AI) a déjà produit des résultats très intéressants et on commence à sentir leur influence dans d'autres approches. Dans ce chapitre je présenterai tout d'abord la notion de résolution de problème (Angl: "problem-solving") telle qu'elle est utilisée dans l'analyse du récit, puis j'exposerai des techniques simples de représentation, ensuite je me pencherai sur deux exemples de recherche qui ont développé des techniques de représentation du résultat d'un processus de traitement de texte. Enfin dans le prochain chapitre nous discuterons brièvement le genre de modélisation complexe qui se fera probablement dans l'avenir.
La discussion des théories sur les schémas générateurs et la discussion plus "ouverte" sur le phénomène du récit dans le chapitre 2 ont montré qu'un récepteur ne travaille pas uniquement à l'aide de schémas abstraits, de stéréotypes sur la structure des récits, mais qu'il qu'il utilise lors d'un traitement d'un texte le savoir large sur le monde à sa disposition. D'abord ce savoir est utilisé dans des procédures de référence et de coréférence, afin d'établier les liens entre le texte et le monde narratif. Mais au-delà, le savoir crée par un récepteur B lors de la compréhension d'un texte, dépasse la simple transmission du contenu du texte d'un producteur A vers un récepteur B. Dit d'une manière simple, un processus de compréhension nécessite un peu de réflexion et d'effort d'interprétation. Ainsi une phrase n'est pas traduite dans des concepts purement interprétatifs, mais aussi dans des concepts constructifs. Lorsqu'une phrase est racontée, elle est mise en relation avec le savoir qui a été activé dans la mémoire par les phrases précédentes. Autrement dit: le savoir déjà activé et formé, crée le contexte dans le quel les phrases suivantes doivent être traitées. Chaque nouvelle phrase peut alors activer d'une manière directe ou indirecte du savoir dans la mémoire. Le récit n'est donc primairement pas un texte durant l'interprétation, mais une structure de signification narrative progressive. "Progressif" suggère que la représentation d'un récit contient un ordre temporel et causal, et que les processus de compréhension construisent (et révisent) pas à pas la représentation du récit.
La métaphore de la machine à traiter de l'information décrit bien l'essence du modèle du producteur et du récepteur de texte. Comme (dans le cadre de ce chapitre et surtout dans celui des approches relativements simples qu'on va présenter), on n'est concerné que par les aspects cognitifs qui ont plus particulièrement trait aux traitements de texte concernant plus spécifiqument le récit, il faut déterminer au niveau d'un modèle de traitement de récit ce qui est spécifique au récit. En effet le text narratif, comme cela a déjà été relevé par d'autres approches, possède des qualités très distinctives. Il contient par exemple des descriptions d'événements qui sont arrangés dans une structure causale et temporelle. Sur un plan plus pratique cela signifie qu'il faudra faire des choix sur ce qu'on veut analyser, mais qu'il ne faudra pas négliger le fait que le savoir-faire sur la production et le traitement du récit dépendent fortement d'autres types de savoir. Il faut éviter si possible qu'une théorie et méthodologie partielle ne se "ferme" trop. Remplir ce postulat n'est possible que dans une certaine mesure. Un isolement d'un objet transforme toujours sa signification qu'on le veuille ou non. Certains chercheurs du nouveau domaine de la philosophie de psychologie comme Fodor (83) prétendent même qu'on ne peut pas isoler des mécanismes cognitifs très spécialisés comme par exemple un processus singulier qui serait "responsable" pour la création des résumés de récits. Pour ce philosophe l'esprit est un tout. D'autres chercheurs prétendent à peu près le contraire. Ma position est plus pragmatique. Comme je m'intéresse aux modèles à signification sociologique, et que cette question ne sera pas tranchée dans les années qui viennent, ce problème est pour d'une importance mineure. La seule chose à éviter est, à mon avis, d'établir des modèles qui violent de manière radicale les postulats généraux qui ont été établis sur le traitement de texte.
La résolution de problème est un concept important qu'on discutera dans la section suivante. Cette notion de "problem-solving" n'a été utilisée que très récemmment pour modéliser le traitement du récit. Aujourd'hui elle connait une très large utilisation en AI et ailleurs. En essence il s'agit de la théorie sur le savoir-faire du domaine des buts, plans, moyens et instruments, et de leur application dans les processus du raisonnement. Ce domaine de savoir, puisqu'il touche presque toute activité intellectuelle, est très crucial pour la compréhension du récit. En effet un personnage de l'univers narratif possède un comportement téléologique (même s'il s'agit des buts et plans parfois vagues comme la survie ou la gloire): il raisonne. Un récepteur de récit doit donc être capable de comprendre ce comportement intellectuel téléologique et raisonneur pour pouvoir saisir le récit. Il en a également besoin pour pouvoir apprécier l'intrigue avec son entremêlement de buts, plans, actes. Il est clair qu'il est très difficile de simuler des tels processus. Mais pour nous, en travaillant avec des théories modèles réductionistes ou partiels relativement simples, il ne s'agit que d'effectuer le premier pas dans la direction d'une modélisation AI de la production et la la réception de textes narratives en politique. Dans ces modèles partiels on rencontre notamment des langages capables de représenter l'organisation des unités typiques des narrations. Parmis ces unités on trouve évidamment l'événement et l'etat (mental ou physique) que l'on discutera plus loin. Dans ce chapitre, je discuterai notamment deux recherches qui travaillent principalement sur la forme d'actions et d'états, mais pas directement avec leur contenu qui sera simplement "attaché" en langage naturel à ces formes. Comme on a vu auparamment les états et les événements du monde narratif sont arrangés dans une structure causale. Il nous faudra donc être capables de représenter l'ensemble des relations causales ou non qui les coordinent. Ces trois types d'éléments de représentation (état, action, relation) nous permettront de construire des réseaux de transisition qui constituent un modèle simple de la compréhension de la structure narrative d'un texte par un individu. A un niveau plus pragmatique ces réseaux nous permettront de faire des analyses de texte. Les deux approches que je discuterai vont illustrer et évaluer cette perspective. A la fin du chapitre je discuterai brièvement les mérites et les problèmes de ces approches réductionistes.