VII LA FONCTIONNALITÉ DU RÉSEAU
En général, les écoles qui communiquent via Internet possèdent un site web, comme nous l’avons observé dans le chapitre six, un site web facilite les contacts entre les écoles. Sur les huit classes rencontrées, quatre ne font pas du tout de communication via Internet, ces écoles n’ont pas de site web ou en ont un mais il n’est plus fonctionnel . Elles ont délibérément fait ce choix pour trois raisons différentes :
Ø l’envie de rester dans le type de correspondance classique, à savoir la correspondance postale, c’est le cas de l’école de Buloz.
Ø le choix de ne pas du tout en faire, c’est le cas de l’école d’Allonzier la Caille dont l’un des enseignants nous explique que ce choix n’est pas dépendant de l’outil qu’est Internet : « Si j’ai mis en place un système où il y a une communication vraie, que ce soit par lettre ou par Internet, ça produit pour l’élève du sens à sa communication donc la motivation elle est « j’ai un besoin de communiquer », Internet, ce n’est qu’un moyen mais la communication comme correspondance ou besoin d’écrire, ça a toujours existé à l’école et si c’est pour de vrai ça a toujours du sens, si c’est pour de faux, si je me met en contact avec une école et que derrière je n’ai pas établi du sens c’est-à-dire pas quelque chose de superficiel. Le média n’est qu’un média en l’occurrence, si ça se fait par lettre ça se fait aussi par Internet, la correspondance a pour moi autant d’importance que la correspondance par internet. Ce n’est pas le média qui donne du sens à l’acte de communiquer, Internet facilite les choses mais ne donne pas forcément du sens à ce que je fais, c’est à moi de créer un sens à la communication ».
Ø
Les difficultés de gestion de la classe, c’est le cas de l’école
du Puy Saint Martin, Florence Baudoin affirme en effet : « Un site
web faciliterait les communications. Je considère que c’est un peu comme un
journal d’école, c’est aussi donner envie aux enfants d’écrire des
textes, comme une vitrine, les parents y trouveraient des informations sur la
vie de l’école, que ce soit un peu plus transparent. Je pense aussi que
c’est une façon de mettre les enfants en situation réelle de communication.
On ne fait pas du tout de correspondance par web, mais on a des correspondants
par écrit car il est difficile de gérer la classe pour communiquer ».
Les
communications qui se font au sein du réseau pour les autres écoles
ne se font pas forcément entre les écoles de la Haute Savoie, au
contraire ces dernières préfèrent dans l’ensemble correspondre avec
d’autres écoles francophones (France , Suisse et Canada en particulier) et/ou
internationales. Il y a une volonté de s’ouvrir aux autres cultures, « les
réseaux parce qu’ils sont fondés sur une logique internationale créent des
situations particulièrement motivantes pour l’apprenant : le jumelage et
l’échange de courriers électroniques entre élèves et établissements de
pays différents sont parmi les exploitations pédagogiques les plus courantes
d’Internet », observent Serge
Pouts-Lajus et Marielle Riché-Magnier ( « L’école à l’heure d’Internet :
les enjeux du multimédia dans l’éducation » p.75). Le courrier électronique
permet d'élargir les champs de correspondance possibles, l’expérience de l’école
maternelle d’Anthy sur Léman est significative : « on
écrit dans des pays différents (en Belgique, au Canada, en Suisse et bien sûr
en France), à des groupes (classes entières, clubs informatiques), à des
personnes (un ingénieur au Japon, un étudiant à Chicago, une Mamie au Canada,
un petit garçon en Alsace). Nos correspondants n'ont pas tous le même âge et
c'est très enrichissant car les réponses à nos questions sont très différentes
et soulèvent beaucoup de discussions en classe » précise Elisabeth
Pouyou.
Les communications ne se font donc pas forcément entre les écoles du réseau,
une exception peut-être pour l’école élémentaire de Franclens qui cherche
à développer la correspondance entre les écoles rurales du plateau de la
Semine.
Il
existe au sein du réseau des écoles de Haute Savoie une quinzaine de listes de
diffusion pour les enseignants afin de développer la coopération et la
mutualisation des connaissances, mais aussi pour les classes avec différentes
activités pédagogiques, il s’agit en général de jeux de questionnements
(devinettes) ou autour de la lecture/écriture.
Ces diverses petites activités ont pour objectif principal de générer un cadre communicationnel entre les écoles au sein du réseau comme l’explique Michel Marinoff : « Au niveau des enfants, il y a le défi Internet, il y a aussi de petites activités, des jeux à mimes, certains collègues commencent à lancer des concours avec des énigmes chaque semaine. Cette année nous on ne l'a pas fait mais dès qu’on avait un questionnement, on le faisait sur Internet, on aurait pu trouver la réponse dans un encyclopédie, mais c’était utilisé un outil de communication tout en sachant qu’il ne suffisait pas seulement de demander mais aussi d'apporter des réponses quand on nous demandait quelque chose donc communiquer dans les deux sens du terme » (école de Franclens).
3.
Une notion importante : « le projet pédagogique »
Le
projet pédagogique se différencie des activités décrites dans le paragraphe
précédent en ce sens où l’engagement de la classe participante est plus
importante tant d’un point de vue durée (le projet souvent s’étale sur
toute une année scolaire, de plus on peut à n’importe quel moment abandonner
une activité diffusée sur les listes de diffusion, ce n’est pas le cas pour
le projet ) que d’un point de vue pédagogique (le travail à réaliser est
beaucoup plus conséquent et peut toucher plusieurs disciplines à la fois,
artistique et littéraire par exemple).
Lors de la création du réseau des écoles de Haute Savoie, les responsables lancèrent certains projets ( les contes autour du Léman et les échanges avec l’Italie) pour dynamiser les écoles. Ils mirent en place aussi cette année le projet Trait d’Union, suite à la demande de deux étudiants qui décidèrent de faire le tour du monde et qui demandèrent la participation des écoles à ce voyage via Internet.
Cependant
l’objectif des responsables est que les initiatives de projet proviennent des
enseignants eux mêmes comme nous l’explique Sébastien Gibert : « les
responsables du réseau veulent que les professeurs eux mêmes deviennent
acteurs du réseau pour qu’il soit fonctionnel. Au départ, ils étaient
actifs, maintenant place aux professeurs », ceci est confirmé par Jean
Claude Rossignol (gestionnaire du réseau) qui affirme qu’ils essayent
d’avoir un ensemble de choses qui sont collégiales, c’est-à-dire construit
par un groupe d’enseignants. Un seul projet a été lancé par une
enseignante, Elisabeth Pouyou (école maternelle d’Anthy sur Léman), il
s’agit des « Ibounômes » : suite à une correspondance
effectuée avec une école africaine, la classe maternelle s’est engagée via
Internet à l’apprentissage des sculptures africaines, ce projet a été
ensuite élargi aux écoles de Haute Savoie par l’intermédiaire de cette
enseignante.
On
observe donc de la part des enseignants une absence d’engagement tant au niveau
des propositions de projet qu’au niveau de leur participation, Trait d’Union
le projet de cette année ne regroupe que neuf écoles seulement, sachant que le
réseau répertorie trois cents dix huit écoles.
cette
notion de projet est pourtant très importante pour la bonne fonctionnalité du
réseau. Jacques Tardif dans son ouvrage « Intégrer les nouvelles
technologies de l’information : quel cadre pédagogique ? » (édition
ESF, 1998) nous donne l’exemple « d’une école québécoise, qui par
l’intermédiaire d’une commission scolaire (Les Manoirs), évolue dans un
contexte qui met l’accent sur la
réalisation de projets transdisciplinaires, le plus souvent collectifs, à
l’intérieur desquels une forte insistance est placée sur la coopération en
apprentissage » (p.105).
L’auteur a mis en évidence un paradigme d’apprentissage qui s’appuie sur la notion de projet et qui doit présenter les caractéristiques suivantes : l’amorce du projet commence par une question pertinente qui doit capter l’intérêt des élèves (émission d’hypothèses), ces derniers prennent conscience qu’ils ne peuvent y répondre immédiatement (mise en évidence des limites des connaissances : déséquilibre cognitif). Cette question doit être transdisciplinaire, c’est-à-dire qu’elle doit prendre racine dans des disciplines objets (sciences humaines, de la nature, …) auxquels se greffent des disciplines objets (français, mathématiques, arts plastiques). Cette question est enfin planifiée dans un soucis d’intégration des TIC (accès à l’information, production et communication de cette information par le courrier électronique et le web).
Il
n’est pas évident de mettre en place un projet pédagogique, la planification et la formulation sont très importantes, il faut tenir compte des compétences
des élèves, des ressources techniques (obligation souvent de fonctionner par
atelier, il faut définir la valeur des informations véhiculées donc répertorier
les sites éducatifs les plus pertinents. Le projet suppose en fait un travail
de collaboration entre les enseignants.
Justement
cette collaboration autour des TIC et pour chaque établissement scolaire
n’existe pas encore concernant les écoles de Haute Savoie. Souvent, les
technologies de l’information et de la communication ne concernent qu’une
seule personne au sein de chaque école, ce peut être le directeur ou un
enseignant, mais elle n’est pas l’affaire de toute l’équipe pédagogique.
On
a rencontré une forte disparité entre les écoles concernant l’intégration
des TIC, de même cette disparité se retrouve entre enseignants d’une même
école. Cette dispersion ne permet pas la création de projet, il est difficile
pour un enseignant à lui seul de lancer un projet qui suppose par son ampleur
un travail d’équipe.
Notre dernière hypothèse se confirme ainsi : la notion de réseau renvoie à la mise en relation de plusieurs écoles au sein d’un environnement géographiquement délimité. C’est le cas du réseau des écoles de Haute Savoie. Ce réseau cependant ne semble pas fonctionner car il n’existe pas de projet éducatif qui permettrait à ces écoles de travailler et donc de communiquer entre elles. Les flux communicationnels se dispersent dans et hors du réseau. Nous rajouterons que ces communications resteront à la fois dispersées et ponctuelles tant que les enseignants n’auront pas intégré dans leur comportement cette culture de réseau.