Pratiquer l’écriture automatique consiste
à rédiger un texte dicté par une nécessité
interne, le subconscient par exemple, sur lequel nous ne devons exercer
aucun pouvoir. Nous ne devons ni choisir le sujet du discours, ni choisir
les mots, ni intervertir l’ordre de ces mots dans la phrase, ou des phrases
dans le texte. Une fois le texte écrit, il reste à tâcher
d’en découvrir le sens. Celui-ci est, selon les surréalistes,
porteur d’un message que nous n’aurions pas pu libérer autrement
et qu’il s’agit de connaître et de comprendre soi-même totalement.Voici
comment André Breton résumait
la recette de cet art magique surréaliste :
“On vide son esprit,
On laisse jaillir les
mots spontanément,
On laisse parler le
langage, s’opérer une sorte de dictée de l’inconscient,
On transcrit strictement
ce qui apparaît dans la conscience claire”.
La découverte
Dans le revue Littérature du premier
novembre 1922, ainsi que dans le Manifeste du surréalisme
(1920), nous découvrons l’origine de cette discipline d’écriture.
Breton révèle:
“J’ai été amené à
fixer mon attention sur des phrases plus ou moins partielles, qui, en pleine
solitude, à l’approche du sommeil, deviennent perceptibles pour
l’esprit sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination
préalable.”
Des
influences extérieures
Dans le Manifeste du surréalisme, Breton
reconnaît la dette que lui-même et ses amis doivent à
Freud. Encouragés par les découvertes du freudisme, Breton
et Soupault veulent intégrer
les méthodes de la psychanalyse à leur démarche créatrice.
Comme Freud avec ses patients, ils tentent de tirer
eux-mêmes un monologue incontrôlé susceptible de faire
apparaître “une réalité absolue, une “surréalité”
si l’on peut ainsi dire”. Mais ce n’est pas seulement dans le freudisme
que l’on peut voir l’origine de cette démarche. Jean Starobinsky
considère que l’influence de Pierre Janet, médecin psychiatre,
passe pour jouer un rôle prépondérant dans la pensée
de Breton.
Buts
de l’écriture automatique
Il est nécessaire de préciser
que la pensée automatique n’est ni pauvre ni répétitive,
signes d’une grande misère psychologique; elle est au contraire
une incitation à l’expression de l’inconscient de l’être.
Ce que Breton et ses amis recherchent dans cette expérience, c’est
à découvrir une autre langue, susceptible de mieux rendre
compte de la vérité de l’être et de sa richesse. Mais
cette langue existe déjà ou, plus exactement il existe un
discours qui jamais ne peut se libérer de toutes les censures qu’exercent
sur la personne le monde extérieur et l’individu lui-même.
C’est donc ce texte qu’il s’agit maintenant de publier.
Caractères
de l’écriture automatique
Alors que, dans la langue “classique”, c’est
la pensée qui donne au discours sa forme, l’inverse se produit dans
al pratique de l’écriture automatique où le signe précède
la sens. Il résulte de ce phénomène que le texte peut
provoquer sur le lecteur des réactions qui vont de l’étonnement
à la surprise jusqu’à l’émerveillement.
Le deuxième caractère de cette
démarche est qu’elle est accessible à tous. Elle peut déboucher
sur la prise de conscience d’une capacité des êtres à
révéler leur propre richesse intérieure et, partant,
leur pouvoir.
Enfin, le troisième effet de cette
pratique est qu’elle permet une révélation de soi à
soi-même. Elle permet aussi, par le désir qui la sous-tend
(désir de connaissance), d’aller au-delà des apparences limitées
du “visible”, d’opérer cette “dé-réalisation” dont
parle Ferdinand Alquié, et qui a pour effet de projeter sur les
objets extérieurs un autre regard propre peut-être à
révéler leur intimité, à mieux en rendre la
vérité profonde.
Techniques
de l’écriture automatique
Sur un exemplaire des Champs magnétiques
Breton a écrit des notes éclairant la pratique de l’écriture
automatique. Il constate d’abord que le doute peut naître sur la
valeur, l’authenticité de phrases produites dans le demi-sommeil
évoquées dans le Manifeste du surréalisme à
l’exception de quelques-unes.
Trouver le moyen d’une expression totalement
gratuite de le pensée pose évidemment certains problèmes,
et si Breton a choisi Soupault pour cette expérience, c’est parce
qu’il avait remarqué chez lui un don de gratuité réel.
Il dit en effet:
“Rien dans sa poésie, dans sa conversation,
dans ce que j’apercevais à cette époque de sa vie ne me donnait
à craindre qu’il eût un but c’est-à-dire autre chose
que des moyens”.
Les
difficultés rencontrées
La mise en oeuvre du projet d’écriture
par cette méthode fait surgir bien des problèmes, et parmi
eux :
- Comment échapper à l’influence
des mots, des phrases déjà transcrites quand on veut en transcrire
de nouvelles ?
On ne peut que difficilement, d’une séance
d’écriture à une autre, occulté ce qui a été
dit ou pensé. Alors comment reprendre l’exercice sans l’influence
du souvenir, dans un état de virginité absolue de l’esprit
?
- Comment rompre tout à fait avec le
monde environnant, préoccupation habituelle de l’esprit ?
- Comment se libérer de toutes les
formes de la censure, ce qui demande un effort très grand, un contrôle
social et personnel que l’on n’est pas accoutumé à produire
? Ces difficultés faisaient dire à Breton que, finalement,
il est bien plus facile de s’exprimer selon le système de pensée
contrôlée que selon celui de la pensée automatique.
- Comment, enfin, être sûr de
la valeur du message automatique autrement qu’en passant par la surveillance
de la pensée consciente, ce qui est à priori impossible,
voire absurde, puisque précisément c’est de cette manière
que la démarche tend à se libérer ?
On comprend mieux
ainsi quels problèmes pouvaient se poser à Breton quant au
choix d’un partenaire de travail et quant à la mise en oeuvre globale
de l’exercice.
C’est ainsi que pour rédiger Les
Champs magnétiques, certaines conditions sont posées.
Il faut déterminer une vitesse d’écriture
en conformité avec l’atmosphère du passage. Il faut absolument
conserver les règles de la syntaxe, faute de quoi seraient réduits
à néant les “mots en liberté, les futuristes”.
Les
résultats
Les textes élaborés selon cette
méthode posent, eux aussi, de nombreux problèmes.
Les “oeuvres” ainsi obtenues sont confrontées
avec un” corpus” littéraire déjà existant et elles
se noient dans un ensemble où elles n’ont rien à faire. Pourront-elles
être perçues pour ce qu’elles sont vraiment, dans leur originalité
?
La présentation finale du texte exige
de passer par une mise en forme plus ou moins fidèle. Breton, conscient
de cette nécessité, et des questions qu’elle soulève,
déclare dans une lettre à Roland de Renéville:
“Nous n’avons jamais prétendu donner
le moindre texte surréaliste comme exemple parfait d’écriture
automatique. Même dans le mieux “non dirigé” se perçoivent,
il faut bien le dire, certains frottements… Un minimum de direction subsiste,
dans le sens de l’arrangement du poème”.
Les
dangers de l’écriture automatique
Dans “Le message automatique”, article publié
dans la revue Minotaure en décembre 1933, Breton précise
que ce mode d’écriture comporte des dangers pour ceux qui s’y livrent
de manière soutenue: “Hallucinations, perte de soi”, c’est-à-dire
dissociation de l’esprit telle qu’on peut l’atteindre dans les séances
de sommeil hypnotique, “qui peut aller jusqu’au vertige de la mort ! “.
C’est pour cela qu’il parle à propos des Champs magnétiques
d’un livre dangereux. Cependant, cette expérience a eu, pour Breton
en particulier, le mérite de lui donner la force d’écrire
à une époque où il ne voyait devant lui que vide et
désespoir.