Jusqu'ici nous avons accepté sans trop de critique le concept du raconté qui est malheureusement très flou quand il est utilisé dans des discusssion générales et théoriques. En pratique on trouve des définitions assez précises, valables dans des contextes particuliers. La plupart du temps la définition est implicite. Un première acceptation du "raconté" désigne le phénomène généré par un niveau sémiotique profond de narration. Ainsi l'accent n'est pas mis sur le raconté proprement dit, mais sur la structure sémiotique qui lui donne sa signification. Selon Greimas (70:160-64) un tel niveau ne contient pas seulement les structures universelles de la narration, mais aussi les structures universelles de la pensée humaine. La mimesis narrative a donc recours à un lexique et à une logique anthropomorphique qui est non-verbale. Un strate intermédiaire se grefferait ensuite sur ce niveau. Il contient des "archi-modèles", des modèles constitutifs ou taxonomiques qui fournissent les termes pour couvrir des phénomènes, objets et mécanismes tels qu'on les voit chez Lévi-Strauss. A un niveau suivant se trouvent les invariants comme les fonctions et le rôles qui sont "détectés" par l'analyse. L'analyse de Brémond par exemple travaille surtout à ce niveau-ci. Une autre distinction complémentaire de Greimas distingue entre deux axes de structuration de récit. Le premier fondamental, développe la logique des concepts (leur sens). Greimas lui-même applique son quadrilatère logique pour la détecter. L'autre axe met en valeur la temporalité du récit, là il s'agit des formes d'actants et de fonctions et leur ordre possible.
Sur un plan d'analyse moins théorique et plus opérationelle, le raconté correspond à l'intrigue, à la séquence d'événements liés dans l'unité d'une même histoire. Bremond (73:322ff.) exclut ainsi de l'analyse d'abord toute information non-évenementionelle comme des "enclaves" de descriptions de personnes. Seul le code des rôles - qui selon lui peut être analytiquement séparé des autres codes - l'intéresse. Il est plus aisement déchiffrable et plus contraignant, et il "forme l'infrastructure du message, il ne contient pas, mais il porte des significations plus labiles qui motivent l'exegèse" (Bremond 73:323). Ce passage montre encore une fois la stratégie de limitation volontaire de l'objet d'analyse qui est typique des structuralistes. Bremond va encore plus loin. Toute information non-fonctionnelle est exclue de l'analyse, même s'il s'agit des actions. On va revenir sur ce thème de réduction dans la section suivante, où je présenterai plus en détail l'approche de Bremond.
Ces deux notions du raconté, le phénomène généré par des systèmes sémiotiques profonds, et le résultat d'une structure d'intrigue sont correlés. D'abord la deuxième définition dépend en quelque sorte de la première. Pour coder une intrigue il faut disposer d'un vocabulaire, d'un code. Deuxièmement les deux définitions font partie d'un paradigme d'analyse de texte, qui permet de séparer analytiquement différents niveaux d'analyse et qui s'intéresse surtout aux structures de sens définies dans un système de différences. Selon ces sémioticiens il faut voir un texte surtout comme trace de différentes structures qu'on peut isoler et qui ont des importances déterminées par les buts analytiques. Ce parti pris devra être présent à l'esprit du lecteur quand il abordera la présentation de la grammaire de Bremond que nous effectuerons plus loin.