chapitre 3 Modèles du décideur politique
Axelrod (76:55) définit une carte cognitive de manière très générale: "A cognitive map is a specific way of representing a person's assertions about some limited domain, such as a policy problem". Les croyances formant des cartes cognitives sont donc un peu comme Saris et Gallhofer des constructions "reconstructivistes", c'est-à-dire le résultat de l'analyse du comportement verbal observé. Le cognitive mapping est donc une méthode d'analyse de textes. Axelrod affirme que les assertions du décideur représentent, dans beaucoup de cas, relativement correctement la structure de croyance d'un acteur telle qu'elle est perçue par le destinataire auquel le texte est adressé. En effet, le décideur est en règle générale sous la contrainte d'être cohérent et dans la plupart des cas, il est difficile de dire quelque chose et faire autre chose par la suite (cf. Axelrod 76: 253).
Formellement, les croyances d'une personne par rapport à un sujet sont représentées comme un graphe dirigé. Chaque noeud du graphe représente un concept utilisé par le décideur. Les noeuds sont connectés par des flèches représentant des liens de causalité simple. "Concept" est utilisé dans un sens très large. Cette notion représente toute entité atomique variable comme une alternative de politiques*2, un but, un moyen, etc. Un lien causal peut être négatif ou positif. "Positif" signifie que deux concepts évoluent dans le même sens. Un lien négatif change le sens de l'influence. *3 Le principe de codage
est représenté schématiquement dans la figure 3-10.
Ce dessin de la structure élémentaire d'un graphe (deux noeuds et un lien) montre que l'objectif des cartes cognitives est de représenter la structure des assertions causales d'une personne. Chaque noeud dans un système (codé) de croyance est lié à un autre noeud au moins par un lien de causalité négatif ou positif. On pourrait facilement imaginer l'utilisation de mesures plus complexes pour les relations entre concepts, par exemple l'assignation de valeurs pour mesurer la puissance d'une relation. Mais Axelrod (76:68-73) prétend qu'il est difficile de mesurer plus que de simples directions négatives ou positives. Cette affirmation ne paraît pas très convaincante, sauf peut-être dans le sens où il est plus facile d'obtenir une fiabilité élevée de codage de textes avec cette méthode simple et superficielle. En outre, Axelrod remarque que ce genre de graphe est plus simple à analyser que, par exemple, un système dynamique. Il est vrai qu'il est plus simple de comprendre un système à complexité fortement réduite.
Le processus de codage comprend plusieurs étapes (cf. aussi Wrighton 76:292). Un bon codeur doit tenir compte à la fois du contenu (au sens superficiel) et de la structure du texte. Tout d'abord, il s'agit de trouver toutes les relations simples entre concepts. Le triplet concept-cause/lien/concept-effet doit guider l'analyse. Chaque concept doit être une entité variable, c'est-à-dire quelque chose qui pourrait, du moins potentiellement, se trouver dans un état différent. Autrement dit, un concept est un objet "cognitif" assez simple possédant seul un attribut avec une valeur. Dans une seule phrase, on peut évidemment retrouver plusieurs concepts ou relations. Dans ce cas il faut également les traduire en relations atomiques simples.
Une fois qu'on a identifié toutes les relations de base, il faut effectuer une classification des concepts, c'est-à-dire les grouper selon leur position virtuelle dans un graphe (par exemple selon les acteurs, options politiques ou effets). Une fois cette opération de tri effectuée, l'opération de la traduction de ces relations atomiques en un graphe complet est plus simple. Les instances multiples d'un concept et d'une relation doivent être joints (à condition d'avoir la même signification). Il n'existe pas de règles fixes pour dessiner un graphe, mais quelques heuristiques qui rendent la présentation meilleure et plus compréhensible: (1) les options politiques sont dessinées à l'opposé des utilités finales de ces choix. Les concepts intermédiaires, comme les effets d'une politique sur les autres acteurs, sont placés au milieu. (2) En règle générale, les flèches pointent dans la même direction, par ex. de droite à gauche ou du haut vers le bas. (3) Il faut éviter le croisement de flèches pour des raisons de clarté. Evidemment, il faut s'attendre à devoir dessiner plusieurs fois un graphe avant qu'il soit clairement lisible, surtout s'il contient des cycles.
L'opération de codage
Il existe plusieurs méthodes pour modéliser le graphe politique d'un décideur. La méthode la plus conseillée est de trouver tous les textes (écrits ou non) contenant des assertions sur le sujet donné. On peut également recourir à un questionnaire mais celui-ce présente l'inconvénient (comme toutes les méthodes actives de la collecte d'information) d'être trop influencé par le savoir du chercheur sur le domaine ou de l'acteur en question. Par contre, il possède, l'avantage de rendre explicites certains aspects que l'on ne retrouve pas explicitement dans des textes. On peut également imaginer une combinaison des deux méthodes où l'analyse de texte constitue le "background" complété par d'autres méthodes de collecte d'information. L'analyse de graphes cognitifs
Le premier pas consiste à tracer l'effet global des chemins de causalité. Les relations positives et négatives sont propagées à travers le graphe, principe illustré
dans la Figure 3-11: "La mesure de l'effet d'un chemin causal" [p. 77]. Les signes entre parenthèses indiquent l'effet accumulé d'une chaîne causale. *4. S'il existe plus d'un chemin qui conduit d'un point A vers un point B, le graphe peut être équilibré ou déséquilibré. Il existe deux règles générales pour mesurer l'effet d'un chemin:
Lorsqu'un graphe contient des cycles, on doit procéder différemment. Les cycles représentent des boucles à rétro-action positive ou négative. Un cycle qui ne contient que des flèches positives augmente le changement original. Le premier exemple dans la figure 3-12 dit simplement que sans régulation, le nombre d'acquisitions d'immeubles par des étrangers va augmenter. Ceci provoque des prix plus élevés. Des prix plus élevés (on est dans la boucle) attirent plus d'investisseurs étrangers, .. et on recommence la boucle de "feed-back" positif. Un cycle qui contient un nombre pair de relations négatives aura le même effet parce qu'elles se neutralisent. Un cycle qui contient un nombre impair de flèches négatives agit contre les dérivations ("feed-back" négatif). Le deuxième graphe dans cette figure dit que les prix en augmentation dus aux investissements étrangers vont diminuer ces investissements. Ces deux exemples ne représentent évidemment pas une modélisation systémique de cette problématique mais la modélisation d'une argumentation cognitive. Il ne faut donc pas interpréter ces graphes d'une façon quantitative. Ainsi, le premier exemple ne prétend pas que les prix et les acquisitions des étrangers vont augmenter jusqu'à l'infini
.
Une fois le graphe dessiné et les effets globaux connus, on peut également procéder à d'autres types d'analyse plus sophistiqués qu'on ne discutera pas ici. Un graphe cognitif peut être utilisé dans des multiples buts de recherche. Il sert par exemple à l'explication et à la prédiction de décisions ou encore à comparer la nature de décideurs ayant affaire au même sujet politique. Avant de discuter quelques mérites du "cognitive mapping", nous allons discuter son alter ego en science politique: l'étude des codes opérationnels.
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