[Next] [Previous] [Up] [Top]

chapitre 4 La modélisation des processus cognitifs

4-1.1 Le décideur: une première synthèse


Le décideur humain est un organisme ancré dans un environnement: c'est un acteur social. Il doit être décrit et traité comme un système ouvert qui, activement, saisit de l'information, qui la traite et qui agit. Il possède une certaine indépendance cognitive: il est "équifinal" (il peut atteindre le même but avec des moyens différents) et il est auto-organisateur. Décider veut dire agir. Une action, dans le cas idéal, possède une finalité, elle est consciente, planifiée et voulue. (Cranach 80:77). Un tel idéal-type doit être distingué du "pur comportement" qui n'est que réaction. L'action du décideur se trouve quelque part entre ces deux extrêmes, mais plus près de l'action "idéale".

La décision, même simple, fait partie d'une action (angl. "acting behavior"). Dans un sens étroit seulement, elle se ramène à un choix. Dans un sens plus général, la décision implique des opérations cognitives: la perception initiale du problème, la formulation de buts, leur définition pas à pas, leur transformation et leur réduction par des processus de résolution de problèmes (y compris le choix) jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée. La solution peut être définie comme plan d'action à exécuter partiellement par l'acteur et partiellement par l'environnement. L'action sociale est toujours "située" (cf. Suchman 87). Les décisions-actions complexes dans des environnements actifs et complexes comme le monde politique ont une structure qui ne se limite pas à l'enchaînement des quelques éléments cités, elle se constitue à partir de multiples décisions subordonnées.

La décision est un produit de "fonctions" internes et externes. Pour le psychologue, elle est le produit d'un problème (tel qu'il est perçu par le décideur) et de la nature du décideur. Cette perspective isole trop le décideur de son environnement cognitif externe. Pour le sociologue ou le politologue cognitiviste, la décision implique des processus cognitifs, des requêtes de communication et des facteurs sociaux internalisés. Le processus de décision interne est le fruit d'une multitude de structures de connaissances interagissantes, actives et passives, épistémiques et heuristiques.

Nous distinguons entre (1) la décision-processus, (2) la décision simple et (3) la decision complexe (ou les décisions au sens propre), et finalement (4) la décision-choix. En ignorant un peu le principe d' "ouverture" de la décision sociale, on définit ces trois catégories de la façon suivante:

  1. La décision-processus possède comme point de départ la perception floue d'un problème. Ensuite interviennent des décisions simples ou d'autres opérations cognitives qui aboutissent parfois à des exécutions de plans, à la définition de buts, ou parfois à la redéfinition du problème. Elle aboutit à une évaluation des résultats.

  2. La décision complexe commence par un problème flou qui appelle à être préciser et factoriser en sous-problèmes abordables. Elle aboutit également à une évaluation des résultats.

  3. La décision simple a comme point de départ un problème bien formulé, un ensemble d'activités de résolution de problème et aboutit à l'élaboration d'un plan.

  4. La décision-choix possède comme point de départ un ensemble d'alternatives (d'action) et aboutit à un choix (d'action).

Ces quatres types de décision peuvent apparaître récursivement les unes dans les autres. En règle générale, en politique, les décisions simples font toujours partie d'une décision-processus, et les décisions-choix font partie de décisions simples. Donc, à priori, une décision en politique est liée à un processus. La perspective de recherche qui ne s'intéresse qu'aux résultats de choix n'est pas la nôtre. Dans le monde empirique, la prise de décision et même le simple choix entre plusieurs alternatives impliquent toujours un traitement d'information en plusieurs étapes (cf. Svenson 79). Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment une personne arrive à une décision et non pas pourquoi, car on peut toujours justifier rationnellement une décision en inventant un problème de choix a posteriori. Le "pourquoi" est une conséquence du "comment" et non inversement.

Par la suite, nous esquisserons la décision simple et la décision processus par deux modèles idéal-typiques. Les étapes de la décision que nous allons présenter ne sont pas des étapes causales et temporelles strictes. Ces modèles décrivent en termes rationnels la prise d'une décision, mais ne représentent pas une réalité psychologique précise*1. Il existe trois raisons principales pour cela: (1) seuls des problèmes fermés (comme un problème arithmétique) peuvent être définis en terme d'état indésiré à transformer en état de but à l'aide d'un certain nombre d'opérateurs connus*2. Beaucoup de problèmes en politique sont mal définis. L'état actuel du problème et le but à atteindre sont souvent mal connus et doivent être élaborés dans un dur labeur. (2) Un décideur politique doit s'occuper de plusieurs problèmes à la fois. Ces problèmes ont une interdépendance qui peut être forte, par exemple, ils peuvent affecter des buts communs. Aussi, même si un problème est attaqué d'une façon isolée, il n'est jamais perçu totalement en dehors du contexte. Sa perception, la définition de buts, les moyens d'actions envisagés etc. sont affectés par cet effet "réseau". (3) Dans de nombreux problèmes, les solutions ne sont pas trouvées par des moyens clairs et transparents, mais par des processus de raisonnement (individuels ou institutionnels) associatifs comme l'analogie. Ce dernier argument nous impose des limites épistémologiques que nous allons discuter plus tard.


THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94

Generated with WebMaker