Le tour de Klimt
Dès
ses débuts à l’Académie, Schiele verra en Klimt le
modèle qu’il devait ensuite vénérer toute sa vie.
On peut déjà y voir un premier acte de rébellion contre
son professeur Griepenkerl et contre le dogmatisme de l’enseignement académique.
Au lieu
d’un traitement naturaliste du corps et d’une facture spatiale, Schiele
adopte progressivement les principes de composition de Klimt, à
commencer par l’accent qu’il met sur la surface picturale, et que servent
à la fois l’esthétisme de la ligne et l’utilisation d’ornements
qui remplacent l’espace.
Le rapprochement
avec Klimt se remarque concrètement dans ses Esprits aquatiques
de 1907 et 1908. Schiele y reprend le motif des personnages féminins
glissant horizontale-ment à travers le tableau, motif qui était
apparu entre 1904 et 1907 avec les Serpents d’eau de Klimt. Tout comme
Klimt, Schiele les insère lui aussidans une surface richement traitée.
Mais tandis que chez Klimt, et comme on le remarque d’ailleurs dans la
majorité des portraits de cet artiste, les lignes ondulantes et
sensuelles de corps tout à fait naturalistes sont prises entre des
surfaces et des formes ornementales abstraites, les personnages de Schiele
vont eux-même être envahis par l’abstraction de la structure
ornementale. Leurs contours anguleux leur ôtent la valeur organique
et plastique que leur conférait Klimt, ils semblent avoir été
découpés dans la tôle.
En dépit
d’une indéniable parenté thématique avec celle de
Klimt, l’oeuvre de Schiele perd ainsi le caractère érotique
des Serpents d’eau. Elle se charge plutôt de traits spirituels (entre
autres par l’introduction d’obscurs profils masculins). Dans le dessin
des corps de Klimt, la ligne est encore nettement déterminée
par l’objet, et cela quand bien même son esthétisme confère
à cet objet une indépendance mélodique ou eurythmique
transformant les personnages en pure esthétique.
La ligne
de Schiele, en revanche, apparaît comme un instrument autonome de
l’interprétation: elle est en quelque sorte dénuée
de tout naturalisme, son caractère anguleux recelant des qualités
essentiellement affectives, mieux, expressives.
Cela nous
aide à comprendre la qualité et le caractère de l’instrument
artistique le plus important pour Schiele: la ligne, mieux le trait. Quoi
qu’il en soit et au-delà de toute interprétation, on observera
que dans l’oeuvre de Schiele, la ligne brisée comporte précisément
une charge spirituelle et psychologique. |