L'analyse de récit sémiotique a déjà produite une enorme quantité de concepts plus ou moins bien élaborés. Nous nous proposons de les regrouper dans trois blocs principaux. Nous nous concentrons sur les travaux de Greimas qui est l'auteur du cadre théorique (sans compter les grammaires de récit) le plus élaboré. On ne s'attachera pas ici à expliquer comment les structuralistes analysent un récit - ce que l'on fera à l'aide de la grammaire de Bremond - mais à montrer comment ils le comprennent, quelle économie générale de l'univers narratif ils y percoivent, et quel type de structure ils y voient: Quel sont les points centraux de leur analyse.
(1) A la base de la théorie on trouve la hierarchie actant, acteur, rôle. L'actant est une entité concrétisée par une classe d'acteurs définie par un groupe de rôles originaux, "..., tel que sujet/objet, destinateur/destinataire, adjuvant/opposant chéz Greimas" (Hamon 74:4). Dans ce sens un actant narratif est un élément abstrait défini par une structure de relations. L'acteur est plutôt une entité concrète. Dans le langage sémiotique il correspond à un léxème consistant en une organisation de sémèmes. Il est figuratif, animé et susceptible d'individuation. Autrement dit, il se situe plutôt à la surface du texte. Un actant peut inclure plusieurs acteurs, tandis qu'au cours de la narration un acteur peut prendre les rôles de plusieurs actants. Le rôle correspond à un ensemble de fonctions qu'on assigne à un même actant. Un actant peut donc aussi avoir plusieurs rôles au cours de l'action. Le contenu minimal du rôle correspond à l'acteur désindividué. Le rôle est une entité figurative animée, mais anonyme et sociale (Greimas/Hamon 74:24). On remarquera que la notion de hierarchie est un concept assez relatif dans ce contexte, et que la relation entre les concepts d'actant, acteur et de rôle est très complexe.
(2) Sur cette hiérarchie se greffe la notion de fonction que l'on a déjà vue chez Propp. Chéz Greimas (70) elle est l'élément atomique de la hiérarchie syntagmatique suivante: récit, séquence, énoncé narratif, fonction. La fonction est au rôle, ce que "faire" est à "être", ce que le verbe est au substantif, quoi qu'il existe comme la dernière analogie le suggère, des conversions, c'est-à-dire des mécanismes qui permettent de passer du rôle à la fonction. Les unités narratives syntagmatiques de base sont définies par des systèmes structurels de différentiation comme dans le cas des actants. Le sens d'une unité narrative se manifeste par sa position dans une séquence qui est composée d'énoncés narratifs (relations entre acteurs) eux-mêmes centrés sur une fonction. La différence entre agir et être a aussi une autre dimension que l'on retrouve dans l'opposition du principe de fonction (centrée sur l'action et le rôle) avec celui de qualification (centrée sur les acteurs). Le principe de fonction permet d'étudier essentiellement ce que les gens font, leur "béhaviorisme structurale" auquel Propp s'est déjà intéressé. Ce que les gens sont n'a ici d'intérêt que dans la mesure, où il font quelque chose (par rapport à l'intrigue).
(3) Enfin on dégage une tension entre l'invariant et le spécifique. Chéz Greimas on rencontre l'hierarchie des ordres symboliques suivante: Il y a d'abord un ordre conceptuel (composé de pôles et schémas logiques), ensuite un ordre antropomorphique (les actants qui font des choses d'une part et le raconteur d'autre part), et finalement l'ordre figuratif (les acteurs et rôles concrèts). En conséquence les invariants narratifs les plus importants sont les syntagmes narratifs (appartenant au premier ordre), sorte d'épisodes-types. Un syntagme narratif est souvent formé d'enoncés narratifs plus simples (des formes syntaxiques élémentaires) eux-mêmes constitués d'actants et de fonctions. Greimas (70) distingue trois syntagmes principaux: l'épreuve, le contrat et la disjonction. L'épreuve qui pour lui est ou qualifiante, ou décisive, ou glorifiante ou une pseudo-epreuve, est "la manifestation sur le plan narratif, de la transformation de contenus" Greimas 70:211). "Une epreuve se caractérise par la confrontation de sujets antagonistes, la domination de l'un sur l'autre et le transfert d'un objet à l'un ou l'autre" (Hamon 74:14). A ce titre il y a deux types de performances, celles qui créent des virtualités (instituant les sujéts comme opérateurs, comme possibles acteurs) et celles qui mettent en place les premiers (Franglais: les "actualisent"). Le deuxième syntagme important est le contrat qui sera ou exécuté, ou rompu. Le contrat met en présence un déstinataire et un objet contractuel. Quant au dernier syntagme, la disjonction, il couvre la dynamique des contrastes. Le contraste dans l'espace est le plus important. Par exemple la société est ici, tandis que le lieu où le héros accomplit ses performances est ailleurs. Greimas (70) parle d'un éspace héroique clos qui permet l'accomplissement dans l'isolation qui se répercutera ensuite dans la société.
L'esquisse des trois principes de l'analyse de Greimas devrait donner une idée sur le fonctionnement de la sémiotique structualiste. En simplifiant fortement, nous pouvons dire que la stratégie consiste a primairement élaborer des systèmes hiérarchiques d'abstractions comme celui d'actant, acteur, rôle, deuxièmement à définir des spécimens type polarisant ces catégories (comme "influenceur" pour le rôle), et troisièmement à établir des liens horizontaux entre les différents systèmes. Ces systèmes créent un langage qui définit à la fois le sens de certains objets par rapport à d'autres et les réinsère dans des structures plus larges. Ainsi on définit d'abord les éléments du monde du raconté auquel on s'intéresse. Par exemple on peut d'abord définir ce qu'est un antagoniste par rapport à un protagoniste. Ensuite on peut définir des concepts plus complexes comme l'épreuve en terme de concepts plus simples (qui sont toutefois eux-mêmes définis par le concept plus complexe). Enfin les systèmes multiples de catégorisation comme "actant, acteur, rôle", et comme "récit, syntagme, fonction" sont mis en relation. Passons à la deuxième dimension d'analyse qui consiste a analyser des textes particuliers. Dans ce cas, l'élaboration du langage théorique consiste à définir des concepts plus syntaxiques qui doivent, au bout du compte, définir une grammaire de récit, permettant de générer et d'ananlyser les formes légales d'une classe du récit. Comme je l'ai déjà indiqué plus haut, c'est sur ce point que l'analyse structuraliste rencontre des difficultés, et ce n'est par hasard que la grammaire de Bremond (73) reste en deca de ce dernier niveau d'analyse.