Les hôpitaux du Grand Renferment

Charenton :

Fondée en 1641, c’était une maison toute meublée, dans le village de Charenton, destinée aux malades pauvres, mais où un quartier spécial était réservé aux malades de l’esprit. Les Frères de Charité accueillaient dans ces établissements des pensionnaires à la charge des familles. A Charenton le prix variait de 600 livres à 1200 livres et même 3000 livres. On pouvait placer aussi les malades pour la vie, à forfait. En général, le prix était de 5000 livres et le pensionnaire était enseveli aux frais de l’établissement. Par rapport aux établissements comme Saint-Lazarre ou la Salpêtrière, le régime de vie dans les Charités marquait un progrès réel résidant surtout dans les règles qui serviront d’inspiration par la suite pour les thérapeutiques des maladies mentales. Les catégories de fous y étaient placés séparément et on disposait de lieux destinés aux bains et de chambres où les malades pouvaient coucher seuls, ce qui n’était pas le cas partout. Trois repas étaient servis par jour, et il y avait un chauffoir commun dans chaque galerie où s’ouvraient les chambres. Le lever se faisait à quatre heures et demie du matin en été et sept heures en hiver. Malgré la tolérance des frères, il est probable que des pensionnaires agités devaient être liés, ligotés ou emmenottés. Les camisoles de force n’étaient pas encore utilisées, mais dans les inventaires on signale des paires de menottes et des paires de fausses manches, cependant il n’est pas fait mention de chaînes.
 

La Salpêtrière :

La Salpêtrière était un ensemble de constructions composé d’un petit château et d’un atelier où l’on travaillait autrefois le salpêtre, d’où son nom. L’emplacement originel comprenait l’espace qu’occupe actuellement la gare d’Austerlitz mais aussi l’hôpital de la Pitié. Initialement, la Salpêtrière servit de lieu de réclusion à toutes les femmes que leur vie scandaleuse, leur âge ou que leurs infirmités condamnaient au parasitisme ou à la mendicité, et on trouvait donc ensemble prostituées, empoisonneuses, aliénées que les quelques prisons de Paris ne pouvaient pas absorber. C’était une prison de correction en réalité où seules pénétraient les irrécupérables. En 1663, un recensement de la Salpêtrière faisait état de 222 folles, de 280 imbéciles et de 200 malades de “mal caduc” (épilepsie) et autres maladies incurables.


La Salpêtrière

Bicêtre :

Sur les hauteurs de Bicêtre, dans l’ancien domaine de la Grange-aux-Gueux, on avait érigé en 1632 un hôpital destiné aux blessés militaires qui devint par la suite hospice de la vieillesse mais aussi maison pour les vagabonds, les aliénés et les forçats en instance de départ pour les bagnes de Brest ou de Toulon. Au milieu du XVIIème siècle, les pensionnaires étaient répartis en cinq emplois de travailleurs, les sixième et septième emplois étant réservés aux idiots imbéciles et aux épileptiques, et le huitième regroupant les fous les plus agités ; c’était le quartier de Saint-Prix, où l’on entrait pour le restant de ses jours. Les malades étaient placés dans des loges rangées le long de petits passages ayant des noms comme rue d’Enfer, rue des Furieux, rue de La Fontaine, rue de la Cuisine, rue du Préau. Dans ces loges grandes comme des placards, les couchettes étaient faites de planches scellées dans les murailles, au chevet desquelles des pièces de fer permettaient d’enchaîner les malades furieux avec de grosses cordes. Là encore la nourriture variait suivant le tarif de la pension, et les repas étaient servis dans des écuelles de bois.
 

L’Hôtel-Dieu :

L’Hôtel-Dieu était le seul hôpital où les fous étaient réellement traités. Sur plus de trois mille malades, l’Hôtel-Dieu comptait seulement 74 places pour les aliénés. On les baignait, on les douchait, ils étaient également saignés, purgés et si, après cinq ou six semaines d’essais thérapeutiques infructueux, l’aliéné était considéré comme incurable, on l’envoyait dans les services de chroniques, aux Petites Maisons, à la Salpêtrière ou à Bicêtre, sur un ordre du ministre du département de Paris.
 

La Bastille :

La Bastille recevait des personnes de la bonne société. A la différence de la Salpêtrière ou de Bicêtre, la célèbre prison d’Etat ne laissait pas de traces infamantes pour ceux qui y avaient résidé. La majorité de ces prisonniers de la Bastille, envoyés par leur famille, étaient des aliénés, des débiles, des anormaux, parfois des pervers. Le personnel avait l’habitude de cette catégorie de pensionnaires ; on y comptait aussi des agités avec des chaînes ; on les soumettait à une surveillance constante, parfois on les baignait et les plus calmes pouvaient se promener dans le château ou sur les tours.
De l’ensemble de ces établissements hospitaliers on sortait difficilement. La procédure de sortie ressemblait à celle de l’entrée, pour tous les détenus par lettre de cachet. Parfois la sortie était accordée à condition que le sujet soit tenu éloigné de Paris ; cela était valable pour les droits communs mais en qui concerne les aliénés, pratiquement aucune chance n’était offerte, si ce n’est celle d’y mourir.
L’édit de 1656 transforma Paris en l’espace d’une année. L’enfermement des pauvres changea sensiblement l’aspect de la capitale. Le nombre des mendiants regroupés à l’Hôpital général ne fut certes qu’une solution temporaire trouvée à un problème endémique. Il faut noter cependant qu’au cours de ce XVIIème siècle, les maladies mentales, peu à peu dégagées de la superstition, ne sont plus assimilées à la sorcellerie. Grâce aux savants de ce siècle, de nouvelles conceptions, fondées sur des observations objectives et sérieuses, se font jour ; elles seront utilisées au siècle des Lumières.
 
 

Textes tirés de l'ouvrage du Dr Jean Thuillier, La folie, Histoire et dictionnaire, Robert Laffont