L'impact de "la morphologie" du conte de Propp sur l'étude du récit est comparable à celui du "cours général de linguistique" de Saussure sur la linguistique. Avant Propp les analyses de récits se limitaient par exemple à l'étude de l'histoire des mots utilisés dans un texte ou à la classification des motifs et personnages. L'invention de Propp et du formalisme russe fut de considerer la signification relationelle d'un élément et non pas son contenu isolé et "immédiat". "Le mot morphologie signifie l'étude des formes" (Propp 65:6). Comme on le verra, ces formes - tirées d'un corpus de 100 contes merveilleux russes - se définissent par la fonction qu'elles ont par rapport à l'intrigue.
Comme Propp s'intéressait aux parties constitutives des contes, à leurs relations entre elles et avec l'ensemble, il lui fallait d'abord définir la notion d'élément constitutif. Le récit ayant une structure événementielle, les constituantes ou "valeurs constantes" les plus importantes sont des actions qui ont une fonction par rapport à l'ensemble de la structure d'action. On les appelera fonctions. Autrement dit, une fonction est un acte (d'un personnage) qui gagne sa signification par sa contribution qu'il a dans le déroulement de l'action du récit entier. Propp a dégagé (défini) 32 fonctions (ou actions) de base invariables qui apparaissent dans le récit populaire russe. Ces fonctions doivent apparaître dans le conte suivant un ordre préscrit, mais certaines peuvent ne pas y figurer. Une deuxième classe de valeurs constants englobe les rôles. Il y a sept rôles ou (archétypes d'acteurs) qui peuvent éxécuter certaines fonctions: Le méchant, le donateur, l' auxiliaire magique, le matador, le héros, le faux héros et la princesse (cf. Propp 65,p.102-104). Les fonctions (ou archétypes d'action) et les rôles (personnes-types) sont donc des éléments abstraits qui peuvent être "remplis" (animés) par des éléments textuels conctrèts, par des motifs (All.: "Motiv", Angl. "motive"). Cette méthode taxonomique permet non seulement de dégager une liste de ces éléments, mais aussi de donner une une "formule" de la structure du conte, c'est-à-dire une liste qui contient (1) la situation de départ, (2) les fonctions de l'intrigue regroupées en séquences qui définissent des thèmes (comme illustré dans la fig.1), et (3) la fin. Une séquence commence par la formulation d'un problème et se termine par sa résolution.
Figure: La structure des contes d'après Propp
Les listes des 32 fonctions et des 7 rôles représentent aussi un inventaire systématique du conte russe. Elles ne constituent pas seulement une sorte de lexique d'éléments narratifs, mais une simple grammaire, car il existe un ordre légal ou normal de l'occurence des fonctions. Sous un autre angle la nature séquentielle des 32 fonctions définit une structure prototype (ou idéal-type) du conte russe. Le lexique des motifs et son rapport avec cette grammaire sont des sujets de recherche que Propp a jugé moins intéressants. Or ces 32 fonctions sont déjà des motifs. Ce ne sont pas des catégories syntaxiques au sens traditionel du terme, mais des séquences d' abstractions sémantiques d'actions possibles. Ainsi les fonctions sont, au fonds, des motifs d'action.