Le
médecin angoissé
Le
docteur X est un médecin généraliste. Il ne peut plus
exercer. La maladie est apparue tardivement (à 47 ans), quelques
mois après le décès d’un de ses patients de mort subite.
Pourquoi
ne peut-il plus travailler ? Tout d’abord, lorsqu’il voit un patient en
consultation, il l’interroge longuement, pose mille questions, pratique
un examen physique tellement soigneux qu’une moyenne de deux heures trente
est nécessaire pour chaque malade. La peur de se tromper, de passer
à côté d’une maladie grave l’incite à s’entourer
de précautions exagérées, à multiplier les
examens aussi coûteux qu’inutiles dans le but de se rassurer. Parfois,
après un doute interminable sur le choix des médications
et de leur posologie, il est amené à prescrire un traitement.
Il est alors obligé de reprendre l’ordonnance des mains du patient
jusqu’à trois ou quatre fois pour vérifier s’il ne s’est
pas trompé. A t’il écrit le nom du bon médicament
? A-t-il prescrit la bonne posologie ? A-t-il indiqué la durée
du traitement ? L’angoisse est terrible et assiégeant
Le
pire est atteint s’il doit faire une injection à l’occasion d’une
visite à domicile. Il disparaît alors dans la salle de bains
un temps tellement long que le patient peut croire qu’il a eu un malaise.
Il n’en est rien. Le docteur X se lave et relave les mains jusqu’aux coudes,
manches relevées, puis s’asperge d’alcool comme pour une intervention
chirurgicale. L’opération peut durer une bonne demi heure. Il est
impossible de ne pas se rendre compte qu’il y a là une petite bizarrerie
comportementale. La désinfection du bras du patient n’échappe
pas à la méticulosité pathologique. La durée
et la vigueur de la désinfection est telle qu’elle finit par entraîner
une rougeur sur le bras de ce pauvre patient. Puis vient le moment le plus
redouté, celui de l’injection : le docteur X est obsédé
par la peur de faire une embolie gazeuse, accident grave, rarissime qui
peut survenir si l’on injecte une énorme quantité d’air dans
une veine. Malgré cela, l’angoisse du docteur X est telle que l’injection
se fait lentement et méticuleusement. Quand elle est terminée,
le problème n’est pas pour autant réglé. Le médecin
attentif se sent obligé de rester auprès de son malade encore
une bonne demi-heure.
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