Mes intérêts de recherche sont à l'intersection de la biologie, de l'enseignement, et des technologies éducatives
En première approche la biologie est la Science de la vie, des êtres vivants.
Pour Sears & Wood (2005) Avant tout, les biosciences sont des sciences expérimentales et se définissent par les caractéristiques suivantes :
(p.3 Traduction personnelle)
Selon (Computer Science and Telecommunications Board (CSTB), 2005) la biologie est d'abord une science empirique et descriptive qui prend ses racines dans l'observation et la description qui remonte au moins à Aristote. La biologie est donc fortement visuelle et spécifique (centrée sur l'espèce biologique). Elle est aussi Ontologique : elle s'occupe de classification et de systématique. Depuis Linné on tente de placer chaque observation dans le contexte de l'espèce et l'espèce dans le contexte plus large de l'ensemble du vivant. Elle est aussi historique : La reconstruction d'une chronologie complète de la vie est un des buts de la biologie. Liées à cette recherche on voit les questions "Comment" et "Pourquoi" apparaître comme fondamentales. Ces 3 axes fondamentaux définissaient la biologie jusque vers 1950 et l'avènement de la biologie moléculaire et continuent à marquer les attitudes, l'enseignement et les valeurs de la biologie. Cependant elle ne fournissent que peu d'informations sur les mécanismes sous-jacents. Il a fallu l'avènement de la biologie moléculaire pour que l'expérimentation souvent numérique- devienne une pratique reconnue et la recherche des mécanismes sous-jacents : "Comment ça fonctionne" est devenu une question centrale.
Cette approche réductionniste qui est encore très fructueuse et a permis de grandes réalisations- commence à marquer le pas face une approche plus globale où le vivant est considéré comme un système, d'abord un système de réactions chimiques régulées de manière complexe (Giordan, 1995) et progressivement vue comme un flux d'information qu'on a l'ambition de modéliser. Les questions sont plus globales, systémiques et les approches sont fécondées par l'interaction avec des domaines nouveaux : théories de l'information, mathématique, ingénierie, etc.
"The challenge, in a nutshell, is to understand the cellular information processing system--all of it--from the genome on up."(Committee on Frontiers at the Interface of Computing and Biology, 2005) p. 24
En biologie on privilégie généralement une construction des connaissances à partir des données expérimentales : l’approche down-up. On se méfie souvent de théoriciens qui " ne connaisent rien à la réalité du labo "Many experimentalists seem to regard theoreticians as carpetbaggers. "We spend months in the lab getting data," they say, "and then along comes some character who doesn't know how to hold a pipette and explains our results to us." Apparently, you're not licensed to theorize unless you put the time in and get the data. This is unfortunate because people are good at different things, and some really enjoy reading papers, juggling possibilities and formulating ideas, even if they can't work a pipette(Bray, 2001)
Si la période étudiée est 1975 2005 nous commencerons par rappeler brièvement quelques éléments antérieurs d'histoire de la biologie nécessaires à comprendre cette période. L'année 1975 est choisie parce qu'elle est considérée comme un tournant par des historiens (notamment (Morange, 2003) sur lequel s'appuie beaucoup ce survol historique) : la fin d'une phase pionnière et l'entrée dans une certaine maturité. L'autre limite, l'année 2005 est choisie pour des raisons quelque peu arbitraires : elle est le moment de la mise en route de cette recherche et délimite une durée de 3 dizaines d'années.
Pour comprendre ce qui fait cette biologie moléculaire qui domine la biologie au début de la période étudiée il faut un peu reculer dans le temps.
Dans les années 40 commence une transformation de la biologie : la montée d'une biologie réductionniste basée sur des relations stériques, avec les complémentarités de forme et le modèle "clé-serrure" comme illustration typique où les relations entre 2 molécules sont vues comme les complémentarités de forme entre la clé et sa serrure. Cette métaphore est très féconde, elle rend accessible à un large public les interactions entre des orbitales électroniques qui font les interactions chimiques. En même temps apparaît peut-être moins visible d'un grand public et plus discrète au début, une métaphore plus abstraite, informationnelle. Durant cette période l'influence de physiciens et des chimistes est décisive, notamment un ouvrage What is Life (Schrodinger, 1944) qui a inspiré de nombreuses vocations "Schrödinger y présentait de manière vivante, attrayante - bien mieux que ne l'eussent fait les biologistes eux-mêmes - les nouveaux résultats de la génétique. Cinquante ans après, le livre n'a rien perdu de sa séduction: sa clarté, sa simplicité en rendent toujours la lecture particulièrement agréable" (Morange, 2003)
Quelques jalons notables de cette époque :
En 1941 George Beadle et Edward Tatum publient une expérience démontrant le lien fondamental entre un gène et une enzyme. Jusqu'alors le gène était perçu comme une entité abstraite, on ne cherchait pas à en trouver le support matériel. Ignorée par une grande partie de la génétique de l'époque, prestigieuse et formelle, cette expérience stimule la recherche des bases biochimiques de l'hérédité.
En 1944 Oswald T. Avery publie une expérience dite de "la transformation" démontrant que les gènes étaient faits d'ADN et ouvrant donc, potentiellement d'abord, à la génétique aux outils de la chimie.
Une biologie marquée par des physiciens : autour de la guerre 1945 " L'apport le plus important des physiciens est peut-être simplement d'avoir été convaincus - non sans une certaine naïveté - et d'avoir convaincu les biologistes que le secret de la vie n'était pas enfoui à tout jamais hors de leur atteinte, mais était à leur portée immédiate, juste là-bas au coin de la rue " (Morange, 2003)p. 133
Pourtant l'ADN résiste à l'analyse : sa nature très monotone ne cadre pas bien avec une biologie dominée par les succès de l'immunologie- qui recherche une spécificité de forme -un moulage-, et trouve une molécule entourée de sucres (le Désoxyribose) dont on ne voit pas comment ils pourraient permettre de produire la diversité nécessaire à encoder les innombrables gènes.
En 1945 Chargaff a mesuré les % des bases Adénine Thymine Cytosine Guanine et trouvé qu’ils varient mais que les pourcentages de Adénine et de Thymine sont égaux comme ceux de Cytosine et Guanine : on parle de la Règle de Chargaff. La portée de cette découverte n'est alors pas encore pleinement comprise.
En 1952 Avery réalise avec des virus à bactéries (des Phages) et des bactéries une expérience de marquage séparé des protéines et des acides nucléiques qui démontre que les acides nucléiques sont déterminants pour la prise contrôle et la reproduction du virus dans la bactérie . Cette expérience est répétée indépendamment par Hershey et Chase à qui on l'attribue en général. " Avery avait apporté un résultat inattendu et répondu à une question que personne ne se posait : la nature du matériel héréditaire. Hershey et Chase posaient eux, une question très simple : Etant donné que le bactériophage était formé de deux constituants seulement ADN et protéines, lequel était important pour la reproduction ? " (Morange, 2003)
Le rôle central de l'ADN dans l'hérédité commence à être établi, mais on ne voit guère comment cette molécule à la forme bien trop simple pour pouvoir servir de modèle de moule en somme- pour toutes les protéines de la cellule !
" Il reste encore aux historiens beaucoup de travail avant que nous comprenions ce qui s'est passé dans les années quarante à soixante, quand naquirent et se développèrent ces deux disciplines fondamentales que sont l'informatique et la biologie moléculaire, quand se mit en place cette nouvelle vision du monde où " l'information et la logique importent davantage que l'énergie ou la constitution matérielle " (Morange, 2003)p 133
L'exemple de la découverte de la structure de l'ADN illustre bien ce passage de la forme à l'information. Le grand public connaît la molécule d’ADN, en forme de d’échelle torsadée en spirale double : la fameuse " double hélice " un modèle qui a été proposé par Watson et Crick en 1953 avec l’aide -probablement pas suffisamment reconnue- de Rosalind Franklin. Watson et Crick reçurent le prix Nobel en 1962. Il est intéressant de noter que si cette date est très connue, rares sont ceux qui peuvent nommer la date où le code génétique fut décrypté (On cite la date de 1961 associée aux noms de Marshall Nirenberg et Johann Matthaei (Morange, 2003) alors que d’autres attribuent la paternité à Francis Crick et Sidney Brenner en 1966 ou encore mentionnent l’année 1968 pour le décryptage du code génétique par M. Nirenberg G. Khorana et R. Holley a cause de leur prix Nobel 1968) Par contre, surtout dans le monde francophone, on retient fréquemment les noms de Jacques Monod et François Jacob pour avoir découvert en 1960 le rôle central de l’ARN messager et formulé ce que certains ont nommé de manière peu scientifique le dogme fondamental de la biologie. La structure a donc été découverte bien avant et paraît plus souvent citée que l'explicitation du contenu informationnel.
D'un autre côté le schéma de Monod et Jacob qui décrit le flux d’information à sens unique, de l’ADN via l’ARN messager vers les Protéines a marqué fortement les esprits et reste encore très prégnant dans la vulgarisation et l’enseignement. Ce modèle peut être lu en termes de complémentarités de forme, ou en termes de flux d'information.
On est dans une époque de la montée des sciences de l'information :
" Expliquer le fonctionnement des êtres vivants en termes d’information, de mémoire, de code, de message, de régulation par rétroaction, c’est utiliser un langage et des images connus de tous." ibidem p. 223
Si pour certains ce qu’on retient c’est plutôt le rôle des molécules visualisées dans ces schémas, les associations complémentaires de nucléotides et l’appariement des triplets pour aligner les acides aminés formant les protéines , souvent on fait l'amalgame avec la nature plus abstraite de l’information et le code lui même au sens de correspondance entre les triplets sur l’ADN et les acides aminés de la protéine. (Code ; 1. Système conventionnel de signes ou signaux, de règles et de lois, permettant la transformation d’un message en vue d’une utilisation particulière. (Hachette, 1998)).
Parfois ce code est confondu avec la structure de la molécule d’ADN : à l’évocation du code génétique on répond souvent par une allusion à la double hélice, donc à la molécule ou à Watson et Crick , voire au " dogme ". Exemple ici
Il est intéressant de noter qu'une autre confusion fréquente est celle qui confond le code sensu stricto et le génome (l’ensemble des informations codées dans l’ADN).
L’historien des sciences Michel Morange parle pour la biologie moléculaire et l’informatique de "l'émergence d'une nouvelle vision du monde " (Morange, 2003) p. 130
" Il reste encore aux historiens beaucoup de travail avant que nous comprenions ce qui s'est passé dans les années quarante à soixante, quand naquirent et se développèrent ces deux disciplines fondamentales que sont l'informatique et la biologie moléculaire, quand se mit en place cette nouvelle vision du monde où " l'information et la logique importent davantage que l'énergie ou la constitution matérielle " ibidem p 133
" De fait, le rapprochement des dates est impressionnant:
- 1936: la machine de Turing, première conception " théorique " d'un ordinateur;
- 1944: expérience d'Avery;
- 1945: conception du premier ordinateur (EDVAC) par John von Neumann;
- 1948: création de la cybernétique par Norbert Wiener; publication de la théorie de l'information par Claude Shannon;
- 1953: découverte de la structure en double hélice de l'ADN et premières réflexions sur le code génétique. "ibidem p 133
Alors que des notions de Cybernétique telle que retro-contrôle, sont "à la mode" François Jacob décortique le mécanisme de régulation de l'expression chez la bactérie avec l'opéron lac, et on commence à parler de gènes régulateurs, d'opérons, pour lesquels il reçut le Prix Nobel de Médecine en 1965, avec Jacques Monod et André Lwoff.
Cette articulation d'une vision des interactions entre les molécules par leurs formes avec une vision de flux d'information est typique de cette époque.
"Biologie moléculaire et informatique: l'émergence d'une nouvelle vision du monde" (Morange, 2003)p. 131
Les physiciens et les techniques dérivées de la physique ont donc joué un rôle capital dans la naissance de la biologie moléculaire. Cette influence n'est toutefois pas reconnue par tous ceux qui ont étudié l'histoire de cette discipline. Ainsi pour H.F. Judson in (Morange, 2003), la notion d'information, héritée de la physique, est presque indispensable lorsque l'on veut expliquer quelques-unes des principales découvertes de la biologie moléculaire. Mais cette utilité est rétrospective - cette notion n'aurait joué aucun rôle dans ces découvertes.
" La biologie moléculaire depuis les années soixante a largement utilisé des métaphores empruntées à la cybernétique et à la théorie de l'information La théorie de l'information est étendue aux conditions formelles de création d'information et sert ainsi à établir les bases d'une théorie de l'auto-organisation, non seulement en biologie mais aussi pour les sciences humaines […]. La biologie post-génomique actuelle redécouvre la pertinence de ces analyses et des applications de ce principe, notamment en physiologie cellulaire, en immunologie et dans les neurosciences. "(Atlan, 1972)
La biologie est dans une mutation constante au point que, tout spécialement depuis l'avènement de la génomique le sentiment de vivre une transition est souvent mentionné.
Les énormes progrès dans la compréhension de la vie que cette biologie ont permis produisent des remises en question de concepts fondamentaux tels que la notion gène en tant qu'entité fondamentale de la constitution des êtres vivants. Notamment la découverte des effets complexes de gènes et des gènes architectes (D. Duboule & Wilkins, 1998) remet en question l'idée Mendélienne d'associer une caractéristique à un gène. Dans une analyse d'un ouvrage de génétique du développement (Denis Duboule, 2005) parle de changement de paradigme pour la manière dont la génomique nous montre l'extraordinaire unité fondamentale du vivant et les similitudes remarquables entre les êtres vivants " and the concurrent change in paradigm that leaves us wondering why then are we so different from other animals." (ibidem p. 955)
Avec un titre provocant "Are you ready for the revolution?" dans le numéro historique du 15 février 2001 de Nature (International Human Genome Sequencing Consortium, 2001) où le génome humain est publié (Butler, 2001) a ces propos assez forts pour inciter les biologistes à prendre en compte le changement qui se produit "If biologists do not adapt to the powerful computational tools needed to exploit huge data sets, says Declan Butler, they could find themselves floundering in the wake of advances in genomics."
Dans une discipline qui vit la révolution au quotidien depuis des décennies l'usage des superlatifs du changement devient vite excessif. Pourtant nous allons tenter d'isoler les caractéristiques d'un changement que nous tenterons de montrer comme fondamental.
Alors que la génétique moléculaire n’est plus seulement une réalité de laboratoire, mais entre dans une phase industrielle, et finalement dans la vie quotidienne " En matière de culture, on ne peut plus se contenter de connaître Madame Bovary de Flaubert, Belle du Seigneur d'Albert Cohen, la fugue pour deux -violoncelles de Schubert, et se gausser en publie de ne rien comprendre à l'ADN, aux particules élémentaires (celles qui composent la matière, pas le dernier roman à la mode!), à la théorie quantique ou aux nouvelles céramiques industrielles. Les sciences et les techniques font désormais partie de notre univers culturel " (Giordan, 1998).
Le consommateur, le citoyen sont quotidiennement confrontés à des produits des biosciences (médicaments, thérapies, produits industriels, OGM), et l’on voit des attitudes très diverses face à aux enjeux éthiques que ces biosciences soulèvent.
D’un point de vue sociologique on passe ainsi dans la 3ème étape de tout système technique celle de la justification. Selon (Amalberti, 2007) on voit se succéder 3 phases : les temps héroïques, où la sécurité n’est pas prioritaire, puis celui de l’espoir, où la " qualité " fait irruption : les accidents fréquents sont peu condamnés. Enfin le temps de la justification ou de la sécurité : les rares accidents sont lourdement sanctionnés. Il s’ensuit une rupture et un nouveau cycle.
" La biologie moléculaire est en train de disparaître parce que ses méthodes, mais surtout ses concepts, sont maintenant intégrés dans toutes les disciplines biologiques, de la neurobiologie à la biologie du développement ou à la systématique. Eût-elle envahi une seule, ou seulement quelques-unes de ces disciplines biologiques, elle aurait pu peut-être leur donner son nom. Ayant conquis presque toutes les disciplines, elle ne pouvait que disparaître en tant que telle. Sa disparition est le résultat d'un mariage heureux avec les autres disciplines de la biologie […] L'histoire de la biologie moléculaire relevant aujourd'hui du passé, l'historien ne peut que se réjouir: la biologie moléculaire est entrée dans le champ de son activité normale " (Morange, 2003)Postface à l'édition de 2003 p.359
On assiste à un changement dans tous les domaines de la biologie : si la biologie reste expérimentale, et si la base chimique des processus n'est pas remise en cause, des formes différentes l'expérimenter apparaissent et des manières nouvelles d'aborder l'étude de ces processus se développent
"For life sciences ranging from ecology, botany, zoology, and developmental biology to cellular and molecular biology--all of which can be characterized as science with diverse data types and high degrees of data heterogeneity and hierarchy--IT is essential to collect key information and organize biological data in methodical ways in order to draw meaningful observations. Massive computing power, novel modeling approaches, new algorithms and mathematical or statistical techniques, and systematic engineering approaches will provide biologists with vital and essential tools for managing the heterogeneity and volume of the data and for extracting meaning from those data."(Committee on Frontiers at the Interface of Computing and Biology, 2005) p. 31
Une interprétation de cette profonde mutation de la biologie est résumée ici
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