Il est question pour nous d'examiner ici les aspects plutôt méthodologiques et épistémologiques des travaux de Bremond. Nous discutérons également certains aspects du paradigme du structuralisme sémiotique francais. Cette critique permettra de mieux localiser les exigeances qu'on peut aujourd'hui avoir quant à l'envergure d'une grammaire de récit. Tout d'abord il me semble opportun de signaler encore une fois le caractère très aléatoire (ou "improviste") de certains aspects de la grammaire de Bremond. Comme c'est le cas pour d'autres travaux en sémiotique, l'auteur fait un grand effort pour définir logiquement un système sémiotique, mais ne se donne pas la peine de savoir (ou de dire) comment il faudra l'appliquer à l'analyse de phénomènes textuels. Ainsi on assiste à une discussion détaillé de potentiels rôles fonctionels, puis on percoit indirectement comment la définition des types de processus narratifs (fonctions) est ancrée dans le rôle, mais au bout du compte quand on parvient aux éléments grammaticaux on ne sait toujours pas comment les appliquer à des longs récits. On peut néanmoins sauver la grammaire de Bremond en donnant des principes d'analyse de texte plus explicites.
Il n'en reste pas moins qu'un problème majeur démeure dans l'imprécision de la la définition du raconté et de sa relation avec le racontant. Dans la conclusion de Brémond (73) il apparait assez clairement que le raconté dénote en quelque sorte la déscription pure de ce qui se passe dans le monde raconté. Toutefois l'objet d'analyse n'est que la structure narrative, la structure de rôles fonctionnels ou dans le cadre de la grammaire, la structure des processus d'action. Comme le racontant (ou signifiant) est la "rhétorique" du raconté, il n'y a pas de moyens simples pour passer du texte au substrat d'analyse contrairement à ce que Bremond semble penser. En effet, et particulièrement en politique cette "rhétorique" détermine en grande partie l'interprétation de ce qui s'est passé dans le monde narratif. Ainsi même si on admet que le texte est le seul garant de son contenu, il nous faut absolument des principes et si possible des règles qui disent explicitement comment faire le transfert entre racontant et raconté. Comme on l'a vu, l'extraction de ce qu'il faudra retenir du récit dans un éventuel résumé fonctionnel est un processus incertain. Même si on s'en tient au (faux) principe prôné par certains structuralistes de coller au plus près au texte, on a toujours le choix entre plusieurs possibilités de de codage. On rencontre un problème similaire pour choisir l'angle sous lequel le texte sera considéré. Bremond comme d'autres structuralistes semblent admettre que l'angle arbitraire du chercheur compte ("Le texte est sa seule référence"). Or dans le domaine des sciences sociales il est légitime de s'intéresser également à l'angle de l'emetteur ou du récepteur, de faire des hypothèses sur la manière dont un texte est compris. Ceci implique qu'il faudrait peut-être abondonner la perspective "objectionniste" imprécise du sémioticien (qui de toute facon disparait au moment où le chercheur intervient). Une solution qui permettrait toutefois de garder la perspective de Brémond serait encore une fois de standardiser des méthodes pour cristalliser le raconté/structure narrative fonctionel(le) d'une manière exacte.
Un deuxième point concerne le statut épistémologique plus général de la méthode structuraliste de Bremond et d'autres chercheurs. Le "domaine sémiotique" à analyser est d'abord défini théoriquement à un niveaux très abstrait. Dans le cas du récit, on pourrait par exemple parler du système universel de rôles. Ensuite le système sémiotique de sens correspondant est également dérivé en grande mesure de réflexions "logiques", comme je l'ai déjà montré. Bremond (après avoir critiqué d'autres approches, et après avoir brièvement présenté son concept d'action et de rôle), s'engage dans une très longue étude de différents types de rôles, qui sont dérivés de successives souscatégorisation de types intiaux en commencant par l'agent et le patient. Les multiples références à la littérature ne font qu'illustrer ces efforts théoriques et détachés de la réalité onthologique. Deux types de critique s'imposent en face d'une telle démarche. Le premier type concerne le principe de la démarche déductive en soi, et le second à trait à l'évaluation du raisonnement déductif de Brémond. Il faut tout d'abord constater (surtout en linguistique) qu'une demarche logique contient toujours des lacunes, même si elle semble être parfaite (comme Bremond le croit). Un tel système est nécessairement rigide et inflexible par rapport à la réalité des textes concrèts. Ceci s'aggrave nécessairement en fonction du degré de différentiation. Un système catégoriel hautement différencié a encore plus de chances de louper son objet, que son contrepart primitif, mais général. Mais il est encore plus alarmant de constater le passage sous silence de certains phénomènes importants. L'exemple du "compromis" difficile à codifier dans notre histoire, montre que les aspects de négotiation sont pratiquement inexistants dans la grammaire de Bremond. Ceci peut être dû à leur non-fonctionalité par rapport à la structure de rôles, mais cette explication révèle le caractère vicieux de la démarche: Tout ce qui perturbe ne fait pas partie de l'objet d'analyse. En résumé il me semble important de mettre plus d'accent sur l'interaction entre analyse empirique et analyse logique. Ces dernières ont certes leur place mais elle devraient être plus fléxibles et tenir compte de la réalité onthologique qu'on percoit.
Si on revient maintenant sur le contenu de la logique interne de la théorie Bremond on peut y trouver aussi d'autres points discutables. Ainsi Bremond pense que sa grammaire est universelle parcequ'elle est le résultat de différentiations logiques. Ceci reflète l'erreur fondamentale et banal de croire qu'un système terminologique se justifie uniquement par le fait que sa structure logique est cohérente et qu'on peut l'appliquer à un objet d'analyse. L'existence d'un patient et d'un agent parait logique et on peut les identifier dans un texte, mais l'exclusion du rôle de l'instrument à ce même niveau est loin d'être évident. Dans la même ligne l'adoption d'une division plus que ternaire de l'action (action, acteur, patient) nous donnerait d'autre types de rôle. Même si les différentiations du système terminologique de Bremond ne sont peut-être pas arbitraires, leur combinaison l'est certainement. Un problème voisin résulte du fait que Brémond veut à la fois construire une grammaire de rôles basés entièrement sur un petit lexique logique et qu'il finit par définir des rôles et processus d'action qui ont une signification très thématique. Ainsi dans la discussion de Brémond il apparait tout à fait normal que "protection" et "frustration" soient les seules souscatégories de "conservation" lorsqu'on la divise selon le principe bien/mal. "Conservation" est un terme générique qui se réfère au maintien d'un état, "protection" et "frustration" introduisent l'action sur un patient. Ceci est certes une précision qui peut s'avérer utile et qui exprime le fait que Bremond ne s'intéresse qu'à l'intrigue, mais en même temps elle nous prive de la liberté. Ainsi pour exprimer un acte négatif il faut choisir entre la frustration et la dégradation, ce qui est parfois difficile. Troisièmmement il est dommage que Brémond ne donne pas un apercu plus systèmique de ces rôles. Il montre des correpondances entre certains types de rôles, mais jamais l'ensemble. Ce parti pris de voir comment le système est soudivisé gràce à un processus de différentiation, mais de ne pas montrer comment le système entier est organisé au niveau onthologique est typique des structuralistes. Cependant Bremond semble se rendre compte que si la sémiotique consiste d'abord d'abord à donner le sens d'un rôle dans un système terminologique, il est aussi nécessaire de voir comment ces rôles sont connectés en réalité. Finalement il est étonnant de voir qu'on n'y voit point de discussion au niveau de la grammaire proprement dite de comment certains rôles ou processus font partie d'autres dans le monde narratif. Ceci est probablement un résultat des contraintes paradigmatiques discutées préalablement. Toutefois Greimas permet aussi de telles hierarchies comme on a vu préalablement. En fait, rapelons que le problème de fonds est que Bremond ne s'intéresse pas primairement au rôle, mais plutôt au système qui exprime le sens du rôle. Ceci reflète à mon avis un mal génétique du structuralisme.
Pour Brémond (73:330) il existe "une logique universelle et nécessaire de rôles dans l'intrigue (raconté) parcequ'une logique universelle et nécessaire des rôles régit la combinaison des intrigues (vécues)". Autrement dit: Ce sont les acteurs performant des rôles qui font les événements et "le récit est la forme du rôle, le rôle la matière du récit" (Bremond 73:332). Ainsi pour rendre justice à Bremond il conviendra de diriger notre critique sur ces principes généraux aussi. D'abord il faut constater qu'il est effectivment possible de définir l'essence du récit et surtout du raconté par une structure de rôles, et l'essence du monde narratif au niveau symbolique comme système de rôles. L'exclusion de toute information non événementielle voire même non-fonctionelle est également légitime. Toutefois (si on admet que cette technique fonctionne) il me semble qu'on perd trop d'information pour des analyses politiques. Il serait plus utile d'intégrer des éléments du travail de Bremond dans une grammaire plus puissante, en sauvegardant d'autres éléments de l'analyse comme les instruments et en faisant un lien explicite avec le thème du récit. En politique, où en générale l'intrigue (dans le sens de Bremond) est très banale il est plus intéressant de se concentrer sur les buts des acteurs, leurs motivations ou leurs instruments (moyen et argument). Bremond dit lui-même que ce n'est pas la relation simul-post ou encore la relation cause-effet qui est intéressante dans le récit, mais surtout la relation moyen-fin et obstacle-fin, et semble aller dans notre sens. Le fait que ces dernières relations soient très difficiles à coder (comme elles n'apparaissent rarement explicitement dans les texte), montre peut-être que l'approche sémiotique ne peut pas vraiment rendre compte de tous les phénomènes qu'elle veut couvrir. Elle est est en effet plus utile pour la construction de modèles de signification de symboles que pour l'établissement de modèles de compréhension d'actions. Cette dernière tâche nécessite comme on le verra, des modèles de compréhension généraux, et des modèles de compréhension de resolution de problèmes en particulier.
Cette brève critique montre le problème fondamental du structruralisme et certaines remèdes qu'on peut y apporter. Résumons une dernière fois l'approche de Bremond et d'autres structuralistes: On commence par isoler le phenomème auquel on s'intéresse, par exemple le raconté. On poursuit par définir théoriquement l'aspect (analytique) qu'on veut examiner, par exemple la structure de rôles. On constitue alors un lexique qui comprend les éléments atomique d'analyse, souvent par différentiation logique, et les connecteurs qui produisent des unites' syntagmatiques ou paradigmatiques supérieures. En bref, on isole un aspect d'un phénomène, on construit un système de signification sémantique autour et on reprojette le tout sur la réalité empirique. Dans le cadre du récit on ne s'intéresse au fond pas au raconté, mais à une structure profonde imaginaire du texte lui-même. Ceci présuppose que l'analyse de la réalité doit passer à travers ces systèmes de signification isolés. Cette position est acceptable pour des chercheurs travaillant en lettres, mais pas en sciences sociales. Il nous faut une grammaire de récit qui couvre plus que l'essentiel de l'intrigue au sens de Bremond, qui structure au minimum un texte sans perdre trop d'information. Une grammaire révisée de Bremond devrait nous fournir cet outil. La révision pourrait consister à donner des règles permettant de passer du texte au résumé fonctionel. On pourra alors codifier explicitement les liens qui existent entre la structure de l'intrigue et le texte surface (et ainsi le thème). Lors de ma brève exégèse du texte j'ai déjà utilisé un peu ce principe. On pourra également réviser la grammaire en éliminant les plus grands défauts techniques. A ce titre on peut s'inspirer des formalismes que je discuterai dans la section suivante. Enfin il faut se demander s'il n'est pas possible de mieux relier la réalité empirique aux systèmes de sens qui sont dérivés logiquement. Ceci semble tout à fait être possible même dans le cadre des travaux de Brémond. Toutefois le but ultime est d'avoir un modèle de production et de compréhension de récit qui est capable de montrer comment le le phénomène texte et relié aux phénomèmes "réels". Ceci est a mon avis impossible dans le cadre du structuralisme actuel, et je pense que la perspective d'AI qu'on rencentrera plus tard dans ce travail offre plus de possibilités, bien qu'elle soit encore à ses débuts. Or comme je l'ai déjà mentionné, les recherches des structuralistes ont produit un certain nombre de résultats qu'on pourra certainement intégrer dans ce type de recherche. Les réflexions de Bremond sur la compléxité de la structure du récit, ou encore son lexique de processus en sont des exemples.