Activité 1: lecture

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Les messages audio-scripto-visuels sont des constructions combinant, selon des formules infiniment variées, différentes sortes d'éléments signifiants: des images (fixes ou mouvantes, en noir et blanc ou en couleurs, etc.), des mots (parlés de différentes manières ou écrits de diverses façons), des sons (musique ou bruits). Et ces éléments ne font pas que s'additionner, ils interagissent et composent leurs effets propres d'une infinité de façons. Commençons par la description des apparences, c'est-à-dire des phénomènes tels qu'ils nous apparaissent.

fetch

Voici une icone sélectionné parmi les icones qui peuplent les logiciels standards. Celle-ci provient de l'univers des Mac et désigne le logiciel Fetch qui permet les transferts de fichiers entre des machines distantes selon le protocole de transfert de fichiers FTP (Files Transfert Protocole). On y reconnaîtra sans trop de difficulté la représentation analogique d’un animal tenant entre les mâchoires une disquette : elle se compose donc de deux éléments simples, la disquette et l’animal. Mais est-ce un chien, éventuellement un koala ou un autre animal ? Lorsque l’on interroge des utilisateurs, le koala est souvent cité surtout à propos de la version plus récente, en couleurs. Enfin, quelques rares sujets nous ont proposé la souris. Dans notre contexte culturel, l’interprétation penchera le plus souvent pour le chien et la compré­hension littérale de cette icone, sa dénotation, s’imposera en partie à cause de la métaphore qui lui assure sa cohérence sémantique.

 

Le chien, en effet, me regarde et semble même me sourire : sa gueule —un arc de cercle ouvert vers le haut— rappelle le signe analogique du sourire, ce tracé mimétique du mouvement de mes propres lèvres lorsque je souris. Cette représentation, ce mouvement intériorisé, s’est d’ailleurs figée et est depuis longtemps reproduite telle quelle dans de nombreux environnements graphiques (bande dessinée, logogrammes, émoticon ou smily). Il y a là une part de convention dans un signe analogique. Quelle que soit la nature du lien sémiotique de cette gueule —disons de l’analogique conventionalisé—, je dois de toute évidence admettre qu’elle constitue une sous-entité apportant sa part à la construction du sens. Et si l’on peut difficilement dire qu’un chien sourit —encore qu’un certain anthropomorphisme n’est guère surprenant à propos de notre si fidèle ami …—, tout au moins apparaît-il manifester à mon égard une certaine empathie. Ses yeux rieurs et ses oreilles exprime­raient d’ailleurs le même sentiment de contentement.

La disquette demande elle aussi quelques commentaires. Elle est à l’origine d’un mécanisme métonymique assez classique puisqu’elle représente non pas la disquette elle-même mais bien l’information, donc le(s) fichier(s) : elle désigne le contenu par le contenant et éventuellement, la partie pour le tout. Pourtant la métonymie n’est possible que si l’on accepte que la disquette représente d’abord tout support de stockage numérique (le particulier pour le général) et enfin, l’action de sauver par le support de stockage. On aurait donc au moins deux —sans doute trois— processus métonymiques enchâssés que l’on peut systématiser de la façon suivante :

  • le support de stockage pour l’action de stocker
  • un support de stockage particulier pour tout support de stockage ;
  • le support de stockage pour l’information stockée.

Cependant ni les détails ni ces processus ne m’apparaissent lors de ma première lecture. Mes premières impressions nées d’une compréhension immédiate, globale, m’orientent vers d’autres signifi­cations. Cette représentation est conforme à l’image et à l’expérience commune —directe ou indirecte— que je puis avoir du chien : dans la rue il porte mes journaux, mais surtout il me rapporte les objets les plus divers : le bâton ou la balle que je lui lance, voire mes pantoufles quand je suis dans mon fauteuil à lire mon journal. Fetch déplace mes fichiers et m’amène ceux dont j’ai besoin comme mon chien m’appor­terait ces objets. A l’image de l’animal servile s’ajoute celle d’une amitié et d’un soutien indéfectibles, l’une et l’autre rejaillissant sur le logiciel qui revêt ces qualités canines fondamentales : collaboration, fiabilité, fidélité, etc. Le logiciel Fetch est pour moi ce chien fidèle et efficace : l’icone du logiciel fonctionne donc comme une parfaite métaphore.

Toutefois, pour que la métaphore fonctionne, il faut encore que le chien me fasse face, qu’il soit en quelque sorte mon interlocuteur : qu’il s’agisse d’un ballon ou d’une disquette, c’est à moi qu’il les rapporte, les présente et les offre. D’ailleurs, la collaboration et la fidélité impliquent naturellement le partenariat. La structure formelle de la représentation et la mise en scène des éléments figurés —la posture du chien, son regard qui me regarde et son « sourire »—, m’assignent une place et un rôle dans le dispositif d’énonciation ainsi créé. L’axe de ces regards croisés constitue une marque d’énonciation et m’introduit au registre du discours. La signification ne se déploie qu’à cette seule condition.

On peut arrêter ici cette première approche phénoménologique des messages médiatiques —médiatisés— ainsi que les réflexions libres qu'elle a inspirées. Il importe maintenant de clarifier les grandes questions, les axes d'analyse et de recherche que cette première approche nous a permis de repérer; ils serviront à structurer l'ordre des matières dont il sera question dans ce livre. Au cours de notre lecture de ces trois images, deux grandes questions se sont imposées qui correspondent à ce qu'on peut supposer être les deux grands aspects de tout message (ou plus précisément de toute communication): le contenu et la relation. Mais ce que notre lecture a surtout mis en évidence, c'est qu'aucun de ces deux aspects n'est simple. Il ne suffit pas, pour clarifier le contenu d'un message, quels que soient sa complexité, les types de signes qu’il met en oeuvre ou encore le type de communication auquel l’usage social le destine, de dénombrer ou décoder les significations qu'il porte. Le sens d'un message, avons-nous pu constater, fait intervenir plusieurs matières signifiantes correspondant, du point de vue sémiotique, à des modes de signification très différents et, du point de vue psychologique, à des attitudes et à des processus cognitifs également très différents, sinon franchement opposés. Et ces modes de signification, ces attitudes, ces processus ne s'additionnent pas simplement: ils se composent et interagissent. Du côté relationnel, la complexité est tout aussi évidente. Notre première lecture nous a permis d'entrevoir la variété des éléments qui interviennent sur l'axe relationnel (éléments verbaux, graphiques, iconiques) et qui, surtout, modulent les relations psychosociales selon des orientations pouvant être radicalement opposées.

Il convient maintenant de donner une vue d'ensemble des principales théories de la communication, théories dont les questions et les notions ont permis la mise au jour des différents aspects de la communication que nous venons d'évoquer.

D. Peraya, TECFA, Université de Genève