La Renaissance

Contexte historique:

On peut distinguer deux étapes dans l'évolution des conceptions médicales concernant la folie: une première période qui poursuit les idées et conceptions démoniaques du Moyen-Age et une seconde période de véritable renaissance médicale qui, grâce à une interprétation saine des découvertes scientifiques, aboutira à un rejet énergique des pratiques et superstitions moyenâgeuses.
 

Les médecins de la Renaissance:
 

Jean Wyer:

Il fut le premier à s'ériger contre l'Eglise et à réclamer la tolérance et un statut médical envers les prétndues sorcières. Il les considère comme des vieilles femmes débiles et mélancoliques. Il critiques les ''évêques brûleurs" et affirme que leur devoir est "de s'estudier plutôt à guérir qu'à faire périr par fagots". Dans son ouvrage De Praestidigiis Daemonum (De l'imposture du Diable), il feint de croire en l'existence du Diable, mais il s'agit bien, au nom d'une psychiatrie débutante, de la plus retantissante condamnation des conduites obscurantistes.
Proposant que l'avis d'un médecin soit pris lors de chaque procès en sorcellerie, il fut le précurseur de l'expertise psychiatrique.
Certains esprits éclairés, comme Montaigne, abondaient dans le même sens:

" Il y a quelques années que je passai par les terres d'un prince souverain, lequel en ma faveur et pour rabattre mon incrédulité, me fit cette grâce de me faire voir en sa présence, en lieu particulier, dix ou douze prisonniers de ce genre (sorciers) et une vieille entre autres, vraiment bien sorcière en laideur et difformité, très fameuse de longue main en cette profession: je vis et preuves et libres confessions (...) et m'enquis (...) et apportant la plus saine attention que je pusse (...). Enfin et en conscience, je leur eusse plutôt ordonné de l'éllébore que de la ciguë, car ils me parurent fous plutôt que coupables..."
 

Paracelse:

Lui aussi s'est élevé contre les brûleurs de sorcières. Dans son laboratoire d'alchimiste, il préparait des produits qu'il administrait à ses patients.
Il pensait que les principes alchimistes fondamentataux tels que le sel, le soufre et le mercure constituaient des parties essentielles dans le corps et que les maladies mentales étaient provoquées par des troubles de la substance intérieure du corps.
Il déclarait  que toutes les maladies physiques et mentales pouvaient être guéries par des médicaments.
Il accordait à l'aimant des propriétés thérapeutiques et prétendait avoir soigné des malades par le magnétisme.

Ambroise Paré:

L’hystérie, déjà décrite par les Egyptiens et les Grecs, serait une maladie exclusivement féminine et serait due aux déplacements verticaux de l’utérus. Pour contrer cette curieuse mobilité, les traitements proposés s’appliquent à ramener en place l’organe migrateur.
Heureusement, l’utérus a la réputation de redouter les mauvaises odeurs  et de rechercher au contraire les parfums agréables. Tirant parti de cette caractéristique de la matrice, Ambroise Paré eut l’idée de faire respirer aux hystériques des odeurs nauséabondes, en même temps que des fumigations de “choses odoriférantes” étaient appliquées dans le vagin, rappelant ainsi l’organe promeneur dans sa position naturelle.
Une telle opération nécessite une instrumentation adéquate, que Paré met au point avec tout son génie technique. Il s’agit du brûle-parfums (“le pot pour recevoir les parfums au col de la matrice”) et du pessaire (“pour tenir le col de la matrice ouvert par le bénéfice d’un ressort”, “pour éventiller la matrice”).
Quant aux odeurs fétides qu’on pouvait faire respirer, on n’avait que l’embarras du choix : ammoniaque, bitume, huile de soufre et de pétrole, chandelles de suif récemment éteintes, plumes de perdrix, de bécasses et de tous autres oiseaux, poil d’homme, de bouc, de vache, draps, feutre, vieilles savates, ongles et cornes de bête, poudre à canon et soufre brûlés,… L’opération peut commencer :
« Après avoir délacé la malade afin qu’elle respire plus librement, on la couche sur le dos et on s’emploie à ce qu’elle reste éveillée, en criant à ses oreilles.
“Qu’on lui tire le poil des tempes et de derrière le cou, ou plutôt celui des parties honteuses, afin que non seulement elle soit éveillée, mais davantage que par la douleur excitée en bas, la vapeur qui monte en haut et fait la suffocation, soit retirée et rappelée en bas par révulsion.”

Brûle-parfums
 Portrait d'un pot pour recevoir le parfum au col de la matrice

“Puis il faut oindre la plante des pieds d’huile laurine, ou autre semblable : après on lui appliquera une grande ventouse sur le petit ventre au-dessous du nombril, avec grande flambe : ainsi lui en seront appliquées au plat des cuisses, c’est à dire aux parties intérieures, près les aines, à fin de retirer la matrice en son lieu, et faire révulsion des matières qui causent ce mal. 
S’il est besoin sera fait parfum en la matrice avec choses fort odorantes ; mais premièrement faut tenir le col de la matrice ouvert, à fin que le parfum puisse mieux entrer dedans, qui se fera avec un instrument fait en façon de pessaire et sera attaché par deux liens à une bande, ceinte au milieu du corps de la femme, lequel sera fait d’or ou d’argent, ou de fer blanc.” 
“Ayant mis le pessaire dans le col de la matrice, la femme sera assise en une chaire percée et bien couverte tout autour, de peur que la vapeur des choses aromatiques qui ont vertu d’attirer la matrice en bas ne monte en haut, et que la femme ne ressente cette odeur par le nez et par la bouche ; car tout au contraire lui faire odorer choses fétides et fort puantes, à fin de renvoyer la matrice en bas. »
Cette conception de l’hystérie est certes insolite, mais elle vaut peut-être mieux que le bûcher…

Si vous souhaitez en savoir plus sur Ambroise Paré, vous pouvez consulter ce site.
 

Robert Burton:

Ce théologien est resté célèbre pour avoir rédigé le plus grand traité médical jamais écrit par un profane sur la mélancolie.
L'anatomie de la mélancolie est basée sur sa propre expérience. "Les autres hommes tirent leur savoir des livres, disait-il, je tiens le mien de l'habitude de la mélancolie".
Non content de décrire les symptômes de cette "maladie", il recommande également quelques traitements tels qu'exercices physiques, voyages, purgatifs, drogues, diètes et pour occuper l'esprit, des jeux : les cartes , les dés, le jeu du philosophe, le jeu du troue- madame, le volant, le billard, la musique…
Mais pour lui la meilleure thérapeutique reste la confession de son chagrin à un ami. Toutefois, cet ami restant difficile à trouver, peut être avantageusement remplacé par un médecin.
Pour Burton, ce médecin auquel on peut confier ses secrets, sera l'équivalent de notre conscience, ses paroles pourront soulager notre malheur, ses conseils l'adouciront et sa gaieté pourra peut-être chasser notre mélancolie. Comment ne pas voir dans cette description, l'image du "transfert" effectué au cours d'une psychanalyse?
 

Le renfermement:

Dans les villes, l'augmentation considérable de mendiants, chômeurs, déserteurs, prostituées pose une fois de plus au pouvoir la question de leur assistance et de leur répression, car ils sont parfois dangereux.
Ainsi le 22 avril 1656, Louis XIV promulgue le premier d'une succession d'édits.
L'édit de 1656 consistait à aménager des lieux d'accueil assez grands pour recueillir ces "errants". Ces lieux d'accueil furent groupés sous le titre d'Hôpital général, à la fois lieu d'assistance et d'enfermement.
A Paris, ce furent la Grande et Petite Pitié, Bicêtre, la Salpêtrière, etc... Pour une description plus complète de quelques uns de ces hôpitaux, cliquez ici.
Il faut toutefois préciser que ni l'édit de 1656 ni ceux qui vont suivre ne visent les insensés en particulier. Pourtant, on trouve très tôt des insensés à la Salpêtrière pour les femmes et à Bicêtre pour les hommes, au point que dès 1660 un arrêt du parlement de Paris décide "qu'il sera pourvu d'un lieu pour enfermer les fous et les folles qui sont à présent, ou seront ci-après audit Hôpital général".
En fait, les insensés vagabonds ont été pris très tôt dans la spirale de l'enfermement, absorbant indifféremment des mendiants valides et invalides de toutes sortes: enfants, vieillards, malades et infirmes et parmi eux, en proportions d'ailleurs modestes, des insensés.
Le nombre des fous enfermés dans les Hôpitaux généraux relevant de l'édit de 1656 et des arrêtés suivants, n'était que d'environ 10 à 15% de l'ensemble de leur population.
 

Quelques traitements typiques de cette époque:

Extraction de la pierre de la folie :

Fiction artistique, charlatanisme, symbole ou geste thérapeutique, l’opération des pierres de la folie demeure problématique. En effet, on n’a retrouvé aucun texte médical traitant de la question, la seule source est iconographique et se limite aux écoles hollandaises et flamandes.
D’après ce que l’on peut tirer de ces illustrations, il s’agit d’une intervention superficielle, non d’une chirurgie osseuse. Une incision verticale est pratiquée au milieu du front pour extraire des pierres de diverses grosseurs, attestant de la dextérité de l’opérateur. La réalité historique d’une telle opération mérite d’être mise en doute, à moins qu’on ne l’interprète comme un moyen symbolique de traiter la folie. En effet, après une incision superficielle, le soigneur, par un tour de passe-passe, pouvait faire apparaître une petite pierre pour “prouver” au patient la complète réussite de l’opération. Il y a en tout cas une volonté d’extirper littéralement la folie du crâne, de “faire passer la matière morbifique à l’extérieur”. Reste à savoir si les patients étaient réellement guéris…


Excision de la pierre de la folie, basée sur la croyance
que la folie serait causée par une pierre dans la tête.


 


La transfusion :

L’idée qu’un sang vicié peut être responsable de nombreuses maladies est ancienne. A la Renaissance, on se propose d’en remplacer une partie par celui d’un sujet sain – homme ou animal – afin de le corriger. Le fait que certains patients supportaient mal la transfusion, voire en mourraient, ne semblait guère déranger les thérapeutes qui la pratiquaient. Au contraire, uriner du sang après l’opération, par exemple, était interprété comme “une bile noire qui se décharge par les urines, et qui étant auparavant retenue, envoyait des vapeurs au cerveau, capables de troubler les fonctions [du patient]”. Les idées issues de l’Antiquité étaient décidément bien tenaces !

Les évacuants :

Ce sont toute une série de substances telles que l’opium, la scamonnée, la rhubarbe, la casse, le séné, le quinquina, de la poudre d’os divers, des excréments, de la bile d’ours, des yeux d’écrevisse ou de la corne de rhinocéros, dont le propre est de rétablir l’équilibre des quatre humeurs (encore !).
Les purgatifs et les émétiques (vomitifs) servent à “évacuer la bile et les humeurs acides, à en débarrasser l’économie animale”. Il s’agit “d’emporter les matières aigries des premières voies, de changer la nature du sang, de remettre les fibres nerveuses dans leur tonus naturel, d’empêcher les fermentations pernicieuses en purgeant les ferments exaltés ou encore d’atténuer et expulser les humeurs poisseuses et épaisses”. On l’aura compris, la grande variété et l’étrangeté des substances à vertu thérapeutique et l’explication des maux cache en réalité la pauvreté des connaissances médicales au sujet de la folie.
L’administration des évacuants était souvent précédée de saignées, de bains tièdes ou de prise de boissons “tempérantes et fondantes”, dont la fonction était “de délayer, de détremper l’humeur tenace qui engorge les viscères”.
Les praticiens disposaient d’un grand choix de purgatifs ; en voici une intéressante recette :
“Prenez trois boüillons d’un vieux Coq, qu’on aura farcy de racines aperitives, d’écorces de Cappriers & de Tamaris, de feüilles de Fumeterre, de Buglosse, de Scolopendre & des Capilaires, d’une once de Saffran de Mars aperitif, de Raisins, & de semences d’Anis & de Coriandre, puis dans l’un des ces boüillons faites infuser deux gros & demy de bon Senné mondé, avec un scrupule de cristal de Tartre soluble ou de sel végétal, dissolvant seulement dans les deux autres le cristal de Tartre sans y mettre de Senné ; après quoy le Malade ayant pris le premier le matin à jeun, on luy en donnera un autre trois heures après, & le dernier sur le soir.”

Les saignées :

Suite aux travaux de Harvey sur la circulation sanguine, la saignée connaît un succès quasi universel en tant que thérapeutique de la folie. Mais pourquoi donc saignait-on les fous ?
C’est pour rappeler les évacuations sanguines interrompues, aussi bien règles qu’hémorroïdes (notons qu’on a enfin une explication applicable à l’homme), ou pour décongestionner certains sujets “pléthoriques”.
Bien sûr, chaque affection se traite d’une façon particulière et la saignée ne se fait pas au hasard :
Le délire étant dû à l’inflammation du cerveau, il convient de saigner vers la nuque pour combattre la congestion cérébrale. Pour traiter l’hystérie, la saignée se fait au pied, ou mieux, par l’application de sangsues aux jambes, aux cuisses ou à la vulve. Contre la pléthore (excès) sanguine, une saignée au bras s’accompagnera de sangsues à l’anus.
D’autres raffinements viennent compléter le traitement, tels que le nombre de saignées  et le moment idéal à leur application.
Voici la description d’une telle intervention pratiquée sur une fille de 15 ans atteinte d’une “vraie manie non fébrile” :
« Elle avait perdu le bon sens, courait sans cesse de côté et d’autre en marmonnant, ne mangeait que des fruits malsains, et d’autres choses extraordinaires ; enfin ne pouvant en aucune manière obtenir d’elle le moindre raisonnement […] ses yeux étant fixes et hagards, son front et ses sourcils relevés, ses joues très tendues, ainsi que ses bras, ses mains et les autres parties musculaires. Cet état me fit juger que la maladie était vraiment une manie héréditaire, déterminée par l’afflux du sang  menstruel vers les parties de la génération (la fille en question n’est pas encore réglée). Pour produire la première évacuation, je prescrivis la saignée du pied .» (cette médication se révèle impossible à pratiquer car la malade est trop agitée et le chirurgien consulté songe à l’application de sangsues). « Je ne courais, en les appliquant, malgré sa volonté, aucun des risques qui auraient pu résulter de la piqûre faite avec la lancette ; en conséquence, j’en fis apporter une demi-douzaine bien dégorgées que je mis dans un seau en la sollicitant toujours de se faire tremper les pieds dans l’eau. Moitié de force, moitié de gré, on parvint à les y plonger ; aussitôt ces insectes s’attachèrent, et au bout d’un demi-quart d’heure, je coupai leur queue avec des ciseaux sans que la malade s’en aperçût. A mesure que le sang sortait, sa tête se dégageait ; une saignée du pied qu’elle se laissa faire volontairement quatre jours après, acheva de rétablir sa raison ; ensuite le flux menstruel venant à se déclarer vers la fin octobre, fut suivi du succès le plus complet. »
Malgré les recommandations de prudence quant à l’application des saignées par certains praticiens, cette technique thérapeutique eut un bel avenir jusque dans les siècles suivants.