chapitre 5 La modélisation d'une décision administrative par le génie cognitif
Parmi ces deux types idéaux, nous pensons que le premier est plus important dans la mise en oeuvre de la Lex Furgler. Les décideurs qui constituent la première instance de décision sont, en règle générale, des juristes qui perçoivent leurs cas avant tout comme des problèmes juridiques. Ils perçoivent bien les dimensions économiques et politiques mais ce sont des contraintes et non pas des recettes de décision. En d'autres termes, la plupart des éléments (sous-problèmes) d'un cas sont des problèmes légaux et seulement certaines questions d'appréciation sont traitées selon des critères politiques. Ceci n'est pas surprenant, car ces questions coïncident avec les clauses qui ont été volontairement ou invonlontairement laissées ouvertes par le législateur. Pour modéliser une décision, on peut donc d'abord simuler l'application de toutes les clauses d'une loi dominées par un raisonnement juridique pur. Ensuite, il faudra identifier les clauses ouvertes influencées par des paramètres politiques et tenter de trouver une logique générale capable de simuler une variété locale de la mise en oeuvre.
Dans ce type de modélisation, nous arrivons aussi à intégrer le politicien pour qui le droit n'est qu'une contrainte, parfois même ennuyeuse. Il est malgré tout tenu d'opérer par rapport à un cadre légal, même s'il donne l'ordre à ses fonctionnaires de le déformer selon les besoins. En règle générale, on peut dire que la loi est respectée, mais pas forcément dans l'esprit de la majorité des législateurs ou de celui de l'office fédéral de justice. Certaines clauses de la loi sont interprétées de façon particulière, mais l'ignorance pure et dure était plutôt rare.
Voici un résumé de notre grille, avec les valeurs les plus probables que l'on peut observer à long terme:
paramètre: valeurs:
1.perception locale de la LAIE accord / désaccord
2.légalisme oui / non
3.dependance de la 1ère inst. oui / non
4.collaboration avec Berne oui /non
5.perception personnelle accord / désaccord
En combinant ces 5 facteurs binaires, nous obtenons 32 configurations possibles du système local. Toutefois, certaines combinaisons peuvent être exclues pour des raisons logiques et empiriques. Avant tout, il existe une certaine hiérarchie entre ces facteurs. Par exemple, un juriste en désaccord avec la LAIE et qui en plus montre une attitude peu légale ne garderait pas longtemps sa fonction dans un contexte où la LAIE est bien acceptée. Nous allons tenter de construire un arbre de décision qui tiendra compte de ce genre de raisonnement.
Afin de bien séparer le langage naturel des formes manipulées dans les modèles, nous utilisons des mots anglais dans le modèle, ainsi que dans la figure 5-15 "Une typologie des systèmes locaux" [p. 206]. La perception locale est le facteur le plus important dans notre arbre. En termes traditionnels, il explique l'essentiel de la variance que l'on peut observer. Nous imaginons difficilement toute application "faible" de la LAIE dans un canton "fort", puisque la deuxième instance ne va pas prendre de décisions qui vont à l'encontre de la loi telle qu'elle est interprétée par Berne. Pour des raisons de jurisprudence, une application trop restrictive de la loi serait également exclue. Les promoteurs s'adresseraient vite au tribunal fédéral pour défendre leur libertés. Ainsi nous pouvons définir un premier type de système local "étroit" (narrow). Ce cas correspond plus ou moins à celui de Lucerne.
Examinons l'ensemble des systèmes opposés à la LAIE. Dans un cas simple, on retrouve une première instance qui n'est pas légaliste. Ceci devrait conduire à une application très large de la loi et à notre deuxième type: "wide-1". Si la première instance est un juriste déterminé à faire respecter l'esprit de la loi (défini par la majorité du parlement et les autorités fédérales), différentes situations peuvent se produire. Si la personne en question est aussi en désaccord personnel avec la LAIE, elle va certainement produire des décisions qui seront sans doute solides d'un point de vue juridique, mais pas forcément en accord avec l'esprit de la loi. Ce cas de "medium-1" que l'on aurait aussi pu appeler "wide-3" correspond à la mise en application genevoise de loi jusqu'en 1980. Un juriste très compétent en accord avec son chef de département a su créer les bases juridiques solides pour une politique genevoise déviante.
Dans un canton hostile à la loi, lorsque la première instance est un supporteur de la LAIE et qu'elle dépend fortement d'un ministre, une situation délicate peut se produire. Le juriste en question peut être soumis à de fortes pressions par la hiérarchie. En cas de refus, la personne sera mutée. Ce cas "wide-2" a existé (pendant un certain temps) à Genève.
Finalement, dans un canton hostile, où la première instance est relativement indépendante au plan administratif, un compromis peut être trouvé qui sera plus strict que le cas "medium-1". Une bonne collaboration avec Berne renforcera sa position, il s'agit du cas "medium-2". Si le gouvernement ou une autre instance d'appel annule une de ses décisions, l'office fédéral de justice peut faire appel au tribunal fédéral. Ce dernier soutient, en règle générale, l'opinion de Berne. Ce cas a existé en quelque sorte dans le Valais sous la Lex Furgler. Nous n'avons pas connaissance d'un cas medium-3 (un juriste "légaliste", d'accord avec la LAIE et indépendant mais sans collaboration avec Berne). Toutefois, ce cas reste possible. Il s'agirait d'une instance qui garderait son indépendance de tous les côtés.
Après cette discussion, il faudrait quand même bien noter que cette typologie mesure des degrés de l'application et non pas des mondes complètement à part. La précision relative de la loi, les moyens juridiques de Berne ainsi que le tribunal fédéral garantissent quand même une certaine homogénéité et les acquisitions des étrangers à des fins spéculatives ont sans doute été massivement freinées. Ce sont surtout des questions de superficie occupée par des villas, ou encore l'appréciation de certains motifs d'autorisation comme les relations dignes d'êtres protégées ou encore le séjour personnel qui ont posé problème.
Les règles suivantes tirées du modèle P-Lex définissent formellement cette taxinomie enregistrée dans le paramètre "*local-system". Nous capturons la même information dans une échelle ordinale avec le paramètre "*local-sys". Nous donnons un résumé
de la façon dont on définit les six paramètres caractérisant les systèmes locaux de mise en oeuvre dans la figure 5-16.
;; Each canton can apply the law within certain limits. ;; With the aid of the following parameters we define a local system: ;; *pl-local-perception the local perception of the LAIE ;; *pl-legalism a psy variable for the first instance ;; *pl-perception the perception of the LAIE by the first instance ;; *pl-dependency the administrative dependency of the first inst. ;; of its minister ;; *pl-collaboration the degree of informal collaboration with Bern ;; Alternatively for the "long-term-residence" cases we directely define ;; the local system by asking the canton. ;; In our system we shall both use nominal values for the local system ;; (*local-system) and an ordinal scale (*local-sys) ;---------------------- parameters ----------------------------------- ;; the "local-system" parameter (defparm *local-system single (narrow medium-1 medium-2 medium-3 wide-1 wide-2) pol inferred) ;; the "local-system" parameter as an ordinal scale (defparm *local-sys single (1 2 3 4 5 6) pol inferred) (defparm *pl-loc-perc single (agree disagree stricter) pol ;mainprop "Does the local government agree with the general policy lines of the LAIE ? ") (defparm *pl-perception single (agree disagree stricter) pol ;mainprop "Does the first instance agree with the general policy lines of the LAIE ? ") (defparm *pl-legalism yesno (yes no) pol ;mainprop "Is the first instance legalist ? ") (defparm *pl-dependency yesno (yes no) pol; mainprop "Does the first instance strongly depend from the government ?") (defparm *pl-collaboration yesno (yes no) pol ;mainprop "Does the first instance informally collaborate with the OFJ ?") ;------------------- rules --------------------------- (defrule $pl-1 <=> (same *pl-loc-perc disagree) (notsame *pl-legalism yes) ==> (*local-system wide-1 0.8) (*local-sys 6 0.7) ) (defrule $pl-2 <=> (same *pl-loc-perc disagree) (same *pl-legalism yes) (same *pl-perception disagree) ==> (*local-system medium-1 0.8) (*local-sys 4 0.7) ) (defrule $pl-3 <=> (same *pl-loc-perc disagree) (same *pl-legalism yes) (same *pl-perception agree) (same *pl-dependency yes) (same *pl-collaboration yes) ==> (*local-system medium-2 0.8) (*local-sys 2 0.7) ) (defrule $pl-4 <=> (same *pl-loc-perc disagree) (same *pl-legalism yes) (same *pl-perception agree) (same *pl-dependency yes) (notsame *pl-collaboration yes) ==> (*local-system medium-3 0.8) (*local-sys 3 0.7) ) (defrule $pl-5 <=> (same *pl-loc-perc disagree) (same *pl-legalism yes) (same *pl-perception agree) (notsame *pl-dependency yes) ==> (*local-system wide-2 0.8) (*local-sys 5 0.7) ) (defrule $pl-6 <=> (same *pl-loc-perc agree) ==> (*local-system narrow 0.8) (*local-sys 1 0.7) )Ces paramètres donnent une classification assez rigide, mais par rapport à notre ambition de tester une méthodologie, elle sera suffisamment fine. Le fait que de telles règles figent en quelque sorte le décideur par rapport à un type fixe est plus préoccupant. Il est très difficile de savoir dans quelle mesure un système local reste stable. Autrement dit, il est à craindre que n'importe quel système local puisse changer suite à certains changements ou certaines pressions politiques et économiques. Les résultats empiriques ont déjà montré que la loi était toujours interprétée assez largement même dans les cantons stricts, lorsque des intérêts économiques importants étaient en jeu. En effet, le texte citant "liens économiques (ou autres) extraordinaires", "sans que l'intérêt public s'y oppose" incite lui-même à cette très large interprétation. Cette interprétation pour ces cas spéciaux peut être modélisée. Par contre, il sera assez difficile de modéliser un revirement complet d'un système local sans faire un modèle politique et économique du canton.
La souplesse de chaque système local de mise en application est large si on tient compte de circonstances exceptionnelles. Toutefois l'étendue des écarts par rapport à la normale varie selon le type de mise en application locale. Mentionnons tout d'abord que la loi ne peut pas être appliquée de façon beaucoup plus restrictive que l'esprit de la loi ne le suggère, car les demandeurs feraient appel et ils gagneraient. L'étude de Delley et al (82). a par contre montré clairement que les premières instances ont accepté des interprétations très larges de la loi, une fois soumises à des pressions. Il s'agit le plus souvent de pressions politiques ou économiques mettant en jeu l'intérêt de la nation ou du canton. La loi prévoit ces cas. Il pouvait s'agir par exemple d'un potentat étranger venant d'un pays économiquement important pour la Suisse ou d'un étranger désirant acquérir une résidence principale et qui payera donc beaucoup d'impôts. Dans les deux cas, ces demandeurs avaient le soutien d'instances politiques suisses, cantonales ou communales importantes.
Maintenant, nous pouvons formuler une théorie concernant l'interaction entre la nature de la mise en application locale et le facteur "soutien". L'intérêt public et le soutien de milieux "intéressés"
Outre la nature du système local de mise en oeuvre, une dimension importante dans la modélisation de la décision est représentée par les pressions externes et son alter ego, l'intérêt public. Rappelons qu'un cas soumis au décideur se définit en termes juridiques par (1) la nature de l'acquisition, (2) la nature de l'acquéreur, et (3) les motifs d'autorisation suggérés. Certains cas incluent de l'information sur la valeur d'une acquisition pour le canton, la commune ou la nation. Ensuite, certains cas jouissent d'un soutien politique et économique important. Souvent les deux vont de pair. L'interaction de ces 3 aspects (la définition juridique du cas, la valeur économique et politique de l'acquisition ou de la personne, le soutien externe) peut se révéler assez difficile à tracer avec précision. Mais essayons pour le moment de distinguer simplement les cas selon un axe "soutien et intérêt public". On peut en effet penser que le poids du soutien croit avec l'intérêt public, puisque le soutien le plus important ne peut venir que d'agents politiques et surtout du gouvernement.
Le résumé de nos hypothèses se trouve dans la figure 5-17
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