La transmission des récits peut être analysée à plusieurs
niveaux et dans plusieurs contextes.
(1) Comme on l'a vu plus haut,
l'essence d'un récit bien formé est
transmis sans trop de modification de A vers B dans des
circonstances normales.
Mais à n'importe quel
moment le récepteur B - qui peut transmettre le récit envers C - a
presque une discrétion totale pour le modifier ou le compléter.
Toutefois on peut admettre que le premier cas est la
normalité à l'intérieur d'un groupe social très homogène.
(2) A un autre niveau d'analyse,
on peut observer de lentes évolutions des récits principalement dans
les traditions orales des cultures ayant peu de littérature
écrite.
Ceci suggère de nouveau
l'importance de l'influence des changements
culturels et donc de l'influence de la situation sociale et culturelle
sur le traitement des récits.
Même dans nos sociétés il semble qu'il y ait
une certaine tradition de récits qui peuvent être traités de la
même manière que ceux des socités primitives.
(3) Finalement il faut constater que ce n'est pas seulement
le contenu du récit qui peut se transformer.
Ainsi dans
nos sociétés modernes la situation est plus compliquée: Par le fait
qu'on ait des médias écrits et autrement "fixants", certains récits
ne subissent pas de grandes modifications.
Toutefois leur
interprétation peut changer radicalement comme c'est par exemple
le cas
pour la bible.
Dans les cas des rumeurs politiques, des visions de
l'Histoire,
le cas est encore différent.
Il peut y avoir des évolutions: des
transformations radicales de l'interprétation et même du
contenu eu récit.
Ces évolutions ne relèvent toutefois pas du hasard.
Le réséau social est organisé d'une
manière qui régule étroitement la production et la dispersion de
ces textes dans certains contextes et/ou par rapport à certains
groupes sociaux.
Une difficulté d'analyse vient du fait qu'une
représentation d'un morceau de l'Histoire (qui est reproduite sous
forme de récit sur demande) n'est pas le résultat d'un seul encontre
avec un texte, mais celui de multiples influences.
Ainsi il devient
très difficile de dire ce qui était à l'origine d'une
réprésentation, ce qui résulte d'une structure de croyance, ce qui
vient d'ailleurs et de qui.
La manière dont les récits évoluent est "a special
case of the general evolution of cultural patterns" (Colby
82:463).
Cette perspective de l'anthropologie culturelle est
limitée, mais elle nous permet encore une fois de soulever
l'importance d'un modèle "élargi" d'analyse de texte:
(1) Une
théorie d'évolution de texte doit d'abord avoir des capacités
déscriptives, elle doit dire comment les récits sont assemblés dans
une variété de structures avec des multiples unités.
(2) Il faut
développer un language et des théories sur les changements, les
réorganisations des récits au cours de l'échange entre raconteur et
écouteur.
Pour cela il faut avoir un bon modèle de
transmission de récit à un microniveau de la société, de
l'individu A à l'individu B.
Ceci exige au moins un modèle d'acteur
de groupe, doté d'un système de schémas S qui est capable de
traiter des "patterns"
P.
Sous la perspective mentioné plus haut, S
peut être traité comme phénomène culturel interne,
tandis que P couvre des phénomènes "externes" dans le
sens, où ils sont tendentiellement intersubjectifs.
Ainsi notre modèle anthropologique ne définit pas seulement
la notion traditionnelle de "pattern", mais aussi l'existence des
schémas internes qui traitent ces "patterns", mais qui
toutefois se sont
cultuellement ou socialement formés.
L'introduction de la
notion de savoir procédurale dans un domaine qui s'est trop longtemps
contenté des théories sur des structures plutot statiques et
passives est nécessaire.
L'analyse sociologique de l'évolution des récits
doit produire non seulement un inventaire des éléments et "patterns"
stables et transformés des récits, mais aussi l'équivalent en ce
qui concerne les éléments cognitifs qui les traitent.
Bien sûr il
ne s'agit pas de faire de la psychologie à tout prix, des modèles
fonctionels d'acteurs sociologiques (qui simuleront des
représentations procédurales et statiques) suffiront.
En outre, l'analyse de
récit à orientation plus sociologique ou politique à intérêt à
travailler d'une manière plus empirique pour développer certaines
catégories analytiques.
Ces entreprises "circulaires" sont très
fructueuses comme l'a démontré Propp avec ses moyens
méthodologiques simples.
Je ne pense pas qu'il serait possible de développer un
modèle général du récit sans modéliser (d'une facon
limitée) le monde du récit.
Les mécanismes qui influencent la transmission (et la
transformation) d'un récit sont multiples (cf.
Colby 81:469): (1) La
structure du récit et de son intrigue telle qu'elle serait
percu par un récepteur normal est d'une grande importance.
(2) Les prémisses
d'interprétation du raconteur sont également déterminants.
Souvent celui-ci
dit d'une manière implicite ou explicite ce qu'il faut
entendre.
(3) En règle g'enérale un récit a besoin de garder un minimum
d'éléments pour être percu comme un récit.
Ce principe met un
obstacle à la simple élimination d'éléments.
(4) Certains éléments
activent des processus psychologiques "spéciaux".
Ainsi un récit peut
permettre de résoudre des problèmes interactionnels ou mêmes
sublimaux.
(5) Un récit peut avoir une fonction spéciale dans une communication.
Ainsi il peut illustrer un texte, régler la communication.
Sa transmission dépendre en partie de sa fonction.
Ces quelques exemples de mécanismes interagissants avec le récit
montrent encore une fois
que le récit a toujours une fonction multiple et qu'il affecte donc le
producteur et le récepteur dans des dimensions multiples.
En ce qui
concerne la transformation des récits il faut tenir compte
de multiple facteurs.
La
manière dont une histoire est produite, comprise, mémorisée et
reproduite n'est pas le résultat de procédures uniformes et simples.
L'evolution des récits est un thème à multiples facettes. Un thème intéressant est celui de la forme idéale, normale, ou canonique discuté extensivement dans la section sur les grammaires génératrices. Les cultures disposent de "niches" probabilistes dans lesquelles ces formes peuvent évoluer. D'un coté on peut observer une différentiation extraordinaire des sousformes dans la littérature occidentale. D'autre part il existe depuis longtemps un nombre restraint de formes de base pour les récits oraux et para-littéraires. En ce qui concerne les contenus ont peut faire la même observation. Le "bon" le "méchant", le problème et son (non)résolution ne semblent pas avoir perdu leur attraction. Bien sûr les thémes plus concrètes changent, et réflêtent l'évolution technique et social du monde. Tout cela doit indiquer les conditions de lévolution humaine en général: Une structure est une contrainte en même temps que c'est une possibilité. La découverte de savoir procédural (schémas) est une tâche plus difficile. Souvent on ne peut que spéculer sur leur nature, et il faut avoir recours - comme déjà mentionné - à une sorte de fonctionalisme socio-cognitiviste. Ceci est d'autant plus vrai si on ne s'intéresse pas à l'individu mais à un type d'acteur social. Dans les chapitres suivants nous ne pouvons pas fournir des méthodes qui permettraient d'analyser toutes ces questions. Toutefois, elles constitueront un premier pas vers une théorie générale du récit qui peut aussi être utilisée en science politique.