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chapitre 2 Modèles de l'individu et de l'acteur social

2-2.1 L'action téléologique et rationnelle


Dans la littérature, nous rencontrons l'acteur téléologique et rationnel sous plusieurs formes, par exemple sous forme de l' "homo economicus" qui optimise ses décisions grâce à une parfaite connaissance de l'information (cf. par ex. Raiffa 68)), ou encore sous forme de l'acteur "satisfaisant" de Simon (69) qui se contente de la première solution satisfaisant quelque critères. Ces modèles ont des traits en commun. Principalement, l'acteur vit dans monde composé de faits objectifs qu'il connaît et qu'il peut manipuler afin de créer de nouveaux faits. Ses relations avec la réalité sont assez simples et directes. Ses préoccupations principales sont la vérité et l'intervention. L'acteur téléologique possède également une volonté qui dirige son action. Dans ces modèles, il agit donc selon une certaine rationalité qui lui permet de saisir un problème, de suivre des buts, d'évaluer des options, de faire des choix, etc. C'est sur l'importance et la nature exacte de ces capacités que la littérature est divisée. Par exemple, pour un économiste, la question de savoir comment et pourquoi les buts sont choisis ne l'intéresse pas: les options sont connues et les choix peuvent être optimisés. Cette image nous apparaît trop irréelle, même dans le domaine limité de la simple maximisation du profit. Par contre, la thèse qu'il doit exister une sorte de rationalité de base n'est pas fausse. Interrogés, les gens sont assez souvent en mesure d'expliquer pourquoi ils ont pris une décision, surtout s'il s'agit d'un choix économique. Nous pouvons certainement supposer qu'ils possèdent une rationalité subjective: ils possèdent la capacité de prendre sciemment une décision en suivant certains critères qui peuvent être des principes de décision économique (optimisation, "satisfycing"), des normes sociales ou d'autres critères, mais qui peuvent être perturbés ou interagir avec des critères moins pertinents, moins conscients aussi.

Ces modèles de la rationalité économique sont analytico-normatifs. Leur logique n'est pas empirique, mais axiomatique. L'acteur économique suit des buts fixes et doit suivre des maximes strictes pour choisir entre les alternatives. Ceci implique une vision à court terme: les buts à suivre ne changent pas, l'action est simple décision, etc. A la décharge de ces modèles, il faut toutefois noter qu'il s'agit le plus souvent de définir un comportement moyen par rapport à des théories macro-économiques. Toutefois, ce type de comportement économique optimal peut devenir normatif s'il est traduit dans des procédures de décision pour des organisations. Le "management scientifique"*1 a été inspiré directement par ce modèle économique de l'homme. Et c'est surtout sur ce plan-là que ce modèle "réduit" devient quelque peu réalité.

Avant de discuter dans le chapitre 3 "Modèles du décideur politique" [p. 47] quelques modèles rationnels plus souples issus de la science politique, il est nécessaire d'évoquer quelques traits supplémentaires du modèle téléologique et rationnel. Nous avons défini l'action de l'homme rationnel et téléologique comme processus de résolution de problème (ou de prise de décision) où un but déterminé doit être atteint par des moyens efficaces. Souvent, ce type de modèle va au-delà d'une simple théorie de choix, comme cela ressort par exemple du schéma suivant tiré de la littérature sur la planification (par ex. Hussy 84:193) et la décision administrative (par ex. March & Simon 58 ou Svenson 79). Ce schéma qui associe "décision" et "résolution de problèmes", résume les étapes d'un processus de décision où il s'agit en l'essence de trouver un bon plan d'action pour un but choisi.

Entrée:             1. Choix d'un but/ Définition d'un problème 
Phase de décision:  2. Définition des possibilités d'action 
                    3. Analyse des risques et problèmes 
                    4. Choix d'un plan optimal 
                    5. Mise en oeuvre du plan 
Sortie:             6. Evaluation de l'effet 
Dans la littérature, ce type de modèle n'est pas toujours aussi strictement linéaire. On peut y trouver de l'anticipation (angl. "feedforward") et des boucles de rétroaction pour ajuster l'action instrumentale. Souvent, ces modèles admettent que l'information dont dispose l'acteur n'est ni complète, ni de bonne qualité. En outre, on tient aussi compte du fait qu'il possède des ressources limitées disponibles pour le processus de planification.

Ce genre d'analyse modélise assez bien une certain type d'action sociale. Toutefois, une rationalité qui s'exerce à utiliser simplement les bons moyens pour poursuivre un but (choisi une fois pour toutes) n'est pas toujours rationnelle. Par exemple, il est bien connu que tout acteur individuel ou collectif doit adapter ses buts par rapport à des buts plus importants qui changent souvent plus lentement dans le temps. De plus, dans le monde réel, le processus de décision et de mise en oeuvre est souvent très ouvert par rapport à l'environnement. Ainsi, au niveau normatif, on a dû créer la discipline de la planification stratégique où décider signifie aussi définir des buts et créer des institutions à même de les poursuivre. Autrement dit, la décision ne se résume plus à l'élaboration de plans, mais inclut aussi la délégation de problèmes à des agents actifs. Au niveau de l'individu, on a ainsi réalisé que la simple rationalité instrumentale n'explique pas beaucoup. Pour survivre, l'individu doit se fixer (consciemment ou inconsciemment) des buts et sous-buts stratégiques qui peuvent être atteints grâce à une multitude de capacités cognitives à des moments donnés. Cette rationalité au niveau du choix des buts est assez difficile à modéliser, car elle apparaît moins explicitement dans le processus de décision qu'on peut observer. Les analyses portant sur les buts et les valeurs sont assez statiques et opèrent souvent dans une perspective de sociologie de la norme que nous allons présenter maintenant.


THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94

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