chapitre 4 La modélisation des processus cognitifs
Pour mieux discuter cette anatomie, nous allons d'abord donner une définition de la décision simple. Elle correspond à la classe de "problème relativement bien défini" que l'on retrouve dans la littérature de la science cognitive. (Cf. Huber 82:109) qui s'inspire des travaux de Dörner et de Simon).
Un problème existe, si:
Il existe des buts de très longue durée, voire permanents. Ceux-ci sont souvent liés au bien-être du décideur et n'ont pas forcément un rapport très direct avec le problème qu'il doit résoudre. Toutefois, leur rôle est crucial. Quand, par exemple, un fonctionnaire doit prendre une décision délicate, il pense aussi aux implications qu'a sa décision sur lui et son organisation. Ou encore, lorsqu'il y a une pression "de la rue" pour résoudre un problème perçu, le politicien ne perçoit peut-être pas lui-même le phénomène en tant que problème, mais il a concrètement le problème d'avoir un problème sur les bras. Autrement dit, le but de préservation (politique) est activé, car une non-réponse à l'environnement est potentiellement menaçante. Un deuxième ensemble important de buts à long terme est lié à la fonction du décideur. Plus sa position politique est élevée, plus il a des buts généraux de maintien ou de poursuite de quelque chose qui concernent son environnement. Cognitivement parlant, ces buts restent souvent dans un état semi-actif. Ils sont scrutés périodiquement ou alors activés par un stimulus venant de l'environnement. Lorsqu'un problème apparaît, plusieurs de ces buts peuvent "s'activer". Ils sont souvent liés entre eux, parfois de façon conflictuelle. (Par exemple, l'Etat doit fournir des bonnes prestations mais il doit limiter ses dépenses). Ces deux classes de buts (maintien du décideur, buts de l'environnement liés à sa fonction) peuvent être exceptionnellement créées lors d'un processus de décision, mais le plus souvent ils sont seulement activés, identifiés, poursuivis ou légèrement modifiés. Nous les appelons buts universaux ou centraux. Ces buts sont organisés dans un réseau relativement stable ayant des relations hiérarchiques (but - sous-but) et des relations de priorité (importance relative). Sans être logiquement cohérent, ce réseau joue un rôle important dans toute activité du décideur. Une grande partie des croyances d'Axelrod et des codes opératoires de George déjà discutés concernent ces buts généraux.
Le buts qui concernent plus spécifiquement la finalité d'une décision seront appelés buts généraux de la décision ou simplement objectifs de la décision. Dans les théories de choix traditionnels (par exemple la théorie des jeux discutée plus haut), on présuppose que ces buts sont connus par le décideur et qu'ils sont bien définis. Les études de politique publique et de politique étrangère (Steinbrunner, Lindbloom, Crecine, Allison, etc.) ont montré que ce n'est pas le cas en règle générale. La définition de ces buts généraux de la décision ne sont obtenus qu'après un long processus. Souvent, ils restent mal définis, voire contradictoires. Ces objectifs de décision sont toujours en interaction avec les buts universaux et parfois sont engendrés par ces derniers.
Au début du processus de décision, il faut faire une analyse de la situation comme nous l'avons vu et une analyse de buts qui tienne compte des buts universaux concernés. La plupart des buts généraux de la décision sont définis dans les termes suivants: il existe une situation B dans laquelle la situation A actuelle doit être transformée. Ceci ne signifie pas que la définition du problème et les buts à atteindre soient complètement identiques au fond. Le but doit tenir compte du nécessaire et du possible. Par exemple, le chômage est un problème pour certains dans nos sociétés, mais cela ne signifie pas que la société devrait avoir pour but le plein emploi. Trop de chômage est un problème pour la société, mais il est parfois trop coûteux de le réduire à un niveau plus acceptable.
Une troisième catégorie de buts intervenant dans le processus de la décision fait partie de cette décision, elle possède un rôle instrumental à la poursuite de la décision. Nous allons les discuter ci-dessous.
Jusqu'à présent, nous avons traité la décision comme un processus qui a comme point de départ un problème et comme fin une sorte de solution. Pour que notre modèle soit encore plus près de la réalité politique, il faut inclure la décision-processus dès le départ dans l'activité totale du décideur, pour cela nous revenons au modèle de Doerner (83).
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(a) La définition du problème
Au premier stade, le décideur perçoit un problème. Ce problème doit être exprimé dans des termes plus précis. Le décideur rassemble autant d'informations que nécessaires pour prendre sa décision (cf. Hussy 84:196). Ce qui est nécessaire est défini par plusieurs facteurs, entre autres par les exigences du problème et par les ressources que les agents peuvent investir. Une partie importante de cette information est fournie par l'environnement. A l'aide de média variés, le décideur se renseigne sur le problème à résoudre (angl. "problem instruction"). Lui-même ou d'autres agents donnent au décideur une définition (parfois cohérente, parfois non) de la situation. Très souvent, le décideur identifie au même moment les buts à atteindre à la fin du processus. Une autre source importante pour la définition du problème est la mémoire sémantique et épistémique du décideur. Tout ce qu'il perçoit l'est en fonction de connaissances déjà existantes. Ainsi on comprend déjà pourquoi le stade suivant (définition de buts) est très lié à celui de la définition du problème. (b) Définition et utilisation de buts
Les buts ont des fonctions multiples à la fois au niveau du comportement général (survie) et au niveau instrumental (planification des actions). Par rapport aux activités du décideur politique, nous pouvons distinguer plusieurs classes de buts. (c) La résolution du problème
Résoudre un problème identifié signifie plusieurs choses. Au problème à résoudre, on associe au moins un but à atteindre. En politique, atteindre ce but implique souvent atteindre plusieurs sous-buts en parallèle. Ces sous-buts peuvent être décomposés à leur tour. Ce processus est appelé factorisation car chaque sous-but reflète un problème partiel à résoudre. Grâce à des connaissances stratégiques, le décideur essaie de diviser un problème en des unités plus réduites qui respectent un ordre hiérarchique, temporel et causal. Une fois cette factorisation accomplie, il s'agit de coordonner et de contrôler la poursuite des sous-buts et de régler d'éventuels conflits. Cette décomposition du problème en sous-buts (ou sous-problèmes selon un autre point de vue) ne représente que le niveau supérieur des opérations. La réalisation de sous-buts met en oeuvre des connaissances multiples, telles que l'application d'instruments de pilotage (comme des instruments juridiques) ou l'allocation de ressources. Au plan cognitif, il s'agit d'élaborer, ou de retrouver et d'adapter, des plans que l'on peut exécuter. Nous reviendrons plus tard sur ce point. (d) L'évaluation
Vers la fin d'une décision-processus, le décideur évalue l'effet des mesures (décisions) prises par rapport au but à résoudre. Il teste si les actions ont eu l'effet voulu. En fonction des résultats, certains processus de résolution de problème doivent être répétés et modifiés, jusqu'à ce que le sous-but concerné ait été atteint de façon satisfaisante. En politique, cette évaluation se fait souvent d'une façon informelle. S'il existe parfois un contrôle détaillé des effets voulus, il manque en règle générale une analyse de l'impact global d'une action politique. Un tel impact entre seulement dans l'évaluation lorsqu'un but universel a été "réveillé" dans le cours du processus complet de la décision. (e) Le processus complet de décision
L'organisation globale d'une décision-processus (donc de la décision qui inclut les stades cités ci-dessus) est le résultat de l'interaction de plusieurs couches de "processus". Il existe une ou plusieurs stratégies générales de la décision ou de résolution de problème. Ces stratégies ne sont pas des "programmes" fixes, mais des heuristiques qui organisent et qui contrôlent le processus. Certaines connaissances s'activent peut-être comme des "démons" (c'est-à-dire quand c'est nécessaire), mais d'autres sont mobilisées de façon "top-down" ou "goal-driven"). Ainsi, il ne faut pas confondre la description d'un processus de décision avec le savoir qui est impliqué dans sa génération.
THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94