Jean-sans-peur
Il y en a qui
racontent que par une belle soirée d’été,
les pâtres de la montagne étaient
à la veillées, là-haut dans un mayen.
L’un d’eux, qui était premier vacher,
était surnommé Jean-sans-peur par ses compagnons.
En effet, il se vantait de n’avoir peur de rien
ni de personne : les histoires de diable ou de chenegouda, de spectres
et de revenants le faisaient rire et hausser les épaules. C’était
un vrai montagnard. Ce soir-là, donc, on parlait des événements
de la journée, des tâches du lendemain, puis la conversation
dévia sur les servans malfaisants.
- Arrêtez vos balivernes ! s’écria
Jean-sans-peur. Le diable me fricasse si tout cela existe !
- Ecoute-moi, Jean, lui répondit le chef.
Je te parie ma plus belle vache que tu n’oseras
jamais, tout courageux que tu sois, monter à minuit tout en haut
du Sex Rouge,
et crier par trois fois : « Tête
desséchée, réponds à celle qui est verte !
»
Tous les bergers se regardèrent en frémissant.
Certes, le marché était tentant, mais risquer la mort éternelle
pour une vache, même la plus belle du troupeau, c’était de
la folie !
- Eh bien, Jean-sans-peur, qu’en dis-tu ? Mais
fais bien attention !
Si tu ne tiens pas ton pari, tu devras me rembourser
le prix de la bête !
Jean-sans-peur, qui tisonnait le feu, releva
la tête :
- Pari tenu ! Mais je demande auparavant de pouvoir
descendre au village pendant trois jours pour mettre de l’ordre dans mes
affaires !
- Accordé, dit le chef.
Arrivé dans son village, le jeune homme
alla directement au couvent des Capucins et demanda une entrevue avec le
Père gardien. Il lui raconta son pari.
Le moine se rembrunit :
- Malheureux ! Sais-tu bien quelles forces tu
vas réveiller là ?
Pendant tes trois jours de sursis, va prier dans
notre chapelle, mon fils.
Quant à moi, je vais tenter de t’arranger
une protection contre l’innommable !
Après trois jours de prières et
de jeûne,
Jean-sans-peur alla trouver le Père gardien
qui lui recommanda :
- Attache cet encens bénit à ton
bâton de vacher ;
prends aussi ton sabre militaire et gravis la
montagne avant le coucher du soleil.
Arrivé au sommet, trace un cercle avec
ton sabre en coupant l’herbe autour de toi. Ensuite, installe-toi à
l’intérieur de ce cercle et n’en sors sous aucun prétexte,
quoi qu’il arrive pendant la nuit. Va, mon fils,
et que Dieu te protège !
Jean-sans-peur attacha l’encens bénit à
son bâton ferré,
prit son grand sabre et remonta au mayen.
Il mangea avec ses compagnons ;
il allait se mettre en route vers le sommet quand
le chef le héla :
- Tu oseras vraiment affronter les forces de
la nuit ? Cessons ce pari idiot !
- Craignez-vous que je réussisse, maître
? demanda Jean-sans-peur.
En vérité, le chef avait peur de
perdre sa plus belle vache. Quand il vit son premier vacher partir d’un
pas décidé ver le Sex Rouge, il résolut d’imaginer
une ruse pour l’effrayer.
Cependant, Jean-sans-peur était arrivé
au sommet :
il coupa l’herbe à l’aide de son sabre,
il s’assit au centre en prenant bien garde de ne pas laisser dépasser
un pan de son manteau ou un bout de son soulier. Tranquillement, il dîna
d’un fromage, de noix et de pain noir ; puis il dormit un moment en attendant
minuit.
Enfin, le vent de la vallée lui apporta
le son de la cloche d’une église, et il sut qu’il était minuit.
Il cria alors d’une voix peu assurée :
- Tête desséchée, réponds
à celle qui est verte !
Mais seul le vent de la montagne répondit
à son appel.
Il reprit son souffle et cria plus fort :
- Tête desséchée, réponds
à celle qui est verte !
Mais seule une chouette hulula sinistrement.
Alors Jean-sans-peur, bien persuadé qu’il
avait raison de croire que tout cela n’était que superstitions,
hurla de toute la force de ses poumons :
- Tête desséchée, réponds
à celle qui est verte !
Mais alors…alors…
une armée de têtes de morts se pressèrent
tout autour du cercle en grinçant :
- Que veux-tu de nous ? Pourquoi nous as-tu appelées
? Sors de ce cercle ! Nous exaucerons tes souhaits !
Jean-sans-peur se serra bien au milieu du cercle.
D’autres têtes lancèrent :
- Retire ton tranchant ! Pourquoi nous as-tu
appelées ?
Jean-sans-peur pressa son sabre dans sa main.
D’autres encore croassèrent :
- Jette ton pointu ! Que nous veux-tu ?
Jean-sans-peur empoigna plus fort son bâton
de vacher.
D’autres encore vocifèrent :
- Jette ton bénit ! Sors du cercle !
Jean-sans-peur serra contre lui l’encens bénit.
Les têtes criaient de plus en plus fort,
de plus en plus fort, et elles tournaient autour de cercle de plus en plus
vite, dans plus en plus vite, dans une ronde infernale.
- Jette ton tranchant ! Sors du cercle !
Pourquoi nous as-tu appelées ? Jette ton
bénit ! Que nous veux-tu ?
Jette ton pointu ! Sors et nous t’exaucerons
! Pourquoi nous as-tu réveillées ?
Et elles hurlaient ainsi sans arrêt pour
lui tourner la tête.
Mais Jean-sans-peur, agrippé à son
sabre et à son bâton, resta inébranlable.
Enfin là-bas, dans le village de la vallée,
le coq chanta et l’aurore blanchit les crêtes.
Les forces de la nuit se dissipèrent avec
la brume du matin.
Jean-sans-peur, soulagé mais épuisé,
s’apprêta à redescendre.
Au détour du chemin, jaillissant d’un
buisson de genèvrier, un énorme taureau, noir comme l’enfer,
beuglant et écumant, essaya de le terrasser.
- Qu’est-ce que c’est que cette vilaine bête
en forme de taureau ?
s’étonna le vacher en esquivant l’attaque.
- Je suis le diable, gronda le monstre.
- Eh bien le diable, il faut le tuer ! reprit
Jean-sans-peur.
Et d’un coup de sabre il coupa l’animal en deux
entre les cornes. Puis il continua gaillardement son chemin.
Arrivé au mayen, il y rencontra tous les
bergers, sauf le chef.
- Il aura eu peur que je revienne, se moqua-t-il.
Et s’installant près de ses compagnons,
il leur raconta sa nuit :
le Sex Rouge, les têtes coupées,
les hurlements, le diable noir sous forme de taureau…
- Tu n’as pas eu peur de lui ? demandèrent
les pâtres.
- Après la nuit que je viens de passer,
plus rien ne peut m’effrayer.
Je l’ai coupée en deux, cette méchantes
bête, avec mon sabre que voici !
Il fut tout étonné de voir les
autres se signer.
Ils lui expliquèrent que le chef s’était
embusqué pour l’épouvanter, revêtu de la peau du bœuf
noir qui était mort quelques jours auparavant.
Ils coururent jusqu’au cadavre, mais quand ils
voulurent enlever la peau de bœuf,
celle-ci resta collée au corps. Jean-sans-peur
descendit alors à son village demander l’aide du Père capucin,
avec son étole et son eau bénite, pour l’enterrement.
Mais malgré les prières du moine
et les efforts des bergers, on ne put soulever le chef du sol. On dut creuser
sous lui une grande fosse et le recouvrir de terre à l’endroit même
où il était mort. L’herbe, depuis, n’y a plus repoussé,
et les bêtes évitent de fouler ce talus.
Quant à Jean-sans-peur, il hérita
de la plus belle vache du troupeau et fut élu chef à la place
de celui qui était mort. On le respecta toujours, car il sut toujours
se montrer aussi juste qu’honnête et aussi honnête que courageux.
Le chant
du ciel
Il y avait, une fois, un homme qui partait aux
mayens. Quand il fut vers Atséret, il entendit chanter si bien,
si bien ! Il n’avait jamais entendu si bien chanter. Il s’arrêta
pour écouter, et il vit le chanteur.
Il lui demanda pour quelle raison il chantait
si beau, et la joie qu’il avait. Celui-ci répondit qu’il chantait
maintenant de bonheur ; que , depuis cent ans, il était en peine
; puis il en dit la cause, mais je l’ai oubliée… Il était
obligé de souffrir en cet endroit jusqu’à ce qu’un oiseau
vint y apporté une noix ; un noyer y aurait poussé, et, ce
noyer une fois grand, on l’aurait coupé, et on aurait employé
de son bois pour confectionner un calice de première messe. Cette
première messe devait être dite pour la délivrance
de son âme.
S’il chantait, c’était que l’oiseau était
venu apporter la noix… le noyer viendrait plus tard…
Celle du bal
en haut à la maison de commune
On disait que la mère à Charles
Héritier et sa sœur étaient des terribles pour le bal.
Elles étaient en train de laver la vaisselle
et elles ne pouvaient jamais assez se dépêcher pour monter
à la maison de commune au bal.
Un soir, elles se sont dépêchées
et sont montées.
Quand elles furent au sommet des escaliers, elles
entendirent que le bal était déjà commencé
et elles, elles avaient les clefs en poche. Elles se demandaient qui avait
pu aller ouvrir la porte et elles furent curieuses de regarder dans le
trou de la serrure.
Elles ne virent que de beaux messieurs qui avaient
des pieds de vache et ne touchaient pas seulement le plancher. Elles furent
tellement effrayées qu’elles ne savaient pas, le lendemain, comment
elles étaient redescendues par les escaliers.
Depuis lors, on a dit qu’elles avaient abandonné
le bal, elles avaient trop été épouvantées.
Celle de « Berthousoz
a le feu par derrière »
J’ai entendu dire que c’était un homme
de Conthey qui allait en bas à Vétroz.
Il monta dans une maison demander un verre à
boire.
La femme était justement en train de faire
le dîner, elle le fit entrer à la cuisine.
Pendant qu’elle alla chercher à boire,
l’homme sortit le lard qu’elle avait dans la
casserole pour dîner
et le mit dans son sac à côté.
Quand la femme revint, elle vit que le sac fumait,
elle pensa qu’il lui avait fait une farce, elle lui dit de vite aller en
vas lui aider à descendre quelques fagots,
que son mari viendrait pour dîner.
Quand il fut sorti de la cuisine,
elle se hâta de reprendre le lard,
mit dans le sac une bûche en feu et lui
dit qu’il fallait se dépêcher de boire le reste,
que son mari en aurait colère.
L’autre ne demanda pas mieux,
il pensait qu’il avait empoché ce qu’ils
avaient pour dîner.
Il prit son sac et partit.
Quand même il sentait chauffer, il pensait
toujours qu’il avait le lard qu’il avait pu voler.
Quand il eut fait un bout de chemin,
il y avait de ceux qui travaillaient près
de la route, ils crièrent :
« Berthousoz !qu’as-tu fait ? tu as le
feu par derrière, tu portes le feu en poche. »
Tous se moquaient de lui.
Il pensa qu’il avait eu affaire avec une femme
qui était encore plus maligne que lui.
Le doigt dans la bouse
Il était une fois, en haut à Isérables,
les conseillers ne savaient pas compter.
Ils ne savaient pas compter combien ils étaient.
Ils comptaient toujours : « Moi et toi
font un, et lui deux, et lui trois… »
Ils arrivaient jusqu’à six et ils devaient
être sept.
Le plus fin des conseillers trouva enfin
la solution.
Il proposa à tous d’enfoncer le doigt
dans une bouse et de compter les trous.
Ils firent cela et arrivèrent à
bout de compter combien ils étaient de conseillers.