Le siècle des Lumières


Contexte historique:

Jusqu'au milieu du XVIIIème siècle, l'étude de la folie n'a pas été séparée de celle des autres maladies.
Par la suite, on essaie de mettre de l'ordre en proposant des classifications symptomatiques des maladies mentales.
C'est l'époque où paraissent pour la première fois des ouvrages exclusivement consacrés à la question de la folie: le plus représentatif de cette époque est celui de Dufour, intitulé "Essai sur les opérations de l'entendement humain et sur les maladies qui les dérangent".
Dans ce livre, il explique que toutes nos connaissances viennent de nos sens, et "ce n'est que par l'intermédiaire de ces organes que l'âme est diversement affectée de bien et de mal".
Le dernier chapitre (qui constitue le quart de l'ouvrage) est consacré à " La déraison, ou maladies que l'on nomme démence, mélancolie, manie ou folie, et hypocondrie, causées par les vices des sens internes".
Pour lui, la cause de toutes les espèces de folies est "l'erreur de l'entendement", c'est à dire le "délire". Sont D'abord cités les délires rares: les égarements passagers, la nostalgie, l'amour insensé, l'érotomanie et la nymphomanie. Vient ensuite le degré le plus faible du délire qui est la démence, accompagnée de différents noms selon les âges: bêtise ou niaiserie dans l'enfance, imbécillité à l'âge adulte, radoterie dans la vieillesse; puis la mélancolie qui est un "délire long opiniâtre et sans fièvre et pendant lequel le malade est presque toujours occupé d'une seule et même pensée".
Pour terminer, la manie, synonyme ici de folie, où l'on trouve tout ce qui n'est ni démence ni mélancolie.
Pour Dufour, le siège de ces maladies n'est pas le cerveau, "c'est ailleurs qu'on trouve la véritable cause et le siège de la folie". D'après lui, c'est du côté du bas ventre qu'il faut chercher, et cela pour toutes les maladies qui dérangent les opérations de l'esprit: " il n'est pas étonnant que la médecine ait fait si peu de progrès dans le traitement de ces maladies puisque c'est dans la tête qu'on en cherche les causes".

Les maladies mentales dans  l'encyclopédie: 

L'ouvrage le plus représentatif de l'état des connaissances en ce qui concerne les maladies mentales est l'Encyclopédie. On y définit la folie en terme de morale et de médecine: "s'écarter de la raison le sachant, mais à regret parce qu'on est esclave d'une passion violente, c'est être faible; mais s'en écarter avec confiance et dans la ferme persuasion qu'on la suit, voilà ce me semble ce qu'on appelle être fou; tels sont du moins ces malheureux qu'on enferme, et qui peut-être ne différent du reste des hommes que parce que leurs folies sont d'une espèce moins commune et qu'elles n'entrent pas dans l'ordre de la société".

 Quelques exemples de descriptions:

Délirer, c'est "s'écarter du sillon", c'est s'égarer et juger mal des choses connues de tout le monde. La manie est "un délire universel sans fièvre, du moins essentielle, assez souvent ce délire est furieux, avec audace, colère…" Cette maladie est longue à guérir, surtout lorsqu'elle est installée depuis un moment.

La mélancolie est "un délire particulier roulant sur un ou deux objets déterminés, sans fièvre, ni fureur, en quoi elle diffère de la manie et de la phrénésie". Ce délire est joint le plus souvent à une tristesse insurmontable, à une humeur sombre, à la misanthropie, à un penchant décidé pour la solitude; on peut compter autant de sortes qu'il y a de personnes qui en sont attaquées".
On assimile à la mélancolie la passion hystérique pour les femmes et la passion hypocondriaque pour les hommes. Dans les deux cas, il s'agit de vapeurs: elles "s'élèvent des parties inférieures de l'abdomen (de la matrice pour les femmes et des hypocondres pour les hommes), pour se diriger vers le cerveau et le troubler. Le peuple croit que ce sont des fumées, mais c'est faux bien que cela paraisse vraisemblable; c'est en fait l'irritation des fibres nerveuses des viscères qui affecte sympathiquement le cerveau. Cette maladie, " à force de tourmenter l'esprit, oblige le corps à se mettre de la partie; soit imagination, soit réalité, le corps en est réellement affligé".

La fureur utérine qui est une maladie du sexe, est une espèce de délire par lequel un "appétit vénérien démesuré porte violemment à se satisfaire". Si cet appétit n'est pas satisfait, il dégénère en  fureur, d'où le nom de fureur utérine (ou nymphomanie).
Il existe un équivalent masculin à cette maladie, le satyriasis, mais il est moins fréquent car les hommes peuvent plus facilement donner libre cours à leurs penchants vénériens…

Les aliénés sont libérés de leurs chaînes:

Mais surtout, le XVIIIème a ouvert les yeux sur la situation épouvantable où se trouvait l'aliéné et l'on commence à considérer les fous avec compassion. Car ce siècle des Lumières fut marqué par le désir commun de tous les médecins s'occupant d'aliénés, d'améliorer le sort de leurs malades.
Le plus célèbre de ces médecins philanthropiques fut Philippe Pinel en France.
Le 25 août 1793, il fut nommé médecin des aliénés de Bicêtre. En arrivant, il fut impressionné par les cris des malades attachés ou fixés par une chaîne et décida d'en supprimer l'usage. Mais on était en pleine terreur et il ne put en obtenir l'autorisation.
Il décida d'insister et se présenta devant la commune de Paris et à force d'arguments, sa requête fut finalement acceptée.
En contrepartie de cette liberté, Pinel demanda à ses malades de porter un gilet de toile; la première camisole de force aux longues manches nouées autour du corps entra ainsi dans l'histoire.
Nommé par la suite à la Salpêtrière, il y appliqua la même réforme.
Il supprima également les saignées répétées et les médications inutiles, qui ne faisaient d'après lui qu'affaiblir les aliénés.
Il pensait qu'on pouvait guérir les fous avec des paroles encourageantes et, dans les cas de délires, un raisonnement habile devait réduire l'idée persistante. Pinel jeta ainsi les premiers jalons de la psychothérapie.
Il faut toutefois préciser que, bien que Pinel resta dans l'histoire l'instigateur de cette "humanisation", bien avant lui dans d'autres pays, par exemple les espagnols dès le XVème siècle, avaient libérés les malades de leurs chaînes. Mais peut-être à cause de l'isolement de l'Espagne par rapport au reste de l'Europe, on à oublié cette attitude vis à vis de la folie.
De plus, en même temps que Pinel, d'autres personnes s'activaient dans ce sens. En Italie, le grand duc Léopold de Toscane promulgua en 1774 une loi, fit construire un hôpital et nomma un médecin idéaliste, Vincento Chiarugi, pour mettre en œuvre une réforme.


Pinel libérant les aliénés de leurs chaînes

Reil, qui fut un des psychiatres les plus éclairés de son temps, décrivit très bien les conditions d'internement des aliénés en Allemagne: " Enfermés nus dans d'étroits cachots, les malades violents étaient nourris par des guichets au moyen de récipients de cuivre attachés à des chaînes. Les bastonnades étaient fréquentes, les gardiens étaient en général des sadiques peu intelligents. On entendait jour et nuit les vociférations des malades et le cliquetis des chaînes"; ce qui faisait écrire à Reil: "ces visions faisaient disparaître chez les nouveaux arrivants le peu de raison qui leur restait".

Quelques traitements typiques de cette époque:

Spécifiques dégoûtants :

Série de remèdes tous tirés du règne animal, ces “moyens sympathiques” sont censés “agir par dégoût et horreur”. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les thérapeutes de l’époque croyaient que leur ingestion avait la vertu de guérir la folie.
Contre l’épilepsie, les remèdes suivants pouvaient être prescrits : vers de terre (pris à jeun au mois de juin avant le lever du soleil), le pied d’élan, le talon de lièvre, le cerveau de corbeau, la corne de rhinocéros, les petits osselets de l’ouïe d’un veau, la bile fraîche d’un chien noir, la fiente d’un paon ou d’un lion, l’épine du dos d’un lézard rongé dans un lit de fourmis. On peut aussi efficacement utiliser des ingrédients d’origine humaine : les excréments pris intérieurement, le cœur, le crâne (non enterré toutefois, avec une prédilection pour l’os temporal), les raclures de vertèbre d’un homme décédé de mort violente, son cerveau, l’arrière-faix d’un nouveau-né,…
Pour la cure de la pierre et de l’épilepsie, “le sang rendu dans le premier écoulement menstruel est bienfaisant”.
Le cerf semble contribuer de façon particulière dans la guérison de plusieurs maladies : l’odeur de la corne allumée contre l’épilepsie ; le sel volatil de corne “tiré par le nez” après qu’on l’ait “enfermé dans une petite bouteille dont le goulot est très étroit” est salutaire pour les apoplectiques, les épileptiques et les hystériques ; la peau ou le pénis réduit en poudre sont indiqués pour les suffocations de matrice.
Le pigeon vivant ouvert en deux et appliqué sur la tête encore tout chaud, quant à lui, “diminue d’abord les humeurs, dissipe la mélancolie et la tristesse, ce qui le rend propre dans la phrénésie, la mélancolie […] et la goutte.”
A défaut de connaissances scientifiques, on ne manquait pas d’imagination !
 

Le trémoussoir :

Au XVIIIème siècle, le fait de guérir la mélancolie par des voyages qui changent les idées est classique ; ce qui l’est moins, c’est l’interprétation que fait l’abbé de Saint-Pierre, selon qui l’effet thérapeutique ne provient pas du voyage lui-même, mais plutôt des vibrations produites par le véhicule.
Sans plus attendre, on met au point le trémoussoir, un fauteuil à ressorts reproduisant en chambre toutes les caractéristiques d’une chaise de poste lancée sur des routes cahoteuses.
De la mélancolie, il n’y a qu’un pas à franchir pour prétendre bientôt exercer les vertus bienfaisantes de cet appareillage sur la folie, mais aussi sur d’autres maladies telles que la goutte ou les maux imputables à une sédentarité excessive.
Le trémoussoir devient vite très à la mode, et les riches n’hésitent pas à le faire installer à domicile. Pourtant, il tombe rapidement dans l’oubli.
 

Costumes anti-masturbatoires :

Pour curieux que cela puisse paraître, les aliénistes considéraient la masturbation comme un dérèglement sexuel et comme cause de nombreux maux physiques et intellectuels. Ils énumèrent une impressionnante liste de troubles provoqués par l’onanisme : faiblesse, paresse, inertie, phtisies, consomptions dorsales, engourdissement, dépravation des sens, stupidité, évanouissements, convulsions et finalement la mélancolie, la catalepsie, l’épilepsie et l’imbécillité. Les femmes, quant à elles, risquent en cas de masturbation “des accès d’hystérie ou de vapeurs affreux […], des fureurs utérines qui, leur enlevant à la fois la pudeur et la raison, les mettent au niveau des brutes les plus lascives, jusqu’à ce qu’une mort désespérée les arrache aux douleurs et à l’infamie”.
Les médecins observent qu’obtenir la guérison de la tendance à la masturbation est quasi impossible. Il ne reste alors qu’un espoir : imposer une barrière physique entre  les mains et les parties génitales du malade. Les costumes anti-masturbatoires sont nés.
Le premier modèle est prévu pour le sexe masculin. Il emprisonne les parties génitales en épousant leur forme, tout en permettant l’évaporation de la transpiration et l’érection, qui est tout de même considérée comme naturelle. Mais l’auteur est insatisfait : il n’a accompli que la moitié de sa tâche et met vite au point le modèle pour le sexe “faible”. Le succès est complet.
 
 
Costume anti-masturbatoire
pour homme
Costume anti-masturbatoire
pour femme
 

A cet appareillage impressionnant viennent s’ajouter d’autres méthodes, comme par exemple des lits spéciaux qui emprisonnent les bras du dormeur.
Si ces moyens préventifs ne réussissent pas, le praticien peut recourir à des analeptiques, des toniques, aux eaux thermales, aux frictions sèches, voire à l’électricité…
Finalement, en dernier ressort, “si la nécessité l’exige, s’il y a danger de mort immédiat, par exemple, ou signes de troubles intellectuels résultant de l’onanisme”, on ira jusqu’à l’infibulation ou la clitoridectomie, “opérations peu douloureuses d’ailleurs”.