Problématique
  1. Violence et délinquance : de quelle norme parle-t-on ?
  1. Migration et délinquance :
    1. Biais de l'origine sociale des migrants délinquants
    2. EMIGRER versus IMMIGRER
    3. ACCULTURATION
    4. La violence ne s'élimine pas ; comment la gérer ?
    A. Violence et délinquance : de quelle norme parle-t-on ?
     
      a. De l’utilité de l’agressivité
      Entamons cette discussion en dédiabolisant la violence qui, comme le rapporte  Mme Robert-Tissot  , présente une utilité. Après l’hypothèse darwinienne d’une sélection des comportements en fonction de leur valeur pour la survie et l’adaptation de l’espèce, les observations de l’éthologue Tinbergen (1951) ont démontré que l’agressivité est innée et instinctive, que les conflits liés à la reproduction et à la hiérarchie permettent le maintien de la paix à l’intérieur de l’espèce et l’organisation sociale. 

      La théorie psychanalytique initiée par Freud  situe quant à elle l’origine des conflits à l’intérieure de la psyché, l’instinct fondamental Eros étant en perpétuelle dualité avec la pulsion de destruction (agressivité).  Pour Piaget  , les conflits sont des déséquilibres formateurs, source de développement cognitif, en ce sens que la résolution pratique d’un problème et le dépassement d’une contradiction entraînent une accommodation,  puis une équilibration majorante. 

      b. Agressivité : la destruction pour limite
      Mais si l’on accepte ainsi  que l’agressivité a une fonction structurante, la violence, elle, est porteuse de destruction. Le problème se pose lorsque l’agressivité devient anormale, excessive ou inadéquate. Avec l’anormalité commence l’interminable débat de la normalité… On peut notamment se demander qui cette agressivité contrarie  le plus : la personne concernée, les intérêts de ses proches ou ceux de la société ? 

      Admettant que la destruction trace la limite de la tolérence à l’agressivité, nous nous proposons d’évoquer comment la société fixe cette norme,  tant pour son versant judiciaire que pour celui de la psychopathologie.

      c. Norme pénale : le CP
      Le législateur a défini une norme qui protège les intérêts et l’intégrité des particuliers ou de l’état : le Code pénal suisse  . Cet ouvrage contient les dispositions générales qui traitent des conditions de réalisation des crimes, délits et contraventions. Il précise également leur énoncé et les sanctions encourues par l’auteur. Ce cadre normatif sert de bible au magistrat et à ses auxiliaires pour “épingler” contrevenants et délinquants, à qui on inflige des sanctions en termes pécuniaire ou de privation de liberté. Dans ce secteur, il existe peu d’alternatives… Dans le chapitre deuxième, il est toutefois prévu qu’en cas de besoin, les adolescents délinquants peuvent faire l’objet de : art. 91 : mesures éducatives (placement familial ou en institution) ou de art. 92 : traitement spécial (en cas de maladie mentale, altération grave des facultés, toxicomanie, etc…)
       

      d. Norme psychologique : le DSM IV et la CIM 10
      D’autres normes sont proposées par la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Le DSM-IV   diffuse dès le début des années 80 un système de classification et de diagnostic des symptômes. Il présente le mérite d’étudier l’épidémiologie et l’étiologie des troubles, ainsi que leur évolution développementale. Une de ses limites proviendrait du fait qu’il est issu d’un consensus d’experts américains, évaluant leurs propres normes médicales et socio-culturelles (exemple : le seuil pathologique de l’hyperactivité n’est pas ressenti de la même façon en Europe qu’aux Etats-Unis ; de plus des traitements de Ritaline y sont également plus aisément prescrits). La CIM 10   est un manuel équivalent au DSM-VI, mais fruit du travail des experts de l’Organisation Mondiale de la santé. En termes de psychopathologie, les comportements étudiés dans le présent rapport concerneront le chapitre 6 sur les Troubles des conduites et du comportement et plus spécifiquement les: (313.81)/(F91.3) Troubles oppositionnels avec provocation ou (312.8)/(F91.x)( Troubles des conduites.

      e. Une constante du processus normatif : le rejet !
      Pour conclure ce survol relatif aux normes, faisons une brève incursion en psychologie sociale, où l’on considère la déviance comme une « transgression socialement perçue de règles, de normes en vigueur dans un système social donné »  . Des expériences ont démontré que les membres d’un groupe confrontés à un individu déviant vont, dans un premier temps, exercer une pression à son encontre afin de le ramener dans leur norme ; si cela se révèle inefficace, ils vont ensuite développer une tendance générale à isoler ce dernier du groupe, dans une forme de boycott… 

      Si l’on généralise la conclusion de cette expérience de psychologie sociale à une société en prise avec des problèmes de délinquance juvénile, il convient de s’interoger sur les éventuels dangers que peuvent représenter des normes judiciaires ou psychopathologiques : un individu dont le comportement ne se “normaliserait” pas suite à une sanction pénale ou à suite à une prise en charge psychologique (équivalant à l’augmentation des pression à rentrer dans la norme) subira-t-il également un processus de mise à l’écart de la société ?

      B.Migration et délinquance
                                             
      a. Biais de l’origine sociale des migrants délinquants
      Il faut avant tout considérer un triste phénomène que les travailleurs humanitaires connaissent bien : les requérants d’asile et les migrants en Suisse ne sont pas toujours les populations en réel danger dans leur contrée d’origine, mais des individus issus de milieux délinquants dans leur propre pays. Ils le fuient pour échapper à un trop lourd passé judiciaire ou un avis de recherche et pour trouver un terrain de travail plus lucratif dans le pays d’accueil. Certains n’hésitent pas à tenter successivement leur chance dans plusieurs pays d’Europe. Un Zaïrois racontait récemment que « personne ne peut s’offrir un billet d’avion Kinshasa-Genève s’il n’a pas travaillé pour le compte de petites mafias aux abords de l’aéroport africain afin de gagner la mise de départ »… Ces individus ne sont pas représentatifs de la population de leur pays. Mais ce sont ceux qui, connaissant combines et réseaux,  viennent gonfler nos statistiques criminelles.

      S’il est totalement abusif de conclure que la migration est criminogène, il faut cependant reconnaître qu’elle représente un facteur de déstabilisation et de désécurisation pour les migrants.

      b.EMIGRER  versus   IMMIGRER
      T. Nathan , précisant la signification psychologique du verbe EMIGRER, explique « qu’il s’agit de quitter, perdre l’enveloppe de lieux, de sons, d’odeurs, de sensations qui constituent les premières empreintes sur lesquelles s’est établi le codage du fonctionnement psychique. La psyché sait habituellement s’en rendre indépendante, pour autant qu’elle puisse y avoir régulièrement accès. Si  l’usage quotidien n’établit pas un aller-retour permanent entre les structures intériorisées et les structures externes, le système d’échange perd sa capacité  créatrice, se rigidifie et se fracture par pans entiers. L’émigration consisterait donc à modifier l’enveloppe tout en tâchant de préserver l’identité du noyau. L’expérience montre que cette entreprise est, la plupart du temps vouée, à l’échec ». En outre, IMMIGRER signifie « reconstruire seul, et en l’espace de quelques années, ce que des générations on lentement élaboré et  transmis. La psyché peut-elle réellement être capable d’une telle autonomie par rapport aux structures externes ? ».

      Par ailleurs, l’éloignement coupe l’individu de sa famille d’origine, de ce réseau social  si spécifiquement important pour offrir ressources et soutien en cas de difficultés de vie ou de fragilités psychologiques. Quant au choc d’un déracinement abrupte, à l’incertitude de l’avenir, ils peuvent générer une puissante angoisse, particulièrement chez les individus ayant charge de famille.

      c. Acculturation
      L’acculturation (adaptation d’un individu, d’un groupe à une nouvelle culture ) représente un autre défi important pour l’étranger, démesuré s’il ne maîtrise pas notre langue et que l’information concernant nos us et coutumes lui est  quasi inaccessible. Pour lui venir en aide, il faut l’aider à élaborer une plate-forme commune aux deux influences socio-culturelles,  comprenant des repaires valables, qui constituent une valeur sûre, un point d’ancrage pour une reconstruction.

      Illustrons ce point par un clivage d’éducation entre notre société et de nombreuses autres, notamment musulmanes, africaines, latinos, où la famille se comprend au sens élargi du terme. Dans ces communautés, les cousins, les oncles et tantes et même les voisins se sentent proches et concernés par l’éducation et l’évolution des enfants. Ainsi, il n’est pas rare qu’une voisine de palier soit dans les confidences d’une adolescente ou encore qu’elle s’occupe de corriger des garnements. Elle use d’une part d’autorité que leur société lui confère. La mère n’est donc pas incessamment sur le dos de ses enfants. Sa façon de surveiller sa progéniture n’est plus adéquate lorsque, suite à sa migration, elle se trouve dans une société comme la nôtre, où les normes, imprégnées de discrétion et de responsabilité individuelle, exigent qu’une mère surveille ses enfants afin qu’ils ne gênent pas le voisinage. Ici, on ne manquera pas de lui faire sentir que ces étrangers dérangent…

      d. La violence ne s’élimine pas ; comment la gérer ?
      La peur, le traumatisme, le manque, l’impuissance, l’incertitude,  le racisme, le chômage, la jalousie… Autant de facteurs conduisant transculturalité à rimer avec augmentation des risques de violence. La violence, on ne l’efface pas, on ne l’enraye pas ! Il faut trouver comment la reconnaître, la canaliser, comment vivre avec…  Le service psycho-éducatif de la Croix-Rouge de la Chaux-de-Fonds innove en proposant aux populations à risque une approche et des pistes de travail nouvelles. Et c’est dans ce cadre que nous avons choisis d’effectuer nos premières observations cliniques. Il y sera possible d’assister au travail de la psychologue dans son analyse psychologique des situations et à la mise au point des stratégies de prises en charge psychologique et cognitivo-comportementales ainsi que d’accompagner l’éducatrice dans le terrain, au domicile des familles, pour y voir la mise en application concrète des méthodes utilisées.