La Danse des abeilles

Un système de communication remarquable, propre aux abeilles, permet de diffuser dans la colonie un grand nombre de renseignements ou de messages, le lieu de provenance de la nourriture (quantité, lieu et origine florale) par exemple. Pour se faire comprendre, les hommes disposent de la parole ; les abeilles s’expriment différemment, grâce à un système de communication à base de mouvements, d’odeurs, de repères visuels et de sons, qui constitue leur langage. Ainsi, les ouvrières se transmettent des informations par signes tactiles (code anténnaire), olfactifs ou chimiques ; elles s’informent par des sortes de gesticulations que l’on appelle ¨danses¨ dont la signification à été découverte par le savant autrichien Karl von Frisch.
On peut comparer ce comportement au recrutement chez la fourmi.
Karl von Frisch rapporte, dans sa biographie, ce qu’il observa, un jour de printemps 1919, après avoir marqué d’une tache de peinture une butineuse exploitant une coupelle d’eau sucrée : ¨ L’ouvrière de retour à la ruche se mit à danser en rond, entourée d’abeilles qui témoignèrent d’une grande excitation, ce qui provoqua leur envol vers la coupelle pleine. ¨ Les travaux qui allaient découler de cette observation ont permis d’élucider une grande partie des mystères de la danse et ont valu à leur auteur le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1973.
Tout d’abord, l’abeille qui a trouvé une source de nourriture, régurgite une partie de sa récolte de nectar. Puis, aussitôt, elle exécute une série de mouvements très stéréotypés.  Elle se met à exécuter, sur le rayon ou elle se trouve, une sorte de danse en rond : elle décrit un cercle, se retrouve à son point de départ, fait demi-tour et reprend le même mouvement en sens inverse.
Plusieurs ouvrières, d’abord attirées par l’odeur du nectar, s’approchent, suivent la recruteuse, et reproduisent la danse de cette dernière. Dans les conditions normales, la danse s’exécute dans l’obscurité de la ruche close. Les autres abeilles ne peuvent donc voir la danseuse, et si elles remarquent son agitation et la suivent de près dans toutes ses évolutions, c’est exclusivement grâce à leurs perceptions tactiles et olfactives. Elles captent le mouvement au moyen de leurs antennes, perçoivent le parfum de la nourriture. Puis brutalement, les suiveuses quittent la ruche.
 
Notons que la danse en rond concerne uniquement les butins dont la distance ne dépasse pas 25 mètres. Lorsque la découverte est plus éloignée, l’éclaireuse venue avertir ses compagnes exécute une danse plus compliquée, destinée à leur indiquer la direction et la distance du lieu à découvrir : c’est la danse frétillante, qu’on peut observer sous sa forme la plus typique dès que la distance est d’au moins 100 mètres.
Sur le rayon, l’abeille effectue d’abord un court trajet rectiligne (franchissant cinq rangs d’alvéoles au maximum, dans le cas des grandes distances) ; elle décrit ensuite un demi-cercle qui la ramène à son point de départ, refait le trajet rectiligne, décrit un nouveau demi-cercle symétrique au premier. L’éclaireuse recommence ainsi ce parcours complet pendant quelques minutes. A chaque trajet rectiligne, la danseuse se met à ¨frétiller¨ de l’abdomen, c’est-à-dire à le faire vibrer rapidement de gauche à droite tout en émettant un bourdonnement rythmé. Les abeilles alertées se mettent alors à suivre la danseuse et la palpent de leurs antennes afin de recevoir divers messages.
Il a déjà été mentionné que les abeilles ne peuvent guère ¨entendre¨ les vibrations portées par l’air, mais qu’elles ont une sensibilité très fine à l’égard des vibrations de leur support. Dès lors, elles peuvent, lorsqu’elles piétinent le rayon, percevoir le bruit grésillant de la danseuse car les vibrations stimulent de minuscules récepteurs cachés au niveau des pattes. Effectivement, la danse frétillante, et tout spécialement sa phase de trajet rectiligne avec frétillement, est suivie par les accompagnatrices avec grande attention.
 
La danse frétillante. La danseuse frétille et émet des sons au milieu du 8 puis revient alternativement par la droite et par la gauche. Quatre réceptrices observent la danse. Dans la réalité, les réceptrices seraient plus nombreuses.

Mais comment la danseuse a-t-elle transmis l’information permettant de diriger ses sœurs ?
Deux aspects différents quant à la localisation de la nourriture son transmis d’une façon assez précise et quantitative. Il s’agit de la distance et de la direction de la source de nourriture. Les abeilles semblent donc capables d’échanger des informations topographiques.

1) La direction de la source s’exprime par la direction donnée au parcours rectiligne. Cette correspondance ne peut être immédiate que si la danse a lieu à l’horizontale et en vue du soleil. Conditions réalisées sur la planchette d’envol ; là, la danseuse effectuera le parcours rectiligne dans la direction réelle de la nourriture, en s’orientant d’après le soleil.  La précision de l’angle dessiné par la danseuse est remarquable, l’erreur n’excédant pas ± 3°.
Mais en général les danses sont exécutées à l’intérieur de la ruche, sur un rayon suspendu verticalement. Il faut donc une transposition. L’abeille accomplit sa danse sur un rayon vertical si bien que l’angle de sa course relatif à la verticale est le même que l’angle de la nourriture relatif au soleil dans l’horizon plan. La direction du soleil est donc représentée par la verticale, vue de bas en haut ; et l’angle que faisait la direction du butin avec celle du soleil est reproduit par rapport à cette verticale ascendante. Si la découverte se trouve exactement dans la direction du soleil, la danseuse exécute son parcours rectiligne de bas en haut ; s’il se trouve exactement dans la direction opposée, elle va de haut en bas ; si le butin est à 45° à gauche de la direction du soleil, l’abeille monte obliquement vers la gauche, à 45° de la verticale ascendante ; et ainsi de suite. Les autres abeilles mesurent l’angle de sa danse en relation avec la verticale. Aussi, quand elles sortent de la ruche, elles retransmettent sur l’horizon plan ce qu’elles savent, utilisant le soleil comme direction de référence et volent alors vers la nourriture.
 
 
 
Grâce à la danse frétillante, la danseuse désigne l'emplacement d'une source de nourriture aux butineuses. Sur les rayons verticaux de la ruche, l'angle formé entre la verticale et l'axe du 8 leur indique la direction à suivre par rapport à l'azimut solaire.
Choisir l’astre du jour comme repère ne simplifie par la tâche des abeilles car, au cours de la journée, il change régulièrement de place par rapport à la ruche. Mais les abeilles s’en accommodent apparemment fort bien et savent intégrer le mouvement apparent du soleil. Effectivement, les abeilles disposent pour se guider d’un véritablesens de l’orientation. C’est une faculté de leur cerveau que de pouvoir utiliser le soleil comme boussole. De plus, pour se diriger, elle tient compte du temps écoulé depuis la découverte d’une source de nourriture. Autrement dit, l’abeille enregistre dans sa mémoire l’orbite du soleil dans sa course céleste. Ainsi une source de nourriture découverte la veille au soir avec le soleil à l’ouest est-elle retrouvées le lendemain sans difficultés. A l’aube, l’abeille s’élance dans la même direction que la veille, bien que le soleil se situe cette fois à l’est. De plus, lorsqu’au cours d’une journée des butineuses se rendent toujours vers la même source de nectar, parce qu’elle est abondante, la direction de leur danse se modifie sans cesse avec le changement de position du soleil en fonction de l’heure et de l’angle. L’abeille a donc un sens inné du temps. Elle rectifie en permanence la direction qu’elle indique pour une source de nourriture. Par exemple si le soleil a varié de 30° en plus par rapport à la source de nourriture elle augmente de 30° l’angle de sa danse.

Ainsi, de nombreuses expériences ont démontré que les abeilles, comme la plupart des animaux, ont une horloge biologique. Comme nous venons de le voir les danseuses peuvent ajuster la direction de leur danse en fonction du temps qui passe. De même, les réceptrices ajusteront progressivement les angles mémorisés pendant la danse. Karl von Frisch a montré pour s’orienter d’après le soleil, les abeilles n’ont pas besoin de voir ; il leur suffit d’apercevoir un coin de ciel bleu pour en déterminer la position. Cela vient du fait que la lumière bleue du ciel est en grande partie polarisée (la lumière est dite polarisée quand ses vibrations sont orientées de façon bien déterminée et se trouvent dans un seul et même plan). Notre œil d’humain ne perçoit pas cette lumière, mais bien l’œil à facettes de l’insecte qui, par sa structure, peut en détecter les plans de vibration et s’en servir pour se diriger. Ces plans sont toujours orientés d’après la position du soleil et varient avec les changements de direction de la lumière en fonction de l’heure ; autrement dit, en chaque endroit du ciel les vibrations de la lumière polarisée possèdent une direction propre. Les abeilles peuvent donc profiter de cet atout sensoriel pour déterminer la position du soleil lorsque le ciel est couvert, à condition qu'un petit bout de ciel bleu soit visible. Des expériences ont démontré que l’influence du ciel bleu sur les abeilles tient bien à la polarisation de la lumière qui s’y propage.

Il semble que cette orientation astronomique ; astronomique parce qu’elle est basée sur le repère du soleil ; soit en partie ancrée dans leur patrimoine héréditaire car chaque abeille doit aussi apprendre, durant sa prime jeunesse, à connaître la course du soleil, d’après les contingences locales avant de pouvoir se servir de sa ¨boussole¨.  La nature les a donc sans doute dotées de dispositions particulières pour cet apprentissage vital. Dans ce sens, la tradition des générations passées doit avoir joué un rôle important, et l’on entrevoit donc l’intervention de l’hérédité.

2) La distance qui sépare la source de nourriture de la ruche est transmise par les aspects variés de la façon dont la danse est effectuée, incluant la vitesse à laquelle l’abeille tourne, le rythme de la danse de l’abdomen et celui du bourdonnement ; plus la nourriture est proche plus les mouvements sont rapides et légers. On ne sait pas lesquelles de ces mesures sont utilisées exactement par celles qui reçoivent l’information ; peut-être est-ce un mélange de chacune d’elle. L’abeille exécute en moyenne 40 tours par minute si la distance à indiquer est de 100 mètres, 24 tours s’il s’agit de 500 mètres. Pour les grandes distances (pouvant aller jusqu’à 11 km environ), la danse devient très lente et les oscillations de l’abdomen sont d’autant plus prolongées et appuyées.
La courbe montre comment le rythme de la danse diminue à mesure qu’augmente la distance.


La courbe montre comment le rythme de la danse diminue à mesure qu’augmente la distance.

Comment connaissent-elles  donc la distance à laquelle elles se trouvent par rapport à la ruche ? Des observations effectuées lorsqu’il y a beaucoup de vent, jettent un jour sur la manière dont elles évaluent les distances. Lorsqu’elles volent contre le vent pour aller vers la récolte, elles indiquent, à leur retour à la ruche, une distance plus grande que celle qu’elles annonceraient si le temps était calme, et si le vent les pousse, elles en indiquent une plus petite. S’il n’y a pas de vent mais qu’elles doivent s’élever au-dessus du flanc escarpé d’une montagne pour atteindre leur butin, la danse s’en ressentira : son parcours rectiligne sera plus long ; après avoir dévalé une pente, il sera plus court. Il est donc manifeste que c’est le temps que nécessite leur vol vers un objectif, ou la dépense énergétique qu’il entraîne, qui leur tiennent lieu de jauge dans l’appréciation des distances.

Entre la danse en rond et la danse frétillante proprement dite, il existe des formes intermédiaires, qui concernent les distances de 25 à 100 mètres. Variables selon les races, ces formes peuvent se ramener à deux types : la danse en 8 et la danse en faucille. Il s’agit d’une suite de deux boucles ayant un même point de départ et débutant chacune par un bref parcours frétillant. La bissectrice naissant au point d’intersection indique la direction, tandis que la distance du butin est exprimée par la longueur des deux parcours frétillant. Ceux-ci se confondent si la distance atteint 100 mètres et nous retrouvons ainsi la danse frétillante décrite plus haut.

Les abeilles rentrant d’une exploration fructueuse ne dansent pas n’importe où dans la ruche. Elles se rendent généralement à un emplacement de danse bien déterminé. Là, d’autres abeilles attendent : des butineuses rentrée bredouilles, qui vont recevoir le message des danseuses, enregistrer la direction, l’éloignement, l’abondance et la nature de la source du butin découverte et ce à l’aide de leurs sens olfactif, tactile et vibratoire.

Les danses des abeilles n’auront leur pleine signification biologique que si elles sont provoquées uniquement par la découverte d’endroits où la récolte est bonne et abondante. On ne danse pas pour un butin qui ne mérite pas qu’on batte le rappel. La richesse du butin dépend non seulement de la quantité de nectar que les fleurs sécrètent, mais encore de sa concentration en sucre. L’importance des annonces que les pourvoyeuses font à la ruche se règle donc de la manière la plus simple sur la richesse des récoltes découvertes.

A l’appel des éclaireuses répondent un nombre plus ou moins grand de butineuses, suivant l’intensité des danses, et cette intensité dépend à son tour de la quantité de nectar découverte, de sa concentration, et aussi des besoins de la population. Une source pauvre ou de nectar peu concentré fera danser plus volontiers et plus intensément les abeilles d’une ruche affamée que celles d’une colonie bien pourvue ! L’intérêt collectif dirige toute la vie des abeilles.  A nouveau, nous constatons que la ruche constitue une société étroitement intégrée, dont les membres se spécialisent et coordonnent leurs activités de manière à réaliser une œuvre cohérente.

En plus des indications sur la position de nourriture la recruteuse renseigne ses sœurs également sur la nature de sa trouvaille et de sa qualité, d’une part à l’aide du pollen dont elle est recouverte et des odeurs qu’elle véhicule, et d’autre part, en régurgitant une partie du nectar récolté ou encore par communication anténnaire. L’éclaireuse rapporte en effet de son exploration le parfum spécifique de la fleur. Les abeilles ont encore une autre manière de parler à l’odorat de leurs compagnes pour les attirer vers une source de nectar. Elles utilisent leur organe odorant (glande de Nasonov), lors du survol des fleurs, quand une récolte prometteuse rend désirable la collaboration d’autres auxiliaires. Après avoir exécuté sa danse en rond, l’éclaireuse retourne la première vers les fleurs repérées, fait saillir son organe odorant et parfume l’air ambiant. Elle leur facilite la découverte du but par cet appel du parfum. Les abeilles alertées arriveront ainsi droit au but.

Selon le chercheur américain Adrian Wenner, les odeurs auraient d’ailleurs un rôle bien plus important que celui d’indiquer la nature de la source alimentaire. Wenner, en effet, conteste fortement les conclusions de Karl Von Frisch, le savant autrichien qui découvrit les mécanismes de la danse. Wenner ne nie pas l’existence des danses mais en rejette la signification et leur attribue une explication beaucoup plus simple. Selon Wenner, la façon dont les abeilles butineuses, excitées par la danse d’une recruteuse, trouvent la source de nourriture correspond à une sorte de piste olfactive. Ce serait en volant dans l’environnement de la ruche, et grâce à leur pair d’antennes très sensibles, qu’elles remonteraient l’odeur correspondant à la nourriture, pour l’atteindre.
Ces critiques sont restées fortement gênantes pour Von Frisch et ses élèves, jusqu’à ce que ces derniers mettent au point un petit robot capable de reproduire la danse des abeilles.

La danse du micro-robot
Cet artefact, mis au point par des chercheurs allemands et danois, est capable de reproduire tous les mouvements d’une abeille danseuse. La mise au point d’une danseuse robot a été un pas important pour étudier les divers paramètres de la danse. Muni d’une lame qui peut vibrer sous l’action d’un électro-aimant, il est plus à même de reproduire très fidèlement les vibrations sonores émises par les ailes des abeilles recruteuses au cours du trajet frétillant. Le micro-ordinateur qui le dirige a été programmé pour que le robot puisse décrire, en terme de danse, une localisation selon le code décrypté par Von Frisch. On peut donc contrôler tous les paramètres de la danse grâce à un logiciel. Cela permet de modifier isolément chaque mouvement et de créer des danses atypiques. Les premières expériences réalisées en 1988, montrent que le robot est capable d’attirer l’attention  d’ouvrières butineuses et de les diriger correctement sur des sources alimentaires prédéterminées. Une fois de plus, il s’avère que les abeilles obéissent aux instructions de la courses frétillantes. Celle-ci apparaît donc comme le ¨paramètre principal¨ dans le transfert de l’information concernant à la fois la distance et la direction. Toutes les tentatives préalables, dans lesquelles l’aspect sonore avait été négligé s’étaient soldée par un échec. Les vibrations émises par les ailes de la recruteuse au cours de son trajet frétillant jouent un rôle fondamental : la danse des abeilles n’est qu’une chorégraphie, c’est un ballet accompagné d’une partition.
 
Une abeille face à son double électronique. A l'avant du robot, un tube libère une solution sucrée et aromatisée qui permettra in fine aux butineuses d'identifier la nature de la cible. A l'arrière, les ailes sont simulées par un morceau de lame de rasoir. (Cliché Mark Moffett, Mindem Pictures) 
Le modèle mécanique en situation La fine tige de gauche est reliée à un électroaimant et fait vibrer l'aile métallique. L'axe central fait décrire au robot les mouvements de la danse (frétillement et 8). Enfin, à droite, l'injecteur d'échantillons de nourriture est relié à une seringue. L'ensemble du dispositif est sous le contrôle d'un ordinateur. (Cliché Mark Moffett, Mindem Pictures)

Repérage dans l’espace
Les scientifiques se sont penchés sur les danses des abeilles et sont parvenus à expliquer les raisons de leur forme. Il reste pourtant des mystères difficiles à expliquer, notamment la mémoire que les abeilles ont en elles pour retrouver leur ruche. On sait que lors de sa première sortie l’abeille décrit de grands cercles pour bien se repérer. Elle s’orientera, entre autres, par rapport à la présence du soleil. Mais la place du soleil évolue et l’abeille demeure capable de retrouver sa ruche. Elle la situe aussi par rapport à la végétation environnante ou aux constructions, soit aux formes et aux couleurs. Ensuite, elle y revient presque automatiquement. Ainsi, nous avons pu observer qu’une abeille prélevée dans une ruche et conduite, enfermée, à plusieurs centaines de mètres, est parfaitement capable d’y retourner. On la voit alors décrire de grands cercles en cherchant sa direction, puis partir tout droit vers sa ruche. Dans ce cas, elle n’avait pas pu se repérer lors de sa sortie de la ruche. Cela prouve qu’elle garde en mémoire la localisation de sa ruche par rapport à son environnement général.

Les abeilles se repèrent surtout d’après la lumière mais elles utilisent  aussi parfois une trace au sol : les abeilles dépourvues de dard (Meliponinae : Trigona postica, T. ruficrus et T. geotrigona) ne s'orientent pas selon des danses mais grâce à ; des marquages tous les quelques mètres entre le nid et la source de nourriture que les ouvrières averties peuvent suivre. Une éclaireuse fait plusieurs allers et retours avant de déposer les marques. Elle peut déposer des sécrétions mandibulaires quand elle a atteint un âge de 40-50 jours. Les abeilles déposent leurs marquent sur des feuilles, des branches ou même des mottes de terre. La plupart des espèces laissent des distances régulières entre les marques. Cela varie de 2m. à 10-30m. Les odeurs restent environ de 8 à 19 minutes. Ce marquage très performant chez certaines espèces semble insuffisant chez d'autres qui requiert un guide pour emmener les autres ouvrières vers la source de nourriture. Les composants chimiques de marquages semblent aussi remplir le rôle de phéromone d'alerte. On a enfin pu montrer que certaines espèces marquaient aussi les sources improductives de nourriture avec des phéromones répulsives.

La danse de l’essaim 
Les abeilles utilisent également le langage de la danse pour indiquer les emplacements d’eau, de résine (utilisée pour boucher les fentes de la ruche et de fixer les gâteaux de cire), et les emplacements favorables pour un nouveau nid (pendant l’essaimage). Dans ce dernier cas, un intérêt particulier s’attache aux danses des ¨éclaireuses¨ qui ont été en quête d’une demeure et donnent alors connaissance à un essaim de la situation d’un endroit ou s’installer.

Immédiatement après avoir essaimé, les abeilles se réunissent autour de leur reine et forment une ¨grappe¨, qui est la plupart du temps suspendue à un arbre des environs. C’est alors aux éclaireuses qu’incombe la tâche de découvrir à la jeune colonie un abri approprié. Les émissaires s’en vont par douzaines, dans toutes les directions, et il ne faudra pas longtemps pour que l’un ou l’autre d’entre eux ait découvert, ici ou là, un emplacement qui mérite d’être pris en considération, quand bien même il serait à des kilomètres de distance. A leur retour, les éclaireuses dont les recherches ont été couronnées de succès dansent sur la grappe formée par l’essaim, et indique ainsi la direction et l’éloignement de l’abri qu’elles ont trouvé, exactement comme le font les pourvoyeuses pour la localisation d’une récolte. A la suite de cela, on observe un nombre croissant de danses dans l’essaim ; les unes indiquent une petite distance, les autres une plus grande ; celles-ci une telle direction, celles-là encore une autre, chacune selon l’habitat découvert. Il est curieux de constater que la vigueur avec laquelle la danseuse invite les ouvrières à se joindre à elle, est en rapport avec le lieu en faveur duquel elle se démène. De même que les danses, pour une récolte abondante et très sucrée, sont pleines de vitalité et mettent toute la colonie en émoi alors qu'elles s’alanguissent lorsque le nectar possède moins de qualités, ainsi les éclaireuses, s’en tenant à des normes très strictes, dansent d’autant plus vigoureusement que l’abri découvert par elles répond mieux aux besoins de la colonie. Et ici, beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte : les dimensions de l’excavation repérée, le fait que son entrée soit protégée du vent et qu’il n’y ait pas de courants d’air à l’intérieur, une éventuelle odeur qui devra plaire aux abeilles, et qui sait quoi d’autre encore !

Alors se produit, en quelques heures ou parfois même en quelques jours, une chose extrêmement remarquable. Les danseuses les plus animées sont suivies d’un nombre de plus en plus grand de compagnes qui sont allées explorer l’endroit signalé et qui – après s’être pour ainsi dire convaincues après s’être aperçu de ses qualités – se mettent à danser et à faire de la propagande pour lui. Il arrive même que des danseuses qui jusqu’alors avaient fait du racolage en faveur d’une autre demeure présentant moins d’avantages, soient entraîner par le tourbillon d’une éclaireuse plus heureuse qu’elles et se laissent convertir, en ce sens qu’elles commencent par suivre leur concurrente dans la grappe de l’essaim, puis que, obéissant à ses directives, elles s’en aillent visiter l’autre abri et finissent même par faire du recrutement pour leur rivale. Beaucoup d’éclaireuse qui ne pouvaient défendre leur découverte avec autant d’ardeur, cessent tout simplement de danser lorsque les choses ont atteint ce stade. Peu à peu, on en arrive ainsi à une unification : toutes dansent au même rythme et selon la même direction, et dès que les choses en sont là, la grappe de l’essaim se disloque et s’envole, sous la conduite de centaine d’ouvrières qui connaissent déjà le chemin, vers l’objectif qui a recueilli, de tous, le plus de suffrages.

Les abeilles sont donc vraiment à même de lire l’heure à une ¨montre intérieure¨. Ainsi, lors de la danse de l’essaim, il arrive que les abeilles restent dans la ruche pendant de nombreuses heures et, durant ce temps, elles continuent, en répétant leur danses, à attirer l’attention sur la possibilité de nidification qu’elles ont découverte. Il ne leur est pas possible de voir que, dans l’entre-temps, le soleil progresse sur son parcours céleste, car elles sont dans la ruche. Pourtant, dans leur marathon de danse, elles changent d’une façon continue leur angle par rapport à la direction de la verticale, et cela de la valeur exacte représentant la modification intervenue en même temps dans l’angle entre le but et la position du soleil. En se comportant ainsi, elles nous fournissent une nouvelle preuve qu’elles possèdent une ¨montre intérieure¨ et sont familiarisées avec le parcours quotidien du soleil.

Autres danses
D’autres mouvements plus ou moins dansants ont été observés, mais leur signification échappe encore aux chercheurs. Tantôt il semble que des abeilles engagées dans une action cherchent à y entraîner leurs compagnes : ainsi peuvent s’expliquer notamment les ¨danses bourdonnantes¨ d’avant la période d’essaimage, par lesquelles certaines abeilles, se déplaçant à grand bruit d’ailes, bousculent les autres pour les rallier au futur essaim. Tantôt les mouvements observés apparaissent comme des phénomènes individuels auxquels les voisines ne prêtent pas attention : telles les ¨danses tremblantes¨ qui peuvent agiter des abeilles plusieurs heures durant, généralement à la suite de quelques événement fâcheux pour elle. Cependant rien n’indique que ces manifestations servent à la compréhension entre individus. Tandis que les danses signalant des sources de nourriture, constituent véritablement un langage.

Particularité régionale
Les différentes races d’abeilles ont à travers la danse chacune leur mode d’expression et certaines différences de langage sont  observées. En mélangeant des abeilles yougoslaves et des abeilles italiennes, on s’est aperçu que, pendant quelques jours, elles ne se comprenaient pas. Des observations plus poussées mirent en évidence que, pour une distance donnée, les italiennes faisaient un moins grand nombre de parcours, et que les yougoslaves cherchaient trop loin : on venait de s’apercevoir que chaque race d’abeille possède son dialogue particulier, et cela vous étonne-t-il, les plus méridionales avaient l’accent traînant !
 

La danse des abeilles est un langage exceptionnel dans le monde animal. Généralement, les systèmes de communications des animaux ne s’intéressent qu’aux événements immédiats, les concernant directement ou ayant trait à leur environnement (possibilité d’accouplement, approche d’un prédateur…). Les abeilles, elles, utilisent un langage abstrait pour transmettre une quantité considérable d’informations sur des événements lointains.
Il est donc étonnant de découvrir qu’un animal si éloigné des mammifères et des oiseaux, l’abeille, qui soit doté d’un système de communication aussi complexe et sophistiqué. De plus, la maîtrise que les abeilles possèdent de leur environnement est surprenant.
 
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