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chapitre 5 La modélisation d'une décision administrative par le génie cognitif

5-4.1 La LAIE - histoire, structure et dynamique


La législation sur l'acquisition d'immeubles par les étrangers (LAIE) a été créée en 1961 sous la pression de la rue. Nous allons donner un aperçu des trois étapes les plus importantes de cette législation changeante, ainsi que la manière dont elle a été appliquée dans les trois Cantons de Genève, du Valais et de Lucerne. Ces étapes ont été étudiées par Delley et al. En Suisse, l'exécution d'une loi est toujours laissée à la responsabilité des Cantons. La confédération peut prendre un certain nombre de mesures dont on parlera pour assurer une certaine homogénéité de la mise en oeuvre. En outre, en ce qui concerne certains aspects, une législation peut octroyer aux Cantons la liberté de définir leur propre politique. Etant donné que des parties substantielles de l'application d'une loi sont toujours négociées par les acteurs de la mise en oeuvre., le facteur politique reste donc très important pour plusieurs raisons, même dans la phase de mise en oeuvre.

Historique

Durant la période de la "Lex von Moos" (1961-71), les Cantons possédaient une autonomie assez large. Le texte de l'arrêté était très ouvert, peu précis et aucune possibilité n'était donnée au gouvernement fédéral pour intervenir dans les décisions des instances d'autorisation cantonales. Le seul moyen de pression qu'avait le gouvernement était une instance fédérale d'appel pouvant annuler les décisions des instances de recours cantonales. En conséquence, cette législation était, dans la main d'un Canton actif, un instrument d'action assez flexible pour poursuivre une politique ouverte ou fermée face à l'acquisition d'immeubles par des étrangers.

Les intentions du législateur ont pris une autre direction avec la Lex Furgler (1974-83). La nouvelle loi était beaucoup plus détaillée et elle était accompagnée d'arrêtés d'exécution plus précis au plan de 'interprétation et l'application de la loi. L'acquisition d'immeubles par des étrangers était seulement possible pour une certain nombre de motifs, tels qu'habitation personnelle et permanente de l'acquéreur, exploitation d'une industrie ou d'un commerce, etc. Chaque décision cantonale devait être transmise à l'office fédéral de la justice qui avait la possibilité de faire appel aux autorités cantonales d'appel ou par la suite, au tribunal fédéral. Grâce à cette fonction de "chien de garde", cet office a produit un certain nombre de textes informels (des circulaires, des tournées d'information, etc.) qui ont été bien suivis par la majorité des Cantons. Toutefois, il existait des domaines où les Cantons ont pu conserver des possibilités d'interprétation plus larges. Il s'agissait des acquisitions liées au tourisme, aux activités commerciales et industrielles, aux relations étroites. L'obligation de contrôler des participations financières dominantes d'une acquisition par un résident (non assujettis) était interprétée très différemment.

A la suite de fortes pressions venant de la majorité des Cantons touristiques, le gouvernement fédéral a publié un arrêté d'exécution très favorable à l'acquisition d'immeubles dans ces Cantons. Dans la loi, dès que le pourcentage de possessions étrangères dépassait un certain seuil, de nouvelles acquisitions pour raisons touristiques étaient interdites. Par contre, cette ordonnance permettait la vente d'un certain pourcentage d'un immeuble à des étrangers. Sans cette clause, l'activité immobilière dans ces régions aurait été freinée considérablement. Toutefois, si une commune le désirait, elle pouvait ne pas utiliser ces clauses d'exception une fois une certaine proportion d'immeubles étrangers atteinte. Etant donné que cet arrêté a ouvert les vannes permettant l'acquisition d'immeubles de vacances, un nouvel arrêté gouvernemental a simplement fixé des quotas pour les Cantons sur la base de la consommation dans le passé. Ces quotas ne pouvaient pas être dépassés. Ainsi les Cantons sont devenus distributeurs de ressources parmi les communes touristiques qui désiraient participer à ce "gâteau".

La Lex Friederich (1983-) est une tentative de synthèse entre les différents régimes du passé. Il s'agit d'une loi encore plus précise que la Lex Furgler. Par contre, elle laisse explicitement ouverte au Canton la possibilité de légiférer sur certains aspects. La loi, comme la Lex Furgler, prévoit des raisons d'autorisation supplémentaire dont peuvent faire usage les Cantons (le tourisme ou la construction d'immeubles HLM par exemple). Elle fixait aussi des raisons impératives de refus, et des raisons de refus qui pouvaient être spécifiées par les Cantons. L'acquisition des immeubles de vacances qui a toujours été au centre de la préoccupation est devenue largement une affaire Cantonale à l'intérieur de certaines bornes fixées par Berne. Ainsi, certains Cantons comme Lucerne appliquaeient une politique restrictive, suivant en cela la Lex Von Moos , alors que d'autres Cantons, comme le Valais, appliquaient une politique plus large suivant la Lex Furgler. Toutefois, il faut dire,que, grâce à la réforme de la politique fiscale en Allemagne (qui permettait aux gens de déduire toute acquisition d'immeubles de leurs impôts), grâce à des raisons géopolitiques et de conjoncture, l'intérêt pour les acquisitions d'immeubles avait déjà fortement baissé au début des années 80. Au début, et surtout dans les années "Furgler", les acquisitions étaient fonction de l'offre, maintenant c'est l'inverse.

Acteurs et procédures

Les Cantons qui sont les acteurs principaux de la mise en oeuvre doivent définir les autorités prévues par la loi. Comme c'est généralement le cas en Suisse, on utilise des structures administratives déjà existantes. L'autorité de la première instance est nécessairement la plus sollicitée. Elle décide si une autorisation est assujettie au régime d'autorisation et elle accorde ou refuse une autorisation de l'acquisition. Sous le régime de la Lex Furgler (que nous modélisons), les parties (l'acheteur et le vendeur) ainsi qu'une autorité cantonale peuvent faire appel de la décision de la première instance à une instance cantonale d'appel. Si l'autorité cantonale ne saisit pas cette possibilité, l'Office fédéral de justice peut alors faire appel. Par la suite, le cas peut être porté devant le tribunal fédéral. Dans le cadre de la Lex Von Moos, cette possibilité d'intervenir n'existait pas pour l'office fédéral de la justice. Il n'existait qu'une autorité fédérale d'appel disparue depuis. Le rôle de la Confédération était donc très passif.

En analysant le système d'acteurs et leurs moyens d'intervention sous le régime de la Lex Furgler, on s'aperçoit qu'il propose une variété de styles d'opération. En effet, l'analyse empirique de Delley et al. a confirmé que l'on peut observer une variété locale et temporelle considérable dans l'application de cette législation. Les raisons pour ces différences de la mise en oeuvre sont politiques et économiques (la perception locale de ce qu'était la loi), personnelles (la personnalité des individus remplissant les diverses fonctions de décideur) et institutionnelles (l'intégration des institutions de décision dans l'organigramme cantonal). Nous allons l'illustrer en donnant une petite description de la situation dans les trois Cantons: Genève, Lucerne et Valais.

(1) A cause de sa situation, Genève a toujours été au centre d'intérêts étrangers. Etant donné l'étroitesse du territoire, les acquisitions étrangères ne passaient pas inaperçues et il existait une certaine opposition. Toutefois, avant le milieu des années 80, le gouvernement local n'a jamais fait preuve d'enthousiasme à l'égard de la LAIE. En 1961, lors de la création de la loi, Genève s'y est opposé totalement. Plus tard, ce Canton a accepté le principe d'une régulation, toutefois sans entamer sa souveraineté cantonale. Genève a toujours défendu avec verve ses intérêts. En conséquence raison de cette attitude, la première instance a été attribuée au Département du Commerce, de l'Industrie et du Travail. Durant la Lex Von Moos, le gouvernement lui-même s'attribuait simultanément l'autorité habilitée à faire appel et l'autorité de deuxième instance à laquelle on fait appel. Autrement dit, le contrôle de l'appel restait sous contrôle du gouvernement puisque l'application de la LAIE était perçue comme un problème économico-politique. Dans cette constellation, le centre n'avait aucune possibilité d'intervention pour faire respecter l'esprit de la loi. Ainsi, contre la volonté de Berne, Genève délivrait des autorisations pour financer la construction d'HLM. Certaines de ces décisions cantonales étaient à la limite de la légalité. Lors de la révision de 1973 (Lex Furgler), Genève s'est dotée d'une autorité habilitée à recourir, attribuée au département de Justice et Police. Toutefois, cette autorité ne s'est jamais montrée très active. Il n'existait aucune raison pour que le ministre de la Justice interfère avec son collègue de l'Economie Publique, surtout quand l'autorité de deuxième instance est le gouvernement collectif lui-même.

Sous la Lex Furgler, la mise en application de la LAIE était essentiellement la responsabilité d'un juriste du Département d'Economie Publique. Les décisions difficiles étaient discutées avec le chef du Département (le Ministre de l'Economie Publique) qui consultait occasionnellement les autres membres du gouvernement. Les relations avec les "clients" potentiels (avocats et promoteurs) étaient codifiées de manière informelle. Ainsi les représentants d'acquéreurs potentiels ont souvent consulté de manière informelle la première instance pour obtenir un avis informel concernant l'aboutissement éventuel d'une demande. Ainsi des refus formels d'autorisation ont pratiquement pu être évités. Il existait peu d'appels, la plupart venant de l'Office fédéral de Justice. Ces appels venant de Berne étaient, en règle générale, refusés par le gouvernement de Genève (instance d'appel). Berne n'a pas fait appel auprès du tribunal fédéral ne voulant pas risquer une jurisprudence concernant des "besoins publics" de Genève, clause de la loi qui faisait conflit.

En règle générale, l'opinion des acteurs genevois sur l'application de la LAIE était assez homogène. Ils étaient d'accord pour pousser l'interprétation de la loi et des arrêtés d'exécution jusqu'aux limites de l'admissible pour implanter une politique libérale d'acquisitions dans ce Canton. Après le départ du juriste très compétent qui a créé les bases juridiques de la LAIE, ses deux successeurs n'ont pas été d'accord avec les directives "libérales" de leur chef. Un des deux a été poussé à partir et l'autre a été muté dans une autre section. Il s'agit là d'un indice qui renforce notre opinion à savoir que toute la problématique des acquisitions était perçue avant tout comme un problème économique et politique qui concernait le développement de Genève et beaucoup moins l'esprit d'une loi. Lors de l'introduction de la Lex Friederich seulement, un débat parlementaire a eu lieu, et pour la première fois, une opposition forte à la politique libérale a pu s'exprimer. Finalement, en 1985, le chef du département a été évincé lors d'une élection populair, notamment à cause de sa politique de développement économique forcée s'appuyant entre autre sur la présence d'étrangers. En même temps, la situation immobilière était devenue tellement tendue à Genève que même la droite ne pouvait plus imposer son ancienne politique. En 1986, le nouveau gouvernement et le ministre démocrate-chrétien d'Economie Publique ont décidé d'appliquer une politique stricte.

(2) Le Valais est un des grands cantons touristiques. Il a en commun avec Genève son opposition à la LAIE. Le Canton et la majorité de sa population, dépendant fortement du tourisme, sont contre toute restriction à l'acquisition d'immeubles de vacances par les étrangers. Le Valais était le mouton noir pour l'opinion populaire suisse. Presque un tiers de toutes les autorisations en Suisse entre 1961 et 1975 a été donné dans ce Canton à population relativement faible. Le développement de son industrie de sports d'hiver assez récente dépendait fortement de la vente d'appartements et de chalets aux étrangers. La para-hôtellerie nécessaire à l'industrialisation de la montagne était devenue un problème d'environnement pour les autres Suisses.

Le chef du service juridique du registre foncier a été désigné comme autorité de première instance. Le registre foncier lui-même dépend du département des Finances. Cette solution a été retenue à cause de l'expérience de cet office avec les problèmes d'occupation du sol. L'autorité habilitée à recourir était le service légal du département des affaires intérieures. Comme pour Genève, l'instance d'appel était le gouvernement lui-même. Durant la période de la Lex Von Moos, un grand nombre d'autorisations pour raisons touristiques a été donné sur la base d'une clause d'intérêts légitimes. Pour éviter toute jurisprudence de l'instance fédéral ed'appel aucun cas n'a été transmis à la deuxième instance d'appel. Toutefois, en 1963, lorsque la jurisprudence fédérale a clairement montré qu'elle n'approuvait pas les autorisations sur la base du tourisme, le gouvernement a décidé de ne plus octroyer d'autorisations dans les stations importantes.Toutefois, en pratique, les décisions n'ont pas été modifiées mais elles ont simplement été accompagnées de charges pour prévenir la spéculation. Jusqu'à 1972, la politique valaisanne a été déterminée conjointement par la première instance, le chef du département des Finances, ainsi que le gouvernement.

Sous le régime de la Lex Furgler (74-83), la structure s'est compliquée légèrement. Sous la pression des Cantons touristiques, la loi prévoyait la possibilité d'acquisitions pour des raisons touristiques, et ceci dans les régions touristiques. Toutefois, il existait aussi une clause qui bloquait toute acquisition dans les lieux où un certain nombre de propriétés étrangères existait déjà. En pratique toutes les stations étaient bloquées. Toutefois et curieusement, un arrêté d'exécution prévoyait que l'on pouvait vendre une partie d'un ensemble immobilier à des étrangers dans ces stations bloquées. Le délégué cantonal pour les questions économiques (une agence de coordination entre les acteurs économiques) avait mandat pour décider des dispenses spéciales pour les stations touristiques bloquées par Berne. Surtout lorsqu'un système de quotas a été introduit par Berne, ces décisions sont donc devenues entièrement politiques; il s'agissait de formuler une politique de distribution de ressources. Le Valais connaissait peu d'autres types d'acquisitions à part les immeubles nécessaires au fonctionnement d'entreprises en mains étrangères. Tous ces autres cas correspondaient bien, à notre avis, à l'esprit des lois successifs de la LAIE. Cela a été rendu possible par le fait que la première instance était un personnage très légaliste qui gardait le contact avec l'office fédéral en ce qui concernait les cas limites difficiles. Le Valais était un mouton noir, non parce qu'il interprétait la loi en dehors des limites (comme Genève), mais parce qu'il exploitait de façon déterminée les possibilités prévues dans la loi favorisant le développement du tourisme dans une région économiquement faible.

(3) Lucerne, dans sa relation avec la LAIE était différente des autres sous plusieurs aspects. Tout d'abord, ses représentants au parlement suisse ont contribué largement à la genèse de cette législation et aux modifications successives en 1973 et en 1983. Cela concorde avec la perception hostile qu'avait la population locale de la vente d'immeubles aux étrangers. En 1959, le plan pour quelques résidences de vacances près d'un site historique avait déjà provoqué une opposition locale (et par la suite nationale) très remarquée. Lucerne est un Canton sans beaucoup d'industrie (à par une zone importante au nord de la ville de Lucerne). Son économie dépend substantiellement du tourisme. Toutefois, contrairement au Valais, son tourisme est traditionnel et il s'oriente autour de l'hôtellerie. En plus il est surtout fondé sur la beauté de la Suisse centrale, et beaucoup moins sur l'industrie du ski. Ainsi la pression économique pour vendre des chalets et des appartements aux étrangers n'était pas très forte. Les deux exceptions notables favorisant une politique libérale étaient Rigi-Kaltbad (un site de grande renommée en été) et Fluehli (une vallée perdue au sud-ouest). Notons ici encore que Zermatt, la seule station traditionnelle du Valais s'était opposée aux ventes, par crainte pour son hôtellerie.

En 1961, comme c'était le cas à Genève et en Valais, on a pu observer un réel consensus parmi les acteurs cantonaux. Bien sûr, le consensus allait dans un autre sens. L'aliénation d'immeubles et surtout du sol à des étrangers devait être évitée. La structure locale de mise en application de la loi était très différente de celle des deux autres Cantons. Les préfets des cinq districts administratifs sont devenus les premières instances d'autorisation. Ces autorités sont élues selon des critères politiques et elles possédent une certaine indépendance du gouvernement "tous partis" typique en Suisse. Ces instances ont été créées avec le raisonnement suivant: la procédure d'appel aurait été sans valeur juridique si la première instance avait fait partie d'un département du gouvernement. Le cas de Genève montre en effet que les chefs d'un gouvernement collectif ne cherchent pas à entrer en conflit. Il a été aussi envisagé d'accorder la première instance aux communes, toutefois par crainte de partialité, ceci n'a pas été fait. Toutefois, les préfets connaissent bien les situations locales étant donné qu'ils exercent la fonction de supervision des communes.

Examinons comment une autorité indépendante et "distribuée" fonctionnait dans un Canton pro-LAIE. Au début, presque toutes les décisions étaient prises dans le district de Lucerne. Son préfet est donc devenu naturellement le consultant informel de tous ses collègues. Le département de la Justice était désigné comme autorité habilitée à recourir et il était actif dans sa fonction de supervision. Ces deux circonstances assuraient une bonne harmonie d'application dans ce Canton. Un trait particulier du système lucernois était l'obligation de consulter les Communes et de leur communiquer les décisions. Leur avis n'était pas décisif, toutefois il a dû influencer certaines décisions un peu critiques. Les relations avec l'office fédéral de justice étaient différentes de celles qu'avait surtout Genève, très conflictuelles. A la différence du Valais, la coopération s'exerçait sur toute la ligne. La première instance a fréquemment consulté l'office fédéral de Justice. Durant la période de la Lex Furgler, ce mécanisme a empêché des appels de la part de l'office fédéral. Il s'agit donc d'une sorte de coopération "anticipatoire", d'ailleurs très fréquente (mais pas obligatoire) avec d'autres cantons pro-LAIE.

Surtout durant la période de la Lex Von Moos, la LAIE était perçue comme un instrument pour limiter les acquisitions étrangères. Le préfet de Lucerne était un inconditionel de la ligne dure. Certaines de ses décisions sur l'assujettissement ont du être annulées pour des raisons juridiques. Mais d'une façon générale, première et deuxième instance se sont mises d'accord sur le fait que les raisons d'investissement de capital ou de vacances ne donnaient pas droit à une autorisation. Toutefois, plus tard, sous la pression des communes, quelques autorisations ont été données pour des raisons de vacances. Parfois, la première et la deuxième instance étaient en désaccord en ce qui concernait le motif de l'intention de vivre en Suisse. Mais il s'agissait de différences de degré et non pas de principe. Le principe était le refus, et l'exception était l'autorisation.

Malgré leur accord avec l'instrument "Lex Von Moos", le gouvernement cantonal a activement encouragé la révision conduisant à la Lex Furgler. Leur motif était le désaccord avec la politique "faible" menée par d'autres Cantons. Toutefois, contrairement aux attentes, la nouvelle loi a eu un effet indésirable. Les communes touristiques étaient dorénavant autorisées à vendre des immeubles à des étrangers, à condition que la part des possessions étrangères reste sous un certain niveau. Mais rappelons que les communes pouvaient vite être bloquées si les quotas étaient dépassés ou si les communes le désiraient elles-mêmes. Au début, certaines communes (leurs promoteurs) ont profité de cette possibilité, même si elles ne l'ont pas fait savoir à voix haute. Toutefois, quand les ventes sont devenus trop importantes à leurs yeux, ces communes ont demandé à être bloquées. Mais que faisait Lucerne avec les dispenses généreuses prévues par l'arrêté fédéral d'exécution. Les communes demandaient en règle générale un seuil plus bas que les 65% d'appartements dans des ensembles nouvellement construits. Dans ces cas, le préfet a gardé une attitude passive et il a laissé la liberté aux communes de définir leur politique. En outre, comme il n'existait pas d'industrie de vacances fondée sur la construction et comme peu de communes se prêtaient à cet exercice, le phénomène n'a pas soulevé trop de problèmes.

En ce qui concerne les décisions moins fréquentes, il existait plus de conflits entre les acteurs du Canton. Lorsque des raisons économiques importantes étaient en jeu, les autorités communales faisaient pression pour obtenir une autorisation. En Suisse, en règle générale, les communes perçoivent une partie substantielle des impôts directs (presque 50%). Il s'agit essentiellement d'étrangers riches (apport d'impôts considérables) qui font de l'acquisition d'une villa avec une certaine superficie la condition pour l'élection de leur domicile. La première instance a, en règle générale, donné une décision négative si les critères locaux (et fédéraux) d'application de la loi l'exigeaient. Toutefois, dans certains cas et sous l'influence d'autorités impliquées dans la promotion économique, certaines décisions très libérales ont été prises. Dans ce sens, Lucerne montre dans certains cas isolés les mêmes symptômes que Genève, c'est-à-dire les nécessités économiques primant l'esprit d'une loi. Après le départ du chef du Département de la Justice très pro-LAIE,cette tendance s'est renforcée. Toutefois, ces décisions étaient prises plutôt exceptionnellement. Lucerne a toujours cherché à appliquer correctement la loi. Par exemple, le canton a très bien vérifié le contrôle indirect de capital suisse par les étrangers. Le préfet a toujours obtenu toutes les informations nécessaires des autres autorités comme le service des impôts. Ce n'était pas le cas à Genève, où pratiquement aucune collaboration n'existe entre offices. Beaucoup de décisions de la première instance ont été prises simplement sur la base de déclarations notariaes.

En résumé, Lucerne a tenté de mettre en application une politique de mise en oeuvre stricte et sérieuse. Un coopération entre tous les agents directement ou indirectement impliqués avec la LAIE a existé. Dans les cas où des intérêts économiques importants étaient en jeu et où il existait un support d'au moins une partie du gouvernement, on a pu observer des décisions libérales. Le seul paradoxe nous semble être la politique très libérale dans le domaine des appartements de vacances, où l'on a laissé toute l'initiative aux communes. Les acteurs interrogés dans l'étude de Delley et al. ne sont pas arrivés à expliquer ce fait. Ceci nous permet de faire une parenthèse méthodologique: très souvent, il est difficile, voire impossible de trouver les causes d'une décision. Certains cours d'action importants se développent sans aucune prise de décision explicite et consciente.

En conclusion de cette discussion, nous pouvons faire l'hypothèse que la politique cantonale (attitudes et structures de la mise en oeuvre) de l'application d'une loi est avant tout produite par les besoins économiques du Canton, tels qu'ils sont perçus et définis par l'élite politique locale, à condition qu'elle soit plus ou moins unie sur ce point. L'attitude générale face à la LAIE et certains particularités du système de mise en oeuvre influencent également la politique d'application.

Historique
Acteurs et procédures

THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94
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