Cas cliniques
  1. Eliane, 14 ans, Angola
  2. Maria, 14 ans, Brésil
  3. Milos, 16 ans, Kosovo



 

Eliane M. 14 ans, Angolaise







I CIRCONSTANCES D’INTERVENTION DU SPCPE :

Le cas d’Eliane est signalé par les autorités scolaires : la jeune fille perturbe sérieusement la classe, arrive régulièrement en retard, pose des problèmes de discipline et accumule du retard scolaire. Récemment, elle a participé à une bagarre entre filles et a blessé son adversaire, laquelle a nécessité des soins. Les parents de cette jeune fille ont déposé plainte contre Eliane et un procès doit avoir lieu prochainement. La famille d’Eliane est déjà bien connue des services sociaux du canton. En outre, lors d’une intervention de police à leur domicile qui a dégénéré, la jeune fille a violemment mordu un gendarme : elle fait l’objet d’une plainte pour opposition aux actes de l’autorité. Au vu de son contexte familial, il est question de la placer en institution.
 

II PRESENTATION RESUMEE DES OBSERVATIONS :
 
 

Modèle transactionnel 

Culture
Eliane a 15 ans et est originaire d’Angola. Dans son pays, les enfants vivent beaucoup dans la rue et se débrouillent tout seuls. La famille est importante et on s’y entraide car l’Etat ne donne pas beaucoup de ressources. La société angolaise vit une crise politique et la violence est quotidienne. 

Depuis son arrivée en Suisse il y a huit ans, cette famille vit en autarcie. La télévision fonctionne en permanence et constitue la première source d’information. La mère n’a jamais gagné d’argent de sa vie et n’encourage pas beaucoup ses enfants à travailler.

Environnement
Mme M, la mère d’Eliane a dû quitter l’Angola avec ses 5 enfants (de 2 pères différents), âgés de 3 à 16 ans, afin de demander l’asile en Suisse. Cette famille a rencontré de nombreuses difficultés d’intégration qui ont conduit à des interventions de la police, des difficultés de voisinages, puis des déménagements multiples; des procès sont actuellement en cours. La famille connaît mal la législation en vigueur dans notre pays et vit dans la crainte de la police ou d’une dénonciation quelconque. De plus, Mme M. qui affirme aimer ses enfants, est actuellement menacée de leur placement en institution.

Les revenus dépendent totalement des subventions accordées et la gestion de l’argent pose de gros problèmes : La mère paie principalement son avocat et ses dépenses personnelles. Les enfants vivent dans la précarité, manquant de meubles (pas assez de lits pour tous), de vêtements (sortent à moitié habillés, sans chaussures) et ne consomment pas suffisamment de nourriture. Les enfants souffrent également de négligence au niveau de l’hygiène. L’environnement en jeux ou objets pour les enfants est très pauvre.

Famille
Mme M. vit seule, isolée de la communauté africaine de la Chaux-de-Fonds car cette dernière n’approuve pas sa vie sentimentale et le choix des pères de ses enfants. Son histoire conjugale n’est pas claire pour les enfants qui ne sont pas certains de savoir de quel père ils sont issus. Mme M. espère pouvoir un jour conclure un mariage blanc avec un Suisse, puis faire venir un homme africain qu’elle aime et qui séjourne clandestinement en France. Elle se trouve donc sans réseau social et fréquente occasionnellement les Témoins de Jéhova dans le seul but de rompre sa solitude. 

Contexte extrinsèque proximal : parents
Mme M. est dépressive et a vécu quelques épisodes de décompensation psychotique pour lesquelles elle a été hospitalisée. Il y a également eu des soupçons d’alcoolisme et de déviances sexuelles sur ses enfants bien que ces hypothèses n’aient pas pu être objectivées. Dans son quotidien, Mme M. est très abattue, passive. Elle privilégie systématiquement ses propres besoins par rapports à ceux de ses enfants. Obnubilée par ses souffrances, elle néglige leurs besoins élémentaires, manque les rendez-vous scolaires ou médicaux. En cas de colère, elle a de brusques explosions de violence. Quant aux croyances qu’elle a et qu’elle transmet, elles sont de l’ordre de « le monde est dur », « débrouille-toi tout seul », « il faut se méfier des gens », etc…

Contexte intrinsèque : enfant
Eliane a une bonne constitution mais elle se blesse fréquemment. Son développement physique est avancé par rapport aux autres jeunes filles de sa classe et elle tire fierté d’être une adolescente séduisante. Elle est toutefois irascible et pleine d’une colère qui ne manque pas une occasion pour s’exprimer. Elle s’oppose souvent à sa mère qui lui demande beaucoup de participation au ménage et de prise en charge du clan. Eliane reproche à sa mère l’absence d’un homme à la maison, de ne pas avoir su garder son père…  Elle est exhubérante et souvent en colère car ses réactions sont guidées par ses affects.

Contexte de médiation parent-enfant
Relations : Le système d’attachement est celui du clan. Peu de relation personnelle entre ses membres ni d’intimité. Bien que la mère offre une bonne disponibilité d’écoute, elle n’est pas très démonstrative dans ses marques d’affection. Chaque enfant semble avoir développé une large autonomie.

Comportements interactifs, pratiques éducatives :
La mère a instauré un style de relations matriarcale pour poser ses requêtes et ses exigences, mais elle peine à se faire obéir quant aux consignes qu’elle tente de mettre en place car elle ne fixe pas de sanctions cohérentes. Ses exigences et ses réactions fluctuent en fonction de son humeur momentanée. En cas de conflit, ce sont souvent les plus petits qui sont subissent sa colère et ses punitions  car les plus grands évitent la confrontation en quittant la maison. L’humour est une ressource importante de la famille pour faire face aux difficultés et aux conflits.

DSM IV  : Troubles oppositionnels avec Provocation
 (313.81) (F91.3)

Eliane a effectivement manifesté quatre comportements  négativistes, et ce durant plus de 6 mois.  Il semble toutefois important de relever que ces incidents se sont produits dans une période où sa famille vit des événements troublés, avec un avenir incertain. 

De plus, en cas de colère, la mère d’Eliane a facilement recours à des explosions de violence, punissant parfois ses enfants par des sévices physiques, courants dans la culture africaine. Ex : tapes sur le corps, rester longtemps sur les genoux, etc…    Eliane n’a donc pas eu d’autre exemple de gestion de sa colère et n’a pu faire l’apprentissage d’une alternative à la violence. Enfin, les deux incidents les plus violents (bagarres entre bandes de filles et bagarre avec la police) ne sont pas le seul fait d’Eliane et sont le produit d’un effet de groupe (les comportements négativistes commis en groupe sont plus extêmes que s’ils étaient le fait d’individus isolés). 

Il faut cependant reconnaître que ces agissements ont conduit à une perturbation significative de son cursus scolaire (ce sont les autorités scolaires qui ont signalé le cas au SPCPE) : Eliane est en difficulté scolaire, a des rapports difficiles avec certains enseignants et élèves. Dans son quartier aussi, certaines relations de voisinage sont très tendues (fait l’objet de dénonciations anonymes aux autorités cantonales).

A notre connaissance, les comportements décrits en A ont débutés à l’adolescence,  ne surviennent pas exclusivement au cours d’un Trouble psychotique ou d’un Trouble de l’humeur et ne correspondent pas mieux à un autre trouble.

Avant de conclure à un Trouble oppositionnel avec provocation, nous nous demandons encore si ces comportements négativistes surviennent plus fréquemment et à un niveau plus élevé que ce l’on observe dans sa population de référence.

Si les difficultés comportementales d’Eliane devaient être pathologiques, elles pourraient répondre à un diagnostic de Trouble oppositionnel avec provocation. Toutefois l’histoire de vie de cette jeune fille étant particulièrement troublée, il ne faut pas négliger l’influence qu’ont pu avoir les circonstances sur son attitude et envisager qu’il s’agisse de comportements réactionnels.

DSM IV  : Troubles des Conduites
(312.8) (F91.x)
Eliane ne présentant qu’un des critères requis pour le Trouble des conduites, le diagnostic ne peut être posé. De plus, la notion de cruauté ou la volonté de mal à autrui ne lui correspondent pas. Ces difficultés comportementales datent surtout de son arrivée en Suisse. Si elles devaient être pathologiques, elles semblent davantage correspondre à un diagnostic de Trouble oppositionnel avec provocation.
 

 III DESCRIPTION DES INTERVENTIONS PROPOSEES 

Sur le plan familial :
Important travail de narration des événements traumatiques vécus durant la guerre ainsi que du chemin vers l’asile; le processus de deuil de la mère a permis une “déparentalisation” d’Eliane l’autorisant ainsi à abandonner à sa mère la colère qui la concerne et retrouver une vie d’adolescente.Informer la mère pour lui faire prendre conscience de son rôle de mère, de ses responsabilités et de l’exemple qu’elle donne à ses enfants.

Tentative d’établir un budget
Contrat de sortie pour tous les ados avec limites et sanctions convenues entre eux et la mère

Participation aux routines ménagères afin de donner un exemple de structures, tester de nouvelles relations intra-familiales, se familiariser avec la culture et les coutumes locales (hygiène, bruit, alimentation, langue, respect, etc...)

Pour Eliane :
  • Réflexion et recadrage de  son rôle dans la famille. 
    • Etude des dimensions personnelles et situationnelles qui engendrent des montées de colères et des crises de violence.
    • Tentative de lui permettre d’investir une relation positive à un adulte
    • jeux de rôle sur crise de colère, confrontation avec la police, le juge, le directeur de l’école (le but est de baisser l’angoisse par la répétition des situations, de verbaliser ses émotions, de positiver la situation, d’augmenter la confiance en soi, de se décentrer pour considérer le point de vue d’autrui, d’exercer des alternatives à des attitudes automatiques qui lancent un cercle vicieux de réactions, etc…)
    • l’aider à faire le deuil de son père, de sa situation d’avant en Angola
    • inscription d’Eliane dans un club de gym artistique afin de lui faire évacuer son trop plein d’énergie, de lui permettre de gérer sa violence et de l’inscrire dans un nouveau réseau social
    • proposition d’un stage dans une crèche afin de l’ouvrir à un univers professionnel pour lui donner un but personnel qui la motiverait pour ses études
    • contrat régissant et limitant ses participations aux tâches ménagères, ses sorties…


    IV EVOLUTION CLINIQUE
    Eliane était très méfiante au début de l’intervention, acceptant mal que des étrangers viennent s’ingérer dans les affaires familiales. Progressivement, elle en a mieux compris et admis l’effet bénéfique sur la structure familiale. Elle prend beaucoup de plaisir dans son club de gym : elle y défoule un trop plein d’énergie, fait l’apprentissage de la persévérance dans un effort physique qui mène à de grandes satisfactions et a tissé des liens constructifs avec les moniteurs. Elle envisage de participer à des compétitions et de s’investir pour donner des cours aux juniors du club. Elle a globalement été valorisée par cette expérience. Elle a fait l’expérience du succès et d’une intégration dans un milieu suisse. Elle maîtrise mieux ses émotions et  ses accès de colère en particulier.

    Les stages en crèche lui ont beaucoup plu et elle envisage d’en faire son métier. Le comportement d’Eliane s’est nettement assagi, ses résultats scolaires ont progressé et la jeune fille forme des projets pour son avenir.

    Mme M. est stimulée par les visites régulières de l’éducatrice et prend conscience de son rôle. Des progrès ont été observés au niveau d’une meilleure répartition des tâches, de meilleurs soins domestiques et personnels, du respect d’un minimum de règles et des relations avec le voisinage.

    LE POINT : 4 mois plus tard…
    Le procès d’Eliane pour ses violences contre la police s’est bien déroulé et lui a été favorable: excepté quelques écarts de langage à l’encontre du juge, Eliane a y a eu une attitude positive. Le policier qu’elle a blessé a reconnu que la situation avait dégénéré par manque d’information de part et d’autre et il s’est excusé de son intervention musclée. Il lui a proposé de venir visiter le poste de police… Après cet épisode, Eliane s’est détendue. Elle a pris goût à ses études et ses progrès lui ont permis de remonter d’un niveau, passant de « terminale » à « pré-professionnelle ». Elle souhaite faire une année supplémentaire afin de compléter ses 9 ans de scolarité obligatoires pour entamer une formation de nurse. A la gym, elle a de nouveaux amis, particulièrement une monitrice qu’elle admire beaucoup et en qui elle a pu investir une référence féminine positive. Elle prépare avec les petits un spectacle sur le thème de la violence… Elle s’est également initiée au yoga et n’a plus eu aucun éclatement de violence. Globalement, elle a mûri et s’est apaisée.
     
     
     


     
     

    Maria C, 14 ans, Brésilienne

    I CIRCONSTANCES D’INTERVENTION DU SPCPE : 
    Le cas de cette jeune fille est signalé par les autorités scolaires qui se plaignent des fréquents écarts de discipline de Maria, de sa violence envers ses camarades qu’elle frappe et d’une violente agression qu’elle a fait subir à une éducatrice dont elle a aussi cassé le bureau. Maria est menacée d’expulsion de l’établissement et de poursuites pénales. Dans une autre affaire, c’est elle qui a déposé plainte pour lésions corporelles simples, suite à une bagarre avec une fille de sa classe. Elle est dans l’attente du jugement, en tant que victime.Les services sociaux du canton suivent déjà toute sa famille pour des manquements dans les soins aux enfants .
     

    II PRESENTATION RESUMEE DES OBSERVATIONS :

    Modèle transactionnel 

    Culture
    Maria, ses frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs ainsi que sa mère sont originaires des favelas du Brésil. La mère est venue en Suisse pour trouver une vie meilleure. C’est la grand-mère paternelle qui a élevé tous les enfants au Brésil et c’est elle qui détient l’autorité sur eux. Cela occasionne de nombreux conflits car maintenant qu’ils vivent en Suisse avec leur mère, les enfants ne reconnaissent pas l’autorité de la mère et s’en réfèrent encore à celle de la grand-mère restée au Brésil. Toutes les femmes de cette famille pratiquent le Candoublé, religion où se mêlent christianisme, rites vaudou et magie noire pour chasser les esprits mauvais. Chaque malheur ou chaque dispute familiale sont attribués à des âmes maléfiques. L’attitude face à la vie est plutôt fataliste et on encourage chacun à se débrouiller tout seul. La télévision est le pourvoyeur de distraction et de rêve. Elle fonctionne sans cesse et, elle, tout le monde l’écoute…
    Environnement
    La mère de Maria s’est mariée en troisièmes noces à un homme suisse de 62 ans, rentier AI, afin d’obtenir un permis B. Cet homme est fâché depuis qu’il a réalisé que sa femme n’éprouve pas de sentiments pour lui et qu’elle ne lui offre pas de relation affective. De plus, il redoute de porter la responsabilité civiles des bêtises que commettent les enfants. Tous vivent sur la rente AI et les difficultés financières sont un intérêt permanent et un sujet de dispute régulier. Maria a l’impression constante de devoir mendier de l’argent et de ne pas en recevoir suffisamment. En outre, l’appartement est laissé dans un désordre effroyable et les enfants, bien que nourris, vivent dans des conditions d’hygiène déplorables. Il y a beaucoup de passage dans l’appartement ; les connaissances des uns et des autres viennent y “squatter” (selon leurs termes) un moment.

    Famille
    La mère de Maria a commis une tentative de meurtre sur son premier mari, le père de Maria. Les époux se sont ensuite séparés et cela a représenté un drame pour Maria qui était très attachée à son père. Le deuxième mari de Mme C. étant décédé des suites d’un accident de voiture, elle a confié ses enfants à la mère du 1er mari, puis elle est venue quelques années en Suisse. Dès qu’elle a pu se remarier, il y a maintenant 4 ans de cela, elle a fait venir ses enfants dans notre pays. Mais ces derniers ne voulaient pas de ce voyage. En particulier, ils ne souhaitaient pas quitter leur grand-mère qu’ils adorent, leur père et leurs amis.

    Contexte extrinsèque proximal : parents
    Mme C. est une femme alcoolique qui refuse sa maladie et tout suivi thérapeutique. Elle présente une personnalité immature et se voudrait la copine de ses filles. Elle a peu de stabilité au niveau de ses nombreuses relations extra-conjugales. Quant à son époux, il s’agit d’un ex-alcoolique, ayant de sérieux problèmes de santé physique. Le couple rencontre des difficultés financières; le milieu physique et socio-culturel dans lequel évolue la famille est pauvre.

    Contexte intrinsèque : enfant
    Maria est avancée dans son développement par rapport aux filles de sa classe, tant physiquement que mentalement. Elle a une robuste constitution bien qu’elle soit souvent malade. De tempérament explosif et colérique, elle est impatiente, boudeuse et rencontre passablement de difficultés relationnelles. Elle souffre d’un perpétuel sentiment d’injustice qu’elle a du mal à exprimé et dont elle ne cerne pas clairement l’origine.

    Contexte de médiation parent-enfant
    Relation : Maria ressent un fort sentiment d’injustice, persuadée que sa mère favorise sa sœur aînée tant au niveau affectif que financier. Les relations de cette mère avec ses enfants sont extrêmes, passant de la rigolade exubérante aux crises de violence, aux hurlement et à la mise à distance affective. Globalement, chaque membre de la famille a de nombreuses revendications qu'il fait connaître au cours de violentes disputes, puis chacun se braque et se replie sur lui, fâché. Maria se plaint beaucoup de sa mère mais, dans le même temps, refuse toute proposition qui lui permettrait d’évoluer et de sortir de cette relation passionnellement conflictuelle. Son attachement à sa mère fait penser au type « insécure évitant » de la situation étrange de M. AINSWORTH .

    Comportements interactifs, pratiques éducatives :
    Il règne dans cette famille une misère affective où l’indifférence totale le dispute à la frénésie. Les disputes et les récriminations sont l’unique occasion de relations et tiennent lieu de communication. Quant aux rares règles familiales, elles sont floues et fluctuent en fonction de l’humeur de la mère. Le beau-père tente d’édicter des principes de vie teintés “du bon sens campagnard jurassien” (selon ses dires), mais Maria lui répète qu’il n’a aucun droit sur elle et qu’elle ne reconnaît pas son autorité. L’exemple donné par les adultes est celui de relations chaotiques, passionnées mais démontrant peu de réflexion et peu de respect de sa propre personne, donc de soi-même.
     
     

    DSM IV  : Troubles oppositionnels avec Provocation
    (313.81) (F91.3)

    Maria présente cinq critères diagnostiques bien marqués, alors que trois suffiraient à déceler un Trouble oppositionnel avec provocation. Ils entraînent des perturbations importantes dans son développement social, scolaire et affectif. 
    Il ne semble pas que les comportements décrits en A  surviennent uniquement au cours d’un Trouble psychotique ou d’un Trouble de  l’humeur. En l’état actuel de  nos connaissances, il nous est difficile d’établir si ces comportements correspondent mieux à un autre trouble, notamment à un Trouble des conduites (dont les critères diagnostiques sont également remplis). Il est certain en revanche que ces manifestations se présentent avec une violence et une fréquence supérieures à celles attendues chez un sujet de même âge et de même niveau développemental. Si ce diagnostic semble indiqué, il faut une fois encore tenir compte des antécédents familiaux et socio-culturels particulièrement difficiles chez ce sujet.

    DSM IV  : Troubles des Conduites
    (312.8) (F91.x)

    Nous observons que quatre critères sont remplis (dont trois durant les douze derniers mois et un durant les six derniers mois) et que cela permettrait de poser un diagnostic de Trouble des conduites. Cependant, il ressort de son histoire que ces comportements ont commencé avec son arrivée en Suisse et qu’ils ne concernent pas la période de son enfance (pas plus que pour le Trouble oppositionnel avec provocation). De plus, sa colère semble s’exprimer davantage sous forme de contestation et de provocation que dans l’intention sournoise de nuire à autrui ou de détruire son bien. Nous serions ainsi tentée de privilégier un diagnostic de Trouble oppositionnel avec provocation.
     

    III DESCRIPTION DES INTERVENTIONS PROPOSEES 
     

    • Réflexion et recadrage de  son rôle dans la famille. 
    • Etude des dimensions personnelles et situationnelles qui engendrent des montées de colères et des crises de violence.
    • Tentative de lui permettre d’investir une relation positive à un adulte
    • Mettre par écrit les « croyances de préférence » de la mère vis-à-vis de la sœur de Maria, et de Maria vis-à-vis de son père ;  noter également les actions ou sentiments positifs des uns envers les autres. Le but est de voir les choses avec recul afin de recadrer des présupposés et d’objectiver les sentiments d’injustice.
    • Tentative de médiation : établissement de périodes de discussions familiales, avec des règles, des tours de parole et recadrage systématique. Le but est de faire passer un minimum de communication et d’en faire vivre un exemple qui pourrait être repris par les membres de la famille pour construire un dialogue autonome.
    • Faire le ménage dans sa chambre avec Maria afin de faire l’expérience d’une activité commune calme et efficace, d’instaurer une routine de rangement et de respect de ses effets personnels, améliorer l’hygiène général. * autonomisation.
    • La soutenir pour qu’elle obtienne une place de travail dans une fabrique pour son jour de congé et des soirées de baby-sitting à la Croix-Rouge afin qu’elle gagne son propre argent, comprenne sa valeur et le prix d’un effort et finalement augmente son autonomie.
    • Etablir des contrats avec droits et obligations entre les parties, concernant les sorties de Maria et la vie domestique. 
    • Demandé et obtenu du beau-père de lui donner une somme d’argent de poche de façon fixe et régulière. Le but est de garantir les besoins minimums de Maria en vêtements, de lui assurer un pouvoir d’achat prévisible et de lui apprendre à faire et tenir un budget.
    • Inscription dans un club de kung-fu : dépenser, exprimer et canaliser sa violence. Lui faire apprendre un art de combat (alors qu’elle a déjà agressé des paires) est un signe de la confiance que l’éducatrice place en elle, et ainsi une occasion d’augmenter son estime personnelle.
    • Assistance aux devoirs scolaires car Maria est intelligente et a de nombreuses compétences. Toutefois elle manque de continuité et ses efforts scolaires fluctuent avec ses états internes,  ses problèmes familiaux et ses relations sociales.
    • Jeu de rôle pour expérimenter le point de vue de l’autre et verbaliser une émotion plutôt que de se laisser submerger
    IV EVOLUTION CLINIQUE
    Le milieu familial présente des aspects de pathologies psychiques et l’effet du système est toujours préjudiciable pour Maria. Les progrès réalisés sont fluctuants et on a l’impression que lorsqu’un problème est réglé, la famille semble en inventer un autre. L’idée est de préserver la meilleure situation possible pour Maria et de lui permettre d’accéder au plus tôt à son autonomie financière et affective.
    V LE POINT : 4 mois plus tard…
    Malgré la médiation et les engagements pris par la direction de son école, le directeur a renvoyé Maria. Cette dernière a été accueillie par une école qui axe beaucoup l’enseignement sur la pratique et prépare les jeunes à leur avenir professionnel. Maria a mal vécu cet événement mais elle a réussi à gérer sa déception et sa colère sans éclats de violence. Aujourd’hui, elle apprécie ses nouveaux copains et se réjouit de trouver du travail afin de gagner son autonomie financière. Cela lui permettra de prochainement quitter le foyer familial où la situation n’a pas changé. La fin de l’intervention du SPCPE est programmée.
    Milos H, 16 ans, Kosovar






    I CIRCONSTANCES D’INTERVENTION DU SPCPE :
    Milos a été récemment arrêté pour cambriolages, forfaits commis avec ses copains du quartier. Suite à ses mauvaises fréquentations et à ses mauvais résultats scolaires (il est sur le point de passer en « Terminal », l’équivalent des « classes spéciales »), il est question de placer Milos en institution. Les assistants sociaux suivent déjà toute la famille car les quatre autres enfants ont aussi des difficultés scolaires et les parents ont besoin d'assistance pour toutes les démarches administratives.
     

    II PRESENTATION RESUMEE DES OBSERVATIONS :

    Modèle transactionnel

    Culture
    La famille H. est originaire du Kosovo. Ils sont de culture musulmane mais ne sont pas pratiquants. Les traditions de la famille se nourrissent de cohésion et de fidélité au clan, d’amour et de fierté familiale ainsi que d’orgueil national. Il y a aussi la force du mythe d’une vie brillante, où le travail assure richesse et réussite sociale. Le père est venu en Suisse pour y gagner fortune et les cinq enfants rêvent d’être médecin ou banquier… La télévision véhicule aussi abondamment son lot de rêves et de fantasmes.

    Environnement
    Toute la famille vit sur la rente AI du père et de subventions diverses. Ils vivent modestement dans un appartement adéquat pour sept personnes. Les parents ne travaillant pas, ils sont très présents au domicile. Mais souffrant tout deux de douleurs chroniques, ils se plaignent “d’avoir les nerfs à vifs” (selon leurs dires), ce qui entrave leur capacité d’attention et de patience vis-à-vis de leurs enfants. Il y a quantité de présence suffisante mais la qualité de l’implication semble  insatisfaisante. 

    Famille
    Parti en héros, Monsieur H est venu en Suisse dans les années 80 pour travailler sur les chantiers et assurer un meilleur avenir à sa famille. Après quelques années, la famille a bénéficié d’un regroupement familial qui s’est fait à l’heure où la situation du Kosovo se dégradait. La famille H. a laissé dans un pays en guerre tout son réseau familial et social. Mme H. se dit très affectée par ce fait et se culpabilise, surtout depuis que des parents de sa famille sont tombés sous les balles de la guerre. Elle souffre depuis cette période d’insoutenables migraines qui la forcent à rester alitée des jours durant. M. H. a quant à lui été victime d’un accident de travail qui lui a laissé une infirmité dorsale et des douleurs chroniques. Son identité personnelle s’étant construite sur sa force de travail, cet accident a également eu une énorme incidence sur son état psychique : il vit dans le souvenir de l’homme puissant qu’il était et éprouve du mal à développer une nouvelle identité intégrant son handicap et sa passivité. Le couple vit dans une sorte de « vase clos heureux » et fuit les réalités dérangeantes. Leurs enfants sont source de fierté, de joie et représentent  leur principal contact au monde.

    Les cinq enfants rencontrent tous des difficultés d’apprentissage scolaire (particulièrement en français, les conjugaisons françaises étant très différentes de leur dialect maternel) . Il semble qu’il y ait entre eux une forte rivalité fraternelle. Par  fierté chacun cherche à cacher ses lacunes, qui,  passant sous silence sont détectées tardivement.

    Contexte extrinsèque proximal : parents
    Les parents sont très aimants et confiants vis-à-vis de leurs enfants. Il semble y avoir une forme de naïveté, tant ils ne veulent ou ne peuvent pas voir la réalité de leurs difficultés. Ce sont des parents extrêmement tolérants et compréhensifs face aux frasques de leurs enfants, dont ils minimisent toujours la responsabilité. Souffrant tous deux de maux chroniques, ils présentent des attitudes passives, voire dépressives. Ils subissent les événements et  veulent croire que tout va bien.
    Bien que leur père valorise la réussite par le travail, les enfants pensent qu’il doit son infirmité à son métier, que c’est une injustice sociale et que dans la vie il faut être malin et savoir se débrouiller. 

    Contexte intrinsèque: enfant
    Milos présente un tempérament calme, posé et curieux. Etant le deuxième enfant, il abuse un peu de son statut de grand pour éviter toute participation communautaire et obtenir des privilèges. Il a tendance à   « magouiller » pour trouver son avantage, à manipuler les gens et à les utiliser pour son profit. Il semble aussi qu’il soit assez influençable par ses copains qu’il trouve parmi les jeunes du quartier, dans des bandes de « zonards ». Milos accorde une grande importance aux signes extérieurs de richesse, aux marques etc…

    Contexte de médiation parents-enfants
    Relation : Les relations semblent être du type sécures (cf  Situation étrange de M. Ainsworth) permettant une bonne autonomisation des individus. Les parents couvent et couvrent leurs enfants, quoi qu’ils fassent. De leur côté, les enfants ont tendance à mentir, afin de protéger leurs parents de souffrances ou de désillusions. Il y a une grande symbiose et une forte loyauté familiale. Quand il a appris le cambriolage commis par Milos, son père n’a pas voulu y croire et a rappelé que «Milos, c’est un bon gars …».

    Comportements interactifs, pratiques éducatives 
    Il y a peu de règles familiales. Le système patriarcal, hérité des traditions kosovares, veut que la mère se charge des corvées, ce qu’elle fait quand elle est soulagée de ses migraines. La maladie des parents a certainement influé sur leurs capacités à imposer des  règles et à se confronter à la cohue des enfants : ils évitent tout conflit. Si quelque chose dépasse vraiment les bornes, les parents s’énervent et  s’époumonent, mais la crise n’est suivie d’aucune redéfinition des limites et d’aucune sanction. La communication quotidienne concerne essentiellement les éléments factuels mais elle est fluide et empreinte de rire et de complicité.

    DSM IV  : Troubles oppositionnels avec Provocation
    (313.81) (F91.3)

    Seuls deux critères étant remplis, le diagnostic de Troubles oppositionnels avec provocation ne semble pas indiqué.

    DSM IV  : Troubles des Conduites
    (312.8) (F91.x)

    La présence de trois critères positifs au cours des douze derniers mois (cambriolage et vols) dont au moins un dans les six derniers mois (mensonges récurrents) dans les items concernant la fraude et le vol ainsi que le problème concernant le respect des horaires de rentrée iraient dans le sens d’un diagnostic de Trouble des conduites, léger du fait qu’il a occasionné peu de dommages à autrui et que cela a débuté pendant l’adolescence. Les symptômes ne me semblent pas mieux répondre à un autre diagnostic, si ce n’est des symptômes réactionnels. Il est par contre certain que ses comportements troublent de façon significative sa vie scolaire et sociale.
     

    III DESCRIPTION DES INTERVENTIONS PROPOSEES 

    • Travail de prise de conscience des raisons qui poussent Milos à mentir, à tricher, à éviter les situations embarassantes. 
    • Travail de prise de conscience de la responsabilité de ses actes personnels et leur conséquences pour sa vie
    • Travail sur une juste estime de soi, pour investir des valeurs qui correspondent à sa personnalité et affermir sa capacité de résister à l’influence d’un groupe d’amis
    • Contrat de sortie entre parents-Milos avec sanctions prévues si écarts de conduite.
    • Jeux de rôle pour oser demander aux professeurs des explications complémentaires car souvent Milos, par manque de vocabulaire, ne comprend pas ce qu’on lui demande en classe. Comme il en a honte il préfère se taire et perdre le fil du cours.
    • Tentative de se fixer des objectifs scolaires par étapes et de s’y tenir (particulièrement pour le conjugaisons, etc…).
    • Soutien scolaire important pour stopper la spirale d’échec.
    • Inscription à un cours de dessin, activité que Milos dit aimer mais où il a l’impression de plafonner, afin de lui offrir la possibilité d’une activité et d’apprentissage agréables, de lui permettre de faire de nouvelles rencontres pour renforcer un réseau social plus positif.
    • Contrat pour qu’il aide ses cadets dans les devoirs scolaires (lui permettre de montrer les connaissances qu’il a, d’éviter le retard scolaire des petits et de participer à une responsabilité communautaire). Renforcer également la croyance en un potentiel familial dans lequel puiser en cas de difficulté.
    • Soutien aux parents pour qu’ils gagnent en objectivité, qu’ils prennent leurs responsabilités parentales, qu’ils réalisent les enjeux, qu’ils s’impliquent dans la vie, etc….
    • Passation d’une échelle d’évaluation de la douleur et de la maladie à la mère afin de l’aider à en cerner les causes et aide pour trouver un médecin compétent, des médecines alternatives, des cours de sophrologie, le tout dans le but de soulager ses migraines.
    IV EVOLUTION CLINIQUE
    Bien que des progrès aient été notés au niveau des résultats scolaires avec les deux plus petits et pour le partage des tâches entre tous les membres de la famille (les deux garçons de 16 et 19 ans font leurs parts et aident aux devoirs scolaires), on sent une certaine inertie dans ce système familial. Certaines règles de vie communautaire sont mieux comprises et partagées, les limites horaires sont davantage respectées et les problèmes judiciaires de Milos semblent avoir cessé. Même si les parents prennent conscience de leurs responsabilités, ils ont du mal à être actifs et partie prenante dans l’éducation de leurs enfants. Comme la prise en charge est prévue à court ou moyen terme, il commence a être question de laisser cette famille puiser dans ses ressources personnelles, à moins qu’une demande explicite et motivée ne soit adressée.
    V LE POINT : 4 mois plus tard…
    Suite à l’intervention d’un orthophoniste kosovar, la situation linguistique du dialecte parlé en famille à été précisée. Il est ainsi possible de mieux les aider dans l’apprentissage du français, notamment au niveau des verbes et de leurs conjugaisons. Milos progresse lentement mais régulièrement à l’école et son estime de lui en parallèle. Il a de plus en plus de plaisir à dessiner et son cours lui a permis d’acquérir de nouvelles techniques. Comme il découvre l’envie de se former professionnellement, il a envoyé un dossier d’inscription à l’Ecole des Arts et Métiers.  Les « contrats » sont globalement respectés et Milos développe des relations moins sournoises, plus clairs avec les autres. Depuis que son grand frère a trouvé du travail comme ouvrier et ramène son salaire à la maison, c’est toute la dynamique familiale qui sort de son abattement et les cadets sont motivés par l’espoir de se créer une situation professionnelle. Il n’y a plus eu d’incidents avec la police. La fin de l’intervention du SPCPE est programmée.