L'informatique et la pédagogie: Mythes, réalités;
exemples en biologie:
Rôle de l'affectif, importance du rôle...
Quelques réflexions stimulantes
Séminaire CROTCES sept 98
F. Lombard
TECFA, CPTIC, Collège Calvin
Table des matières :
I. Où l'affectif reprend
le dessus sur la technique.
Concept 1: Il n'y a pas
de communication neutre.
Une évidence :
Le livre véhicule une culture, des valeurs, son apparence
suscite des réactions affectives, sa mise en page
révèle son organisation, le choix de son iconographie
traduit un certain fonctionnement mental.
De son côté le logiciel véhicule aussi une
idéologie, une pensée, suscite des réactions de
rejet, ou d'adhésion, indépendamment des contenus
informationnels.
Le message affectif véhiculé dépend là
aussi des éléments visuels, mais en plus
d'éléments sonores, et surtout de l'interaction. Cette
dimension de communication nouvelle par sa nature, le rôle
qu'elle donne à l'utilisateur, la liberté d'action
qu'elle offre ou ne permet pas joue un rôle essentiel dans la
perceptions subjective de l'utilisateur.
Concept 2 : L'ordinateur
véhicule une symbolique technique et froide.
Derrière l'écran il y a toujours quelqu'un. (Au
départ et à l'arrivée !)
M. Agarici
Les ordinateurs, la programmation sont une production des
scientifiques et des ingénieurs, de gens rigoureux, pour
lesquels la maîtrise des émotions est une valeur
importante. Sans en avoir conscience, puisqu'ils pensent plutôt
à l'efficacité du produit et qu'à la
communication à travers le produit, ils ont crée des
machines et des logiciels à leur image : très
structurés, efficaces, sobres, peu tolérant des
"faiblesses" humaines comme l'imprécision, le
sous-entendu.
Ce message inconscient du concepteur aux utilisateurs suscite des
réactions de rejet de la part de ceux qui ne s'identifient pas
à cette perception de l'utilisateur.
Par la nature opérationnelle des systèmes
informatiques, le créateur force l'usager à
intégrer la structure de pensée de l'auteur, la
manière dont les données sont organisées.
Donc le créateur modèle les structures de
pensées de l'utilisateur, pas seulement les contenus.
Le créateur croit ne diffuser qu'un contenu. Et
démontre ainsi avec naïveté son ignorance des
autres manières de penser.
Communication, donc contenu culturel
Il n'y a pas de communication sans contenu culturel implicite,
sans imposition de la structure des concepteurs aux utilisateurs.
Concept 3 : Le multimédia
permet une communication plus riche et interactive.
La puissance d'évocation de l'image et des sons
décuple le message affectif que peut porter un simple
énoncé de mots. Avec le multimédia on glisse de
la symbolique de l'ordinateur vers la symbolique des Média
(TV, ciné, etc.). L'utilisateur a des attentes et des
réactions liées à sa connaissance de ce monde,
il interprète des signes et des symboles en fonction de ses
expériences passées face à la TV et la
Vidéo.
Pécub M. Agarici
Or dans ce monde-là l'affectif est roi, les images font
et défont des gouvernements.
D'autre part l'interactivité décuple la force de la
communication.
On a donc la chance de sortir l'ordinateur de l'aura froide et
austère qui l'entoure pour exploiter ce moyen de
communication, riche et puissant.
La communication n'est pas si facile, elle
implique un risque.
Celui qui émet dépense de
l'énergie, se découvre.
Annonces sous chiffre..., Chant des oiseaux, couleurs des
mâles. Les femelles sont discrètes, car elles sont plus
précieuses (oeufs) Le mâle peut plus facilement prendre
le risque de la communication.
Celui qui reçoit dépense de l'énergie, se
découvre.
L'écoute, la vision sont des processus actifs.
La communication ne peut avoir lieu que si les 2 partenaires sont
d'accord.
Sur les modalités de communication.
Bien sûr.
Sur le désir de communiquer
Souvent oublié dans l'extrapolation multimédia et
Télécom' de la TV et du Discours. (Pas forcément
mauvais : Expl : Last chance to see Douglas Adams)
Concept 4 : Les
pédagogues sont des spécialistes dans la maîtrise
de l'affectif pour transmettre des informations.
Les enseignants savent mettre a profit dans leur enseignement,
souvent inconsciemment, les subtilités de l'affect pour
assurer le développement des élèves et leur
apprentissage.
Il s'agit d'attitudes, de gestes, de présentation,
d'expression etc. Le pédagogues est donc, souvent sans le
savoir, un metteur en scène dans sa classe. Sa formation, son
expérience le prédisposent probablement plutôt
à ce rôle qu'à celui de programmeur. La technique
devient de plus en plus transparente à l'utilisateur. Pour les
développements éducatifs la maîtrise du message
est plus importante que la maîtrise technique.
Concept 5 : Le mythe de la simplicité
entrave les plus créatifs
Le mythe de la simplicité est un des plus gros
mensonges de notre décennie :
-"5 minutes et vous êtes dans le coup !"
-"L'informatique facile !"
-"Brancher et c'est parti !"
La publicité regorge d'illustrations de cette propagande
qui a tant été diffusée que même ceux qui
se battent avec leur machine pour obtenir ce qu'il veulent finissent
par dire aux autres que "Non, avec mon ordinateur ça va
super !" Puisque c'est facile, je ne veux pas avoir l'air
bête...
Le mythe de la simplicité et son corollaire :
la culpabilisation des utilisateurs.
Disons-le haut et fort : l'informatique n'est jamais facile ! Elle
est parfois moins difficile.
La généralisation d'une autre approche de
l'informatique a aidé a rendre moins pénible
l'accès aux avantages de l'informatique, mais cela ne
s'approche même pas, pour la majorité, de cette
prétendue facilité.
J'ai tant vu de gens remarquables buter sur des difficultés
"élémentaires" (pour un informaticien) et
à qui on expliquait qu'il n'y avait qu'à...,
à qui l'on faisait comprendre qu'ils avaient fait une erreur
tellement élémentaire qu'ils ne devraient pas
déranger les spécialistes pour si peu... Et ces gens
cultivés, intelligents, créatifs, acceptent cela en
hochant la tête et se sentent un peu dépassés.
Ils savent bien, au fond d'eux, que c'est difficile et n'ont jamais
tout à fait cru à la publicité...
Si tous ces gens ont de la peine c'est que toute l'informatique est
à revoir. Ou alors le monde va devenir carré !
C'est étonnant à quel point l'informatique, dans le
grand public jouit d'une telle aura de prestige arrogant disons-le
franchement, que tout esprit critique à son égard
s'efface devant la peur de paraître dépassé.
Comme dans la fable du roi nu, personne n'ose avouer,
par peur du ridicule, ce qui est pourtant évident.
Le problème c'est que la maîtrise de ces moyens est
tellement un phénomène de société que
personne n'avoue les difficultés qu'il a eues... Comme dans
la fable du roi nu, personne n'ose avouer, par peur du ridicule, ce
qui est pourtant évident.
Et l'on continue d'acheter un logiciel conçu pour et par
des informaticiens et des techneux, parce qu'il a des tas de
fonctions ou qu'il est utilisé par des tas de collègues
qui l'ont choisi pour les mêmes raisons! Et l'on essaie de se
convaincre d'avoir bien fait et puis l'on dit qu'on est
content...Et les éditeurs de logiciels continuent à
faire des fortunes sur notre dos !
Cf Le poids de la pensée magique en informatique, P.
Gilbert et Claudine Gillot
Si l'EAO se développe peu, c'est peut-être aussi parce
que le logiciel est fait pour des gens trop spécialisés
pour comprendre que le monde ne l'est pas ! Pardonnez-leur, car
ils ne savent pas ce qu'ils font...
Conclusion
intermédiaire : L'informatique pédagogique est une
chose beaucoup trop sérieuse pour la laisser aux seuls
informaticiens
La réussite du multimédia est plus une question de
mise en scène, de situation pédagogique, de graphisme,
de sensibilité affective que de MégaBytes, de MIPS,
d'ISO 9660 ou de kb/sec.
La dimension affective doit être au centre de la
réflexion, pour assurer le succès des utilisations
pédagogiques des TIC. Les pédagogues sont les mieux
placés pour le faire. Ne laissons pas les informaticiens, les
éditeurs de logiciels, de multimédia occuper le
terrain, et inonder le marché de leur culture. Si nous voulons
garder notre spécificité culturelle, nous devons
veiller à être actifs dans ce processus.
II L'importance du Rôle dans la
communication
Le logiciel est
communication
Je propose une nouvelle définition :
à distance et à travers le temps, une vraie communication interactive entre les hommes. |
La force des
habitudes
Du tourne-page au multimédia : le même
paradigme.
Chaque fois qu'un nouveau média apparaît, les
premières réalisations sont des transpositions de
techniques connues et maîtrisées (on a, par exemple, aux
débuts du cinéma, fait le film d'une pièce de
théâtre en posant une caméra fixe au milieu de la
salle...)
En informatique éducative, on fait du tourne-page.
L'étape suivante est, en général d'y ajouter des
images et des sons, parce que c'est multimédia ...
sans se poser la question de la démarche
pédagogique.
Il ne suffit pas de transposer nos manières de penser, de
produire des livres et du papier vers l'ordinateur. Chaque
média a sa spécificité. On n'écrit pas
comme on parle, on ne fait pas de la vidéo comme on
écrit, on ne produit pas du logiciel éducatif comme on
écrit un livre. Ou alors gare aux désillusions !
Le Prof' dans l'ordinateur.
On a essayé de mettre en place le dialogue Socratique dans la
"boîte". Selon les réponses des
étudiants, le système gère, interprète,
présente d'autres informations et pose d'autres questions pour
permettre à l'élève de parvenir à
comprendre(EIAO). Là encore, on assiste le plus souvent
à un Flop lamentable.
Il s'agit de solutions en termes d'enseignement.
L'école est-elle
prête à maîtriser le défi des TIC?
Le livre permet à l'enseignant de mettre en oeuvre
toute la richesse de sa pédagogie, le logiciel crée une
nouvelle dynamique pédagogique, puisque l'ordinateur contient
une partie du savoir, mais aussi une partie de l'interaction, et la
relation pédagogique devient plus triangulaire : le rôle
de l'enseignant en est changé. On n'enseigne pas avec un
ordinateur comme on enseigne avec un livre !
Les TIC va bouleverser les rapports dans le triangle
Prof'-savoir-élève. (J. Houssaye)
Il y a toujours un sujet, un mort, un fou.
Il faudra trouver de nouvelles structures si nous ne voulons pas
être le mort ou le fou, tout évitant le même sort
à l'élève.
C'est peut-être l'occasion de forger de nouveaux modèles
et de sortir de ce triangle infernal...
Aider à enseigner ou
à apprendre ?
Afin de replacer les choses dans leur contexte, un rappel
: nos objectifs sont l'apprentissage, le développement
de l'élève.
L'interactivité, le rôle qu'elle donne
à l'élève sont les paramètres centraux et
souvent oubliés de la situation nouvelle créée
avec le multimédia interactif
Distinguons (avec E. Barchechath & S. Pouts-Lajus) deux types
d'interactivité :
-interactivité fonctionnelle : les protocoles de
communication entre le logiciel, le hardware et l'utilisateur (menus,
icônes, souris, vitesse, facilité d'usage, couleur,
etc.);
-interactivité intentionelle : les modalités de
la communication entre l'utilisateur et le créateur. Or les
situations pédagogiques qu'offre un créateur à
travers son logiciel déterminent ce que l'élève
va pouvoir découvrir, quels types de fonctionnements mentaux
vont pouvoir être développés, etc.
La situation psychologique, le rôle que l'élève
va pouvoir assumer, la richesse du champ exploratoire, les moyens de
structuration offerts déterminent ce que l'élève
va pouvoir construire comme structures mentales de savoir.
Exple. Logiciel Enzyme structure IRL Press // Grandeur
Centrer le
développement de logiciels éducatifs sur
l'apprentissage.
Rôle :
Quel rôle fait-on jouer à l'élève ?
Se sent-il valorisé, son intérêt est-il
stimulé par une situation qui a pour lui du sens et dans
laquelle il a envie de trouver des solutions ?
La situation psychologique dans laquelle on le plonge
détermine le succès de la démarche.
Toute situation pédagogique sous-entend un modèle de
l'apprenant :
Notre démarche imagine un élève curieux,
exploratoire, qui se trompe parfois. On le croit capable de faire ses
propres synthèses. Il est considéré comme
libre et responsable.
Conception basée sur le respect de
l'élève, structuré pour l'usager.
Il y a une pression économique qui s'ignore : le
marché est surtout fait de gens qui ne sont pas des
techneux (ces gens à l'esprit rigoureux qui nagent avec
aisance dans les eaux troubles de la technique...) L'esprit de la
majorité des gens ne fonctionne pas selon les mêmes
modes de pensée (Par exemple : l'arborescence, concept
fondamental en informatique, ne correspond pas au mode d'organisation
mental des idées de la majorité des
élèves ou des maîtres)
La méthodologie de Green.
Cette méthodologie permet de conduire un projet
pédagogique, depuis la conception jusqu'à sa
concrétisation informatique, et s'articule autour de la
situation que l'élève vit.
(Méthodologie de création de logiciels
éducatifs (Les Green & Kel Crossley)
Le logiciel éducatif aide à
l'apprentissage plus qu'à l'enseignement.
Une fois toutes ces difficultés identifiées, plutôt que
le découragement, et malgré la difficulté qu'il y a à
produire dans les conditions (matérielles et temporelles) assez limitées
des écoles, nous avons choisi de mettre sur pied un projet de recherche
où il a fallu inventer aussi bien l'usage que l'outil, pour tenter d'être
tout à la fois et dans le désordre metteur en scène, réalisateur,
biologiste, pédagogue, informaticien, lobbyist, graphiste, didacticien,...
Le besoin ;
-Un laboratoire d'expérimentation accessible aux élèves
sur le neurone.
-Un produit qui fonctionne sur les machines disponibles dans les écoles
et prévisibles dans un proche avenir.
Le projet (Réalisation : 1989-92);
Neurodule veut exprimer à travers un logiciel une pédagogie
différente des logiciels classiques, mais proche... des préoccupations
des pédagogues. Il a été réalisé grâce
au soutien du Dispositif de Recherche de l'enseignement secondaire genevois,
du Collège Calvin et du Centre Informatique Pédagogique. Il est
le fruit de la concertation avec de nombreux maîtres de biologie.
Neurodule veut utiliser tous les moyens disponibles dans la mesure où
ils élargissent la perspective pédagogique, donc Neurodule est
multimédia ma non troppo ! Ce n'est pas un show multimédia.
Classiquement on montre des schémas, des films, on donne les réponses.
L'élève est plutôt passif, à moins d'avoir la capacité
et le temps de "faire jouer" les concepts nouveaux, les relier aux
anciens dans sa tête.
Avec Neurodule, il doit découvrir par lui-même les effets de diverses
stimulations, en plaçant un stimulateur électrique, un oscilloscope
ou un milliVoltmètre, voire un muscle, etc. Ensuite il pourra effectuer
diverses expériences en stimulant à divers niveaux, à diverses
fréquences.
On lui donne les questions. (Comme d'ailleurs lors d'un travail au laboratoire;
le rôle de l'ordinateur est ici d'étendre le champ de l'expérimentation
au-delà de ce qui est réellement possible.) L'élève
est placé dans une situation expérimentale, il est actif, il mène
l'expérimentation son rôle est celui d'un chercheur plutôt
que d'un spectateur. Il est conduit à construire un modèle mental.
/ F.Lombard
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