V    LES FORMATIONS AU CENTRE DU DÉBAT

 

1.  L’organisation des formations

2.   Le contenu des formations

3.   L’auto formation : une obligation

4.   Une insatisfaction générale    

 

                                            1. L'organisation des formations

Dans l’ensemble toutes les personnes interviewées affirment avoir suivi lors d’une année seulement un stage d’une semaine, suivi de quelques journées pédagogiques libres.

 Une exception cependant pour l’école d’Allonzier la Caille qui depuis le départ de l’ancien directeur, aucun professeur n’ a vraiment cherché à se former dans le cadre du réseau Edres, voilà ce qu’affirme la nouvelle directrice : « Aucune formation pour les quatre enseignants de l’école, il n’y a rien de systématique et d’obligatoire, donc y va qui veut. Les enseignants ont tous un ordinateur personnel et savent en gros les principales fonctions de l’ordinateur et d’internet. Il est rare dans les écoles qu’il n’y ai pas au  moins un enseignant qui connaisse l’informatique et qui est là pour aider les collègues et véhiculer les connaissances. D’une manière générale, nous ça va. Par contre, il est vrai que depuis deux ans, il y avait un directeur général, qui maintenant est parti, c’est lui qui avait préparé le site Internet de l’école et depuis qu’il est parti aucune mise à jour a été faite parce qu' effectivement il n’y a personne de compétent pour le faire, et surtout cela veut dire en dehors des heures de travail et ici il n’y a pas de décharge de directrice c’est-à-dire que la fonction de direction est faite pendant les heures libres ».

Les formations ne sont pas obligatoires et de très courtes durée, les enseignants qui y assistent sont volontaires et ont en général un projet comme la création d’un site web ou tout simplement un projet d’équipement en ordinateurs comme ce fut le cas pour l’école du Puy Saint Martin.

Ces formations sont institutionnelles, elles interviennent pendant le temps de service d’enseignement et sont gérées par l’Inspection Académique. il y a un groupe départemental informatique qui gère la formation continu des enseignants du premier degré, ce groupe départemental fait appel à un maître d’œuvre ou à des maîtres d’œuvre dont  l’IUFM de Grenoble. Il y a cependant un forte demande en formation, « une demande à laquelle on a du mal à répondre » explique Jean Claude Rossignol (gestionnaire du réseau), que ce soit au niveau de la formation ou de l’équipement ; de plus l’objectif est de raccorder toutes les écoles du réseau.

    Pour palier aux difficultés d’organisation des formations, un système a été mis en place. Ce système se base sur la formation entre collègues enseignants, il nous a été décrit par Jean Claude Rossignol : « On fait beaucoup de formations en s’appuyant sur le réseau des animateurs informatiques, c’est-à-dire qu’au niveau du premier degré, dans chaque circonscription en Haute Savoie il y a un instituteur qui a un mi temps pour s’occuper de l’informatique, l’accompagnement technique et pédagogique des écoles. Sur la Haute Savoie il y a 13 circonscriptions, dans chaque circonscription il y a ou il va y avoir deux demi postes pour des enseignants qui auront un temps de service déchargé pour s’occuper de l’informatique. Ce que l’on met en place comme structure c’est que cette personne coordonne un groupe d’enseignant intéressé par ce sujet  qui est le groupe de ressource informatique, sachant que le groupe ressource va faire un maillage de proximité. Ce sont des enseignants qui sur la base de rémunérations complémentaires ou du bénévolat, constituent un groupe de travail mais aussi une structure ressource pour l’ensemble des collègues. Moi je forme  l’ensemble de ces personnes au niveau du département. Donc on s’appuie pour la formation continu sur ce réseau, ce n’est pas nécessairement une formation structurée  mais plus un accompagnement, le dispositif est vaste. Cet accompagnement est en amont comment s’équiper, quel logiciel choisir, comment faire, aide au choix à l’équipement, surtout que maintenant parfois certaines écoles  s’engagent dans de gros budgets. Il y a l’équipement, la formation et l’accompagnement technique, mais aussi au niveau de la réalisation de projet, le groupe ressource informatique a du temps pour ça. Sachant qu’à partir de là, il y a en terme de progression, il y a de longues formations institutionnalisés c’est-à-dire où l’enseignant est remplacé dans sa classe, il prend une ou deux semaines en formation. Il y a aussi des formations conduites par le groupe de ressource informatique sous forme d’atelier. »

Deux des enseignants que nous avons rencontré sont des animateurs informatiques (tels qu’ils ont été décrit précédemment), il s’agit de Sébastien Gibert, enseignant à l’école de Gaillard Châtelet et responsable de la circonscription de Gaillard/Annemasse et Didier Chartres pour la circonscription de Thonon, enseignant à Anthy sur Léman. Sébastien Gibert explique que le groupe de ressources informatiques (GRI) de la circonscription de Gaillard/Annemasse (institutionnel)  rassemble des instituteurs (heures périscolaires payées) dont l’objectif est de former les autres collègues aux TICE (technologie de l’information et de la communication dans l’enseignement). Ils organisent des réunions et des conférences. Les responsables du réseau Edres délèguent beaucoup d’actions au GRI comme la formation (ordinateur, Internet et création de site) et l’aide technique (dépannage, mise en réseau des écoles de la circonscription). Lui aussi affirme que la demande en formation est très forte.

Il est vrai que le département de Haute Savoie couvre un  grand territoire, de nombreuses écoles sont des écoles rurales. Ce système d’organisation de la formation qui est un système de proximité semble être approprié pour ce type de situation .

Néanmoins la demande reste encore très forte car le système est nouveau, il est en train de se mettre en place d’une part et d’autre part les animateurs informatiques eux mêmes, qui ne l’oublions pas sont des enseignants, sont en cours de formation. 

 

2.     Le contenu des formations

 

La formation a porté surtout sur « l'outil informatique, cette année on a réalisé des fiches techniques pour pouvoir former les collègues sur des compétences de base comme brancher un ordinateur, imprimer, installer un logiciel, expliquer comment faire un site web » affirme Michel Marinoff (membre aussi  d’un groupe de ressources informatiques), les autres enseignants affirmèrent la même chose, Madame Baudoin  de l’école du Puy Saint Martin (Saint Julien en Genevois) précise que ce n’était pas un stage centré sur le rôle pédagogique de cette discipline dans les classes, il n’y a eu que quelques allusions. Le stage avait pour fonction d’initier les enseignants à l’informatique (Internet, le langage html pour la constitution d’un site, …).

 

Les formations portent donc sur les connaissances de base de l’outils informatique, cela traduit d’une part que tant que les enseignants n’auront pas acquis ces connaissances de bases, ils ne peuvent introduire les technologies de l’information et de la communication au sein de leurs classes et d’autre part ils ne peuvent passer à un second stade de la formation qui porterait sur  l’aspect pédagogique de cet outil (organisation, apprentissage et enseignement).

On peut penser que les nouveaux professeurs des écoles, sortant des IUFM, auront les connaissances requises pour l’utilisation des TIC, cela n’est pas encore évident comme le constate  Eric Bruillard dans sa réflexion sur « la formation aux technologies de l’information et de la communication dans les IUFM » (revue « Approche Transversale »), il observe que « les compétences des formateurs dans le domaine des TIC sont fort diverses, mais en général plutôt faibles, …, la formation des formateurs est une nécessité si l’on veut mettre en place une politique significative d’aide à l’utilisation des TIC dans la formation des futurs enseignants. L’organisation d’une telle formation n’est pas très aisée. Tous les IUFM s’attellent à cette tâche. »

 

                Il en reste pas moins que l’une des principales solutions actuelles pour les enseignants déjà en service reste l’auto formation.

 

3.     L’auto formation : une obligation

 

Un semaine de stage par an, cela est très peu pour acquérir de bonnes bases informatiques.  Cette semaine peut simplement être considérée comme une semaine d’initiation à l’outil informatique, c’est ce qu’a prévu le plan  national de formation  Elle peut avoir des résultats positifs pour les personnes qui ne connaissent pas du tout cet outil, pour les autres (qui ont certainement un ordinateur personnel), cette semaine ne leur apporte pas de nouvelles connaissances.

 Jean Luc Ballarin et Paul Benazet expliquent qu’il faut initier les enseignants aux notions fondamentales de méthodologie, d’introduction des TICE et ensuite des projets pourront effectivement se dégager et ceci dans un temps finalement assez court  (« Le Guide de l’Internet à l’Ecole »p.18 édition Nathan, 1999). Cependant même pour ceux dont cette semaine est bénéfique, si par là suite ils veulent s’investir dans des projets qui demandent des savoirs plus profonds (comme par exemple la création d’un site web ou la création d’un réseau interne), ils éprouveront forcément une forte demande en formation car les connaissances requises pour ces projets vont au delà d’une simple initiation.

 

            Pour palier à ce manque de connaissances, beaucoup font de l’auto formation, c’est le cas du directeur de l’école de Franclens : « je ne suis rentré que depuis cette année dans le groupe donc je n'ai eu que cinq journées de formation, mais ce n'est pas vraiment de la formation mais plutôt un travail où on prépare des outils pour les collègues, des animations. Je n'ai pas un statut d'informaticien, j'ai appris un peu sur le tas (notamment pour la création de son site d’école). je suis assez curieux donc j'ai pas mal de revues et j'essaye d'apprendre un peu tout seul mais c'est vrai qu'il y a beaucoup de choses encore, ça évolue tellement vite  ». Il en est de même pour Florence Baudoin (école du Puy Saint Martin) qui s’est investi personnellement dans l’achat de livres et a passé des heures (hors temps scolaire) à apprendre les techniques de mise en réseau pour le parc informatique de son école. Cette école, rappelons le n’a pas de site web, donc on observe que les problèmes de la formation est le même pour toutes les écoles confondues du réseau.

On peut aussi citer l’exemple d’Elisabeth Pouyou, institutrice à l’école maternelle d’Anthy sur Léman, qui à la différence des autres enseignants n’a eu aucune formation,  elle consacre de nombreuses heures de travail (malgré sa vie de famille) pour mettre en place des activités qui intègrent pour la plupart un aspect communicationnel. On notera que le site web qu’elle a crée (cela fait maintenant plus de deux ans ) a reçu le prix des Nets d’Or. Elle nous a expliqué que pour cette année, elle a fait une demande de stage auprès de l’inspection académique mais sans réponse, elle ne cache pas sa déception.

L’auto formation n’est pas évidente, elle demande un investissement en temps de travail pas facile à gérer pour les personnes qui n’ont pas de mi-temps déchargé et qui ont une vie de famille.

 

4. Une insatisfaction générale

               

                Une nouvelle structure pour la formation est en train de se mettre en place comme nous l’avons présenté dans le premier paragraphe, c’est la création de nouveaux postes d’ « enseignants informaticiens »  qui auront pour mission de former les collègues de leur circonscription;  cette structure est nouvelle, c’est la raison pour laquelle la demande en formation est très forte.

Nous avons mis en évidence ces observations à la suite d’entretiens réalisés avec des écoles qui possèdent déjà un parc informatique composé en moyenne entre dix et vingt ordinateurs. Qu’en est-il pour les écoles qui ne sont pas encore équipées et dont le raccordement sur le réseau n’a pas encore été effectué ? c’est la raison pour laquelle le titre paragraphe est « une insatisfaction générale ».

 

L’objectif du gouvernement en 1994, lors du lancement du projet sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, était de mettre en réseau toutes les écoles primaires avant la fin de l’année 2001/2002. Cet objectif sera difficilement atteint car les moyens pour l’équipement ne sont pas toujours disponibles pour de nombreuses écoles. Au meilleur des cas si cet objectif est atteint, la fonctionnalité même des réseaux d’écoles sera bloquée par des paramètres comme le manque de  formation  des enseignants ou encore les difficultés de définition du statut pédagogique de l’outil informatique et  multimédia.

 

Il est vrai que le projet est lancé depuis 1994, mais les fonds pour bien équiper les écoles n’ont pas suivi. Nous disons « bien équiper » car une école peut posséder des ordinateurs sans pour autant être dans la capacité  de s’investir dans des activités qui demandent un matériel performant. C’est le cas pour les écoles de Saint Julien en Genevois (Buloz) et d’Allonzier la Caille.

« L’équipement est à la charge des collectivités locales, à savoir les mairies, après il peut y avoir des aides complémentaires de l’Education National. A partir du moment où une école a monté un projet et en fonction des priorités de l’Education on va essayer d’aider au maximum ces projets » explique Jean Claude Rossignol (gestionnaire du réseau). En général, ce sont les mairies qui permettent aux écoles de s’équiper mais ces dernières font aussi appel aux dons comme c’est le cas pour l’école de Gaillard Châtelet qui possède vingt ordinateurs, douze sont issus de la mairie et le reste est un don de l’association Ordiécole. Il en est de même pour l’école d’Allonzier la Caille dont la directrice affirme : « on possède sept  ordinateurs plus un don récent de six unités centrale par une entreprise, certains remplaceront les vieux ordinateurs. Pour le moment on travaille qu’avec sept ordinateurs. Une partie a été acheté via les communes, ils sont obligés de fournir au moins un poste et une connexion Internet par école, le reste c’est à nous de nous débrouiller avec des dons ou par ce qui  reste de la  coopérative pour du matériel en occasion. On a qu’une seul connexion Internet car nos ordinateurs ne sont pas en réseau ».

On a ainsi deux paramètres qui se chevauchent en quelque sorte : l’équipement en matériels informatiques et multimédia et la formation des enseignants. Dans leur ouvrage  « Le Guide de l’Internet à l’Ecole »(édition Nathan, 1999), Jean Luc Ballarin et Paul Benazet expliquent que l’introduction des technologies  de l'information dans les classes a pour objectif d’apprendre aux élèves à manier les outils permettant l’accès à l’information afin de les préparer à la société du multimédia. Pour cela il faut en premier lieu que les classes soient équipées. Ensuite il faut penser dans un futur très proche, à orienter les enseignants vers un usage intégré de ces technologies. Il est donc indispensable de mettre en place un important plan de formation et d’accompagnement » (p.15). Il n’y a pas de cheminement logique qui suppose l’équipement en premier lieu et la formation ensuite, en tout cas en ce qui concerne le réseau des écoles de Haute Savoie. D’une part parce que l’équipement des écoles en un matériel fiable ne va pas de soi car les fonds financiers nécessaires sont souvent absents. D’autre part, comme on l’a constaté c’est un processus long et attendre que les écoles soient équipées pour former les enseignants ne peut que désavantager ces derniers.

 

« La leçon tirée des premiers plans d’équipements  doit être bien comprise si on veut éviter que l’histoire se répète. Les décisions politiques qu’elles soient locales, nationales ou européennes, doivent tenir compte des réalités du terrain, se donner les moyens de les connaître  et de les interpréter avant même de prétendre les soutenir et les coordonner » c’est ce qu’affirmaient Serge Pouts-Lajus et Marielle Riché-Magnier dan s leur ouvrage « L’école à l’heure d’Internet : les enjeux du multimédia dans l’éducation » (p.64, édition Nathan 1998). Les réalités du terrain sont loin d’être prises en compte, comme on l’a souligné dans les paragraphes précédent non seulement les enseignants ne sont pas prêts car les formations sont insuffisantes (ou alors il faut une très forte motivation pour s’engager dans un processus d’auto formation), mais aussi certaines écoles ont été équipées sans tenir compte des besoins réels (par exemple mise en réseau des ordinateurs pour pouvoir avoir plusieurs connexions) alors que pour d’autres le chemin d’introduire ces nouvelles technologies dans la classe (à commencer par un équipement) leur semble encore loin. Le directeur de l’école de Franclens vient confirmer ces affirmations, il dit en effet «Il y a des formations mais pas assez, il y a du matériel mais pas assez, il faut pas se leurrer 80% des écoles manquent de matériels, nous on a de la chance car on a fait beaucoup de récupération »

    A ces propos viennent s’ajouter ceux de la directrice d’école d’Allonzier la Caille qui précise : « Les conditions matérielles conditionnent notre participation. Pour les enfants, ce serait intéressant de participer à des projets, car c’est que déjà Annecy c’est presque l’étranger, ils ne se rendent pas du tout compte, notre projet actuel, c’est « ouverture sur le monde », c’est très vaste, on peut mettre  tout ce qu’on veut dedans, d’autres classes de Haute Savoie, de France. Moi je trouve ça intéressant mais il faut avoir le temps de le faire. Ça serait intéressant, à condition qu’on soit aider, le problème de la politique de l’Education National c’est que toutes les écoles soient équipées, mais s’il y a le moindre problème (disque dur saturé, paramétrage de l’imprimante, …), il faut s’en occuper et nous on ne fait pas de la maintenance informatique. On a de la chance pour le moment on a pas eu le moindre problème sur un disque dur ou quoi que ce soit. C’est un petit peu débrouillez-vous quoi. Forcément il y a des personnes ressources au niveau du département, ils sont toujours en train de courir toutes les écoles parce qu’il y en a pas assez ».

 

 

            Notre hypothèse de départ se confirme, nous affirmions que sous la pression du gouvernement et des industriels, la mise en place de toute une infrastructure des technologies de l’information et de la communication (équipement en ordinateurs et périphériques, création de sites et de réseaux éducatifs) s’ effectue trop rapidement ; la plupart des écoles et des professeurs en particulier ont été peu ou pas préparés. Il y a en effet un décalage entre une informatisation qui se révèle incontournable et les possibilités à organiser et transmettre les savoirs et savoirs-faire liés à cette informatisation. Nous sommes en mesure de  préciser cependant que cet équipement pour la plupart des écoles rencontrées a été insuffisant, d’où le recours aux dons d’une part. Quant aux formations, elles ne sont pas obligatoires et de très courtes durée, les enseignants ont besoin de beaucoup plus d’encadrement surtout pour ceux qui n'ont ni le temps ni les moyens de s’investir personnellement en auto formation.

 

                Intéressons nous maintenant à l’usage que font ces écoles avec les technologies de l’information et de la communication.

 

<SOMMAIRE>