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chapitre 3 Modèles du décideur politique

3-2.3 Le "governmental problem solving" de Crecine


Crecine s'est beaucoup inspiré des travaux de Simon et March (March et Simon 58, Simon 77) donc indirectement aussi de ceux de Miller, Gallanter et Pribham (1960). Sa modélisation du processus de l'élaboration du budget municipal sort un peu de notre cadre plutôt axé sur l'analyse du décideur individuel. Néanmoins, les résultats de son étude ainsi que les méthodes employées sont dignes d'intérêt général et constituent des références bien établies en science politique. Le processus de décision du budget municipal est "an organizational means for the decision maker to deal with the potential complexity of the budgetary problem" (Crecine 68:129). Cette définition indique une perspective originale: la décision est vue comme moyen d'action politique et non pas comme un problème de choix en soi. Crecine (69:199) affirme aussi que ce processus de décision peut "very usefully be described as decision making or problem-solving in the face of a great deal of uncertainty, a large number of constraints, and few cues from the extra-governmental environment, rather than as a process having a great deal of political content". Le processus d'élaboration du budget a donc lieu dans un sous-système d'action assez indépendant du système politique global. Autrement dit, les demandes externes (comme celles de groupes de pression ou d'autres services par exemple) ne jouent pas un rôle très important. Par conséquent, seules l'information et des valeurs "paramétriques" (comme l'exigence d'un budget équilibré) exercent une influence externe au système.

Le processus de décision est modélisé par l'auteur à la fois comme un "système" hiérarchique de décisions à prendre et comme un système de contraintes. On détermine d'abord le revenu potentiel de la municipalité. Ensuite, en tenant compte des anciens budgets (c'est-à-dire de l'histoire) on définit un budget provisoire. Puis, de nombreuses décisions seront prises en tenant compte de ces deux contraintes. Il est très intéressant de noter que les différents départements de l'administration répondent à des demandes croissantes par une modification de la qualité, de la quantité et des coûts des services offerts. Très rarement, les règles budgétaires sont changées en fonction des besoins. A ce niveau-là, la capacité d'apprentissage de l'administration est donc très faible. Les conflits qui surgissent entre les différentes unités sont "résolus" par la satisfaction plus ou moins égalitaire de leur buts. Crecine (69:216) qualifie ce mode de décision de la façon suivante:

"Concepts like "influence", "community needs", "service standards", "interest group", "politician", and "elite", do not prove to be very useful in understanding the process by which budget level decisions are made. Neither are internal bureaucratic phenomena like "conflict" and "competition for resources". The useful conceptualizations of the budgetary phenomena tend to deal with administrative decision processes, human information processing and problem-solving, organizational decision-making, satisfycing, sequential-attention-to-goals, and the like."

Ces affirmations de Crecine ont une portée plus générale que celle de l'élaboration du budget dans les municipalités américaines. Il existe en effet un grand nombre de sous-systèmes relativement autonomes dans les systèmes politiques modernes et pour certaines de leurs tâches, ils ont des "systèmes de décision" à disposition. Ces systèmes ont également pour propriété de devoir accomplir un but qu'on peut hiérarchiquement décomposer en sous-problèmes qui ont comme contraintes des décisions prises préalablement. D'un point de vue technique, le modèle de Crecine s'inspire de GPS (le "General Problem Solver", cf. Newell 72), une approche d'intelligence artificielle qui modélise le raisonnement par un calcul des buts et des moyens*1.

Crecine (69:211-215) a traduit le processus dans un graphe de flux qu'on peut décrire à l'aide d'un système de règles ou encore comme le démontre Alker (81:358-363) par des unités "Test-Operate-Test-Exit"

(TOTE) déjà introduites (cf Figure 3-9: "L'unité TOTE de base de Crecine" [p. 74]). Dans la phase "Operate", le décideur effectue soit une opération de base, soit il spécifie un ensemble de sous-buts à satisfaire. La logique de ce modèle de décision représente un idéal-type de la décision entièrement différent de celui rencontré par exemple dans la théorie des jeux. Le poids de l'analyse est mis sur les concepts de la procédure, de la décision par pas incrémentés, etc. et non pas sur le choix de grandes alternatives. Il nous semble que ce type de décision est beaucoup plus fréquent en politique que la "décision-spectacle" et que ce type d'analyse devrait être plus privilégié.


THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94

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