LA PRESSE ENFANTINE

Dans cette partie nous proposons une modeste approche psychosociologique de la littérature enfantine et de Harry Potter. Nous allons surtout insister sur la façon dont les personnages masculins et féminins sont présentés et montrer quil existe une asymétrie en défaveur des filles.

Au sujet de la littérature enfantine

Soulignons tout d'abord que la littérature enfantine est essentielle dans la vie des enfants parce qu'elle participe de façon importante à la socialisation

En effet, les livres d’images permettent de présenter aux enfants des valeurs sociales, ainsi que des exemples de rôles et de comportements socialement acceptables. Selon la théorie de l’apprentissage social, les modèles que l’enfant va trouver dans ces livres lui enseignent quels sont les comportements appropriés pour chaque sexe (Ashby et Wittmaier, 1978). Un autre processus de socialisation est l’identification (Danziger, 1970).  L’enfant va chercher à ressembler à un personnage qu’il admire. 

De nombreuses études ont montré que dans cette littérature, les personnages sont représentés de manière stéréotypée et asymétrique en défaveur des personnages de sexe féminin. Le plus souvent les filles sont représentées de façon passive et à l'intérieur. En d'autres termes, elles attendent que le prince charmant vienne les sauver. Les garçons, au contraire, sont actifs et vivent un tas de choses à l'extérieur de la maison. Plus particulièrement, Weitzman et al. (1972) a constaté que les filles sont sous-représentées, qu’elles ont un rôle le plus souvent insignifiant tandis que les garçons vivent d’héroïques aventures. Au niveau des rôles également, les filles sont là pour servir autrui tandis que les garçons ont une position dominante. De même, les femmes adultes ont des rôles très fonctionnels alors que les hommes ont des rôles variés et intéressants.

Ceci a notamment été confirmé dans une étude faites par nous-mêmes, dans le cadre de nos travaux pratiques en psychosociologie. Nous nous sommes intéressées à la presse enfantine publiée en français durant les années 1999 et 2000. Les principaux résultats mettent en évidence des asymétries tant quantitatives que qualitatives en défaveur des personnages féminins. Soulignons que ces asymétries sont le plus souvent subtiles et indirectes. Nous supposons que ce phénomène est dû à la norme sociale dominante qui interdit actuellement la discrimination sexuelle ouverte.
Le plus surprenant c'est que les auteurs et illustrateurs sont en majorité des femmes. Il semble donc que les auteurs femmes ont intégré la définition plus valorisée des caractéristiques masculines typiques et préfèrent mettre en scène des héros masculins. Elles contribuent donc, à leur insu, à perpétuer l’impression que les traits masculins sont plus désirables.

A ce sujet, Weitzman et al. (1972) indique que le processus d’identification serait plus difficile pour les filles étant donné la moindre valeur des rôles féminins, sans parler du risque que les filles aient une image plus négative d’elles-mêmes. L’auteur signale aussi que certaines filles dont la personnalité ne correspond pas aux rôles féminins traditionnels seront partagées entre leur envie de suivre leurs désirs et la peur de déplaire en ne suivant pas les attentes parentales et sociales. Cette définition rigide des rôles associés à chaque sexe est également défavorable pour les garçons, qui n'ont pas le droit de se montrer faibles ou émotifs. Pour les deux sexes, cette définition des rôles limite le développement intellectuel et notamment le développement de la créativité. De plus, selon McDonald (1989), ces représentations stéréotypées de chaque sexe risquent de limiter la mobilité sociale des individus.

Un autre problème est le fait que les modèles masculins et féminins, présentés de façon stéréotypée dans la littérature enfantine, soient en décalage par rapport à l’évolution des rôles et des rapports hommes-femmes  de sorte que la littérature ne transmet pas une représentation adéquate de la réalité (Kortenhaus et Desmarest, 1993 ; McDonald, 1989).

A propos d'Harry Potter

En ce qui concerne Harry Potter le héros est de sexe masculin comme dans la majorité des livres. Nous nous retrouvons ainsi face à une asymétrie en défaveur des filles. Les meilleurs amis de Harry sont une fille (Hermione) et un garçon (Ron). Il y a ici une symétrie entre les sexes, mais la façon de les représenter ne nous semble pas identique. Ron nous paraît plus valorisé que Hermione, car il est beaucoup moins stéréotypé qu'elle. De plus on connaît ses frères et soeurs, alors que de la famille de Hermione on ne connaît rien. Hermione renvoie stéréotypiquement à la fille studieuse, qui passe son temps à lire et à être raisonnable. Elle a aussi un côté "gentil", typiquement féminin, qui ressort notamment  lorsqu'elle défend les elfes de maison. Au contraire, Ron est prêt à participer à toutes les aventures et bêtises possibles et ne se soucie pas de transgresser les règles.

Les autres rôles importants sont également en majorité dédiés à des hommes. Il y a Hagrid et le professeur Dumbledore par exemple, l'un est un des sorciers les plus sages de l'histoire et l'autre a le coeurs sur la main. Il y a aussi le professeur McGonagall. Mais à nouveau, ce personnage féminin est décrit de façon plutôt négative, en tout cas de manière beaucoup moins flatteuse que Hagrid ou Dumbledore. Elle renvoie à un professeur sévère et sec.

Nous constatons donc que dans les aventures de Harry il y a non seulement une asymétrie entre les sexes au niveau du nombre de héros de chaque sexe, mais également à un niveau plus qualitatif qui renvoie à la valorisation des personnages de chaque sexe. Il y a plus de héros masculins et ils sont en plus décrits de façon plus favorable que les personnages féminins.

Bibliographie

  • Ashby, M. S., & Wittmaier, B : C : (1978). Attitude changes in children after exposure to stories about women in traditional or nontraditional occupations. Journal of Educational Psychology, 70, 945-949.
  • Danziger, K. (1970). Readings in child socialization. Oxford : Pergamon Press
  • Dietschy, C. & Rigo, C. (2001). La presse enfantine : une représentation égalitaire des sexes?. Travaux Pratiques à l'université de Genève.
  • Kortenhaus, C. M. & Demarest, J. (1993). Gender Role Stereotyping in Children’s Literature : An Update. Sex Roles, 28, 219-232.
  • McDonald, S. M. (1998). Sex bias in the representation of male and female characters in children’s picture books. Journal of Genetic psychology, 150, 389-401.
  • Weitzman, L. J., Eifler, D., Hokada, E., & Ross, C. (1972). Sex-role socialization in picture-books for prescholle children. American Journal of Sociology, 77, 1125-1150.
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