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3. Quand "savoirs" et "savoir-faire"collaborent efficacement dans des situations qui leur donnent un sens

3.3. Verbalisation et résolution de problème: l'extraction des connaissances expertes


3.3.1 Les système hybrides

Toujours dans le domaine de l'informatique, un autre exemple significatif de ce type d'évolution pourrait être celui de la conception des systèmes experts. Un système expert est un programme qui contient des connaissances sur un domaine sous la forme de règles du genre <Si Condition1, Condition2, .. Alors Action A>. Ces systèmes sont utilisés principalement dans les domaine du diagnostic et de la prise de décision [médecine, géologie, contrôle de processus industriels]. Leur mise au point nécessite l'extraction des connaissances expertes et pour ce faire les concepteurs utilisent principalement des techniques qui reposent sur la verbalisation [pour une revue détaillée de ces questions, voir Cordier et al 1990, pp 66-69, dans le volume 2 du Traité de Psychologie expérimentale]. Cette extraction est d'autant plus difficile que l'on s'intéresse généralement chez l'expert à des connaissances procédurales très automatisées [par exemple, imaginez que l'on demande à un enseignant pourquoi il a fait telle ou telle intervention en classe] (Evans, 1988). De plus, les experts que l'on interroge se plaignent de ne pas pouvoir toujours expliciter les procédures qu'ils utilisent sous la forme qu'on leur impose. Ils préfèreraient parfois pouvoir simplement citer une analogie ou un exemple concret comme explication à leur décision. Pour palier à ces difficultés [et aussi améliorer l'efficacité des systèmes], une nouvelle génération de systèmes experts [dits systèmes "hybrides"] a été mise au point. Ils permettent d'allier les avantages de l'apprentissage par l'exemple et de l'apprentissage par règles (Amy, 19xx, Giacometti, 1992).

La première forme d'apprentissage est prise en charge par un système basé sur une architecture de réseaux de neurones, la seconde par un système à base de règles de production classique. Schématiquement parlant, le réseau de neurones artificiels apprend à reconnaître les exemples donnés par l'expert et à les associer à des conclusions. Ce système ne sait rien des règles qui pourraient éventuellement produire ce résultat de manière déductive (il sait faire mais ne "sait" pas expliquer). Le système à base de règles, quant à lui, est chargé de retrouver ces règles et de demander à l'expert si elles sont compatibles avec ce qu'il connaît du domaine. Il a donc en charge la cohérence du domaine. Dans le cas où il n'y arrive pas, il conserve quand même cette connaissance dans son répertoire. Par la suite, le système pourra l'activer mais ne pourra pas logiquement justifier sa réponse.

Si la performance de ces systèmes n'est pas encore optimale [il s'agit d'un secteur en plein développement], les utilisateurs-experts chargés d'alimenter le système en connaissances considèrent cette approche comme plus facile et plus fiable que les architectures classiques basées sur les seules systèmes à base de règles. De plus, elles ouvrent de bons modèles à la psychologie cognitive pour tester les différents modes d'interaction qui supportent l'apprentissage par l'exemple et l'apprentissage par règles.

3.3.2 La verbalisation comme observable

Bien qu'elle se réfère essentiellement à l'évaluation d'une méthode de recherche, un autre exemple de ce même phénomène pourrait être l'étude de la verbalisation comme source d'observables dans l'étude du fonctionnement cognitif (Caverni, 1988). Il est bien connu que la psychologie scientifique a comme objectif de valider des modèles et, pour ce faire, elle a besoin d'indicateurs. Si les temps de traitement ou les mouvements occulaires peuvent dans certains cas bien précis être de bons candidats, les activités mentales finalisées ou intégrées nécessitent bien souvent que l'on utilise la verbalisation comme source unique d'informations sur les processus étudiés.

Ces verbalisations sont-elles fiables ? Peut-on être certain qu'elles rendent compte de l'activité cognitive sous-jacente ? L'évaluation de ces techniques a fait l'objet de nombreux débats et de travaux expérimentaux [voir la synthèse de J.P. Caverni (1988)]. Les principales objections que l'on fait couramment aux méthodes de verbalisation appartiennent à deux catégories d'arguments: 1) la verbalisation modifie les processus observés [ce n'est donc pas une bonne méthode] et 2) les processus mentaux ne sont pas accessibles par la verbalisation. Pour des raisons de temps, nous limiterons notre propos d'aujourd'hui aux seules situations de résolution de problèmes et au premier de ces points.

De nombreuses recherches attestent que la verbalisation des actions affecte en effet la performance d'un sujet placé devant un problème à résoudre, mais ces résultats dépendent en grande partie du moment où a lieu cette verbalisation et de la nature des indicateurs utilisés. Schématiquement la verbalisation améliore la performance des sujets lorsque celle-ci est demandée pendant la phase de recherche et de mise en place des procédures de résolution. Par contre, elle gène la phase d'exécution de ces mêmes procédures et ce phénomène est d'autant plus sensible que les procédures invoquées sont, par nature, difficilement verbalisables.

3.3.3. L'effet d'auto-explication

Ces résultats peuvent être aussi mis en relation avec l'effet d'auto-explication (Chi et al., 1989) [self-explanation effect] bien connu par ailleurs des psychologues de l'apprentissage. Les bons "résolveurs" de problèmes sont ceux qui "commentent" pour eux-mêmes les exemples qu'on leur donne à étudier et sont ceux qui cherchent à "comprendre" ce qu'ils lisent. A l'inverse, les mauvais "résolveurs" se bornent à paraphraser ce qu'ils lisent sans vraiment chercher à comprendre. Dans ce type d'activité, il semblerait donc que la verbalisation est un processus qui favorise la mise en place de nouvelles procédures, au moins pendant la phase d'apprentissage. Là encore, la raison profonde de ce phénomène est probablement à rechercher du côté de l'aide que procure l'explicitation d'une structure hiérarchique de sous-buts [comme dans l'exemple précédent sur les modes d'emploi]. Si elle est un obstacle à leur mise oeuvre lors de la phase d'exécution, c'est probablement en raison de la surcharge cognitive qu'elle implique alors que le soutien en terme de décomposition des actions n'est plus nécessaire.

[On pourrait aussi parler des métaconnaissances et de leur rôle de régulation de l'activité dans le fonctionnement cognitif]

3.3.1 Les système hybrides
3.3.2 La verbalisation comme observable
3.3.3. L'effet d'auto-explication

Template Expertise - 01 FEB 95
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