chapitre 4 La modélisation des processus cognitifs
Le "case based reasoning" est une des méthodes de raisonnement analogique. Il signifie raisonner à partir de cas ou d'expériences anciennes pour résoudre un problème, critiquer des solutions, expliquer des situations anormales ou interpréter des situations. Selon les mots d'une des inventrices de ce type de modélisation, Janet Kolodner (91: 54): "Cased-based reasoning can mean adapting old solutions to meet new demands, using old cases to explain new situations, using old cases to critique new solutions, or reasoning from precedents to interpret a new situation (much like lawyers do) or create an equitable solution to a new problem (much like labor mediators do)". Comme toujours en intelligence artificielle, certaines structures et certains mécanismes de connaissances sont donc à la fois utilisés pour interpréter une situation et pour agir. Kolodner (91:55) distingue entre deux principaux styles de raisonnement à bases de cas: (1) dans le style "résolution de problèmes", on dérive des solutions vers des problèmes nouveaux en utilisant des solutions anciennes comme guide. D'anciennes solutions suggèrent comment générer une solution nouvelle et peuvent fournir des avertissements concernant les erreurs à éviter. Ce raisonnement est utile pour différents types d'activités de résolution de problème, comme la planification de tâches, le diagnostic et la création d'objets. (2) Le style interprétatif concerne l'interprétation d'une nouvelle situation dans le contexte d'une ancienne situation. Il permet donc la classification d'une situation. Il est souvent utilisé pour justifier un argument ou pour illustrer le pour et le contre d'une solution, donc pour évaluer, justifier et argumenter un plan. Un tel type de raisonnement est très intéressant lorsqu'il n'existe pas de méthode "de calcul" pour sérieusement gérer tous les impondérables et les inconnues d'une action complexe.
Les deux types de raisonnement peuvent se compléter dans un processus de résolution de problème. Les deux dépendent fortement de la capacité humaine à retrouver des cas appropriés dans la mémoire. Inversement, il est crucial de bien "indexer" le vécu pour pouvoir le retrouver plus tard quand le besoin se manifeste. Curieusement, et contrairement aux attentes que l'on pourrait avoir, les personnes ne sont pas très habiles dans ce travail de gestion. (cf. Read and Cesa 90 cité par Kolodner 91). Une fois qu'on a retrouvé un cas similaire dans la mémoire, il faut opérer un certain nombre de raisonnements. Dans le cas de la résolution de problèmes proprement dite, il s'agit d'adapter une ancienne solution à la nouvelle et de critiquer la nouvelle solution avant de l'utiliser. Dans le cas de l'utilisation interprétative d'un précédent, il s'agit essentiellement de justifier une solution en montrant que la comparaison entre l'ancien et le nouveau est bonne. Evidemment, l'argument lui-même est ensuite sujet à critiques. Ces processus peuvent être imbriqués et doivent être répétés jusqu'à satisfaction. Pour ce type de raisonnement analogique, les humains et notamment ceux ayant une certaine expérience dans un domaine concerné sont très forts (en tout cas comparés à un ordinateur). Le raisonnement à bases de cas est toujours très performant par rapport à des méthodes plus analytiques quand un décideur connaît bien le domaine et quand la situation ne permet pas une analyse détaillée de sa "logique" de déroulement. Autrement, quand il manque de l'information mais quand il y a de l'expérience, on raisonne avec des cas. La cohérence implicite d'un cas réel du passé transmet sa logique (si tout va bien) sur la nouvelle situation. Même le novice peut utiliser avec profit des cas. Il peut reprendre les expériences dont il a connaissance indirectement, il doit simplement faire un travail d'adaptation ou de justification plus difficile.
En intelligence artificielle, il existe autant de façons de représenter un cas que d'équipes de recherche. Au plan technique, on peut par exemple faire usage de structures de "frames" ou encore d'une combinaison de faits et de règles. En ce qui concerne le contenu, Kolodner (91:60) distingue trois éléments essentiels: (1) la description de la situation de problème décrit l'état de l'environnement de résolution de problème et le problème qu'il fallait résoudre. (2) la solution représente la solution trouvée par rapport au problème ci-dessus. Il s'agit par exemple d'un plan d'action Dans certains cas, on y inclut aussi les méthodes employées dans le temps. (3) Finalement, il faut garder une trace du résultat qui permet d'évaluer l'utilité de reprendre la solution trouvée dans le passé. Le cas chez Kolodner est donc déjà mémorisé en vue d'un usage ultérieur. En réalité, il nous semble que la mémoire retient souvent les cas d'une façon moins structurée et qu'il faut d'abord reconstruire cette information avant de pouvoir raisonner sur un cas ancien. La frontière entre les "récits" qui mémorisent un processus de résolution de problème et les scripts, plans et autres constructions symboliques qui transforment les expériences en connaissance plus immédiate est floue et variable et un grand nombre de solutions intermédiaires doivent exister. Toutefois, pour tout ce qui dépasse le simple récit, il faut retenir le problème de l'indexation, la mémorisation de descripteurs qui permettent d'activer une connaissance au moment voulu. Au plan de la modélisation par ordinateur, il s'agit ici d'un problème difficile mais gérable. La modélisation du raisonnement analogique utilisé pour extraire des nouvelles solutions, prédictions ou justifications est plus difficile. L'énorme capacité humaine pour le raisonnement associatif et analogique est plus que difficile à modéliser et nous reviendrons sur cette problématique dans un chapitre ultérieur.
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