La discussion des approches structuralistes, génératrices, et des modèles AI partiels a montré que le récit est un phénomène complexe. Chacune de ces "écoles" révelait aussi des lacunes. Toutefois il existe un accord général sur le principe qui dit que le récit constitue un tout bien organisé. Reexaminons quelques idées centrales. Ma critique du structuralisme et surtout du modèle radical de Bremond a illustrée qu'une concentration exclusive sur le texte (respectivement le raconté qu'il constitue) ne donne pas les résultats qu'on attend. Comme le texte n'est qu'une constituante de son sens parmis d'autres, le récit doit être examiné en rapport avec sa production et sa réception dans beaucoup de cas. Du structuralisme vient l'idée originale qu'il existe des systèmes culturels qui donnent du sens au récit. Ainsi étudier la production et la réception d'un texte, veut aussi dire tenir compte des systèmes symboliques qui permettent sa constitution. Mais pour étudier le récit et les structures symboliques qui le constituent, il nous faut des langages plus puissants que ceux des structuralistes. Un premier pas vers l'amélioration fut effectué par les grammaires génératrices. Leur étude et celle des hypothèses psychologiques y associées a permis de corroborer l'hypothèse qu'il existe des formes "normales" du récit qui "assistent" la production et la réception d'un récit. Toutefois ces modèles ne parvenaient pas à montrer comment un vrai récit se constitue et comment il se comprend. Autrement dit, ces grammaires sont des schéma morts qui appellent une théorie de leur utilisation. La discussion des modèles partiels de l'intelligence artificielle a montré qu'un récepteur est capable de lier les éléments d'un récit à un "micro-niveau" par des relations causales et temporelles. Ces connecteurs se trouvent souvent dans le texte surface. L'hypothèse suivant laquelle un récepteur essaye principalement de connecter les éléments de base dans une structure, procès qu'on nomme souvent traitement "bottom-up", a aussi des lacunes. Un récit contient des formes supérieures qui lui donnent un sens. Il est très plausible qu'un récepteur (et le producteur) disposent de structures cognitives supérieures comme les schémas de récit, ou encore d'un savoir plus "thématique" comme les "scripts" et les scenarios, ou encore d'un savoir sur la résolution de problème généralisé comme la connaissances des structures de buts ou de plans des acteurs du récit. Ces structures (si elles existent) interviennent d'une facon complexe lors du traitement (production ou réception) d'un récit.
On attendait maintenant un happy-ending pour terminer cette discussion sur les diverses théories du récit. Malheureusement il n'existe que de premières tentatives pour intégrer les "bonnes choses" de ces différentes approches. D'une facon générale, l'analyse et la théorie du récit sont encore à leur début. Une tentative de formuler une théorie plus générale du récit assez prometteuse a été concue par Van Dijk (80), un linguiste spécialisé dans la théorie de texte. Comme toutes les approches le font implicitement ou explicitement, l'auteur distingue entre le discours (la structure linguistique d'un texte) et la narration (les structures narratives manifestées par le texte). Le texte-discours n'est que la surface de ce qu'il dénote: Un ensemble organisé d'événements dans un monde possible du récit. Dans ce travail, on a déjà pu constater que le lien entre ces deux structures n'est pas direct et simple. En conséquence il nous faut un lien, une structure sémantique conceptuelle sous-jacente du discours qui assure la connection entre événements référés et structure linguistique. Van Dijk introduit d'abord le concept de macro-structure pour désigner le contenu narratif global d'un texte, appelé aussi base du texte. Dans le cas du récit, il s'agit de l'essence de l'intrigue (plot) qui correspond en quelque sorte au raconté des structuralistes. En termes plus techniques, la macro-structure peut-être représentée comme ensemble de macro-propositions connectées. La grammaire de Van Dijk prévoit aussi des règles de transformation pour traduire une macro-proposition dans des phrases surface. A côté de cette macro-structure à fonction sémantique, Van Dijk propose aussi une structure qui assure l'organisation globale des structures de récit. Appelée superstructure ou forme schématique globale ("global schematic forms") elle correspond en quelque sorte aux schémas de la psychologie cognitive qu'on a discutés extensivement dans ce travail. Un tel schéma pourrait en conséquence avoir la forme de la grammaire de Thorndyke ou encore celle de Mandler et Johnson. La fonction de ces structures complexes et hierarchiques est d'assurer certaines formes linguistiques (profondes ou superficielles) à des textes types à cohérence globale comme le récit. Le fait que certains récits comme les contes de fées traditionels connaissent des formes très rigides facilite enormement leur production et leur interpretation, ainsi que leur mémorisation et reproduction. Dans le modèle de Van Dijk ces schémas n'organisent toutefois pas directement les propositions d'un récit, mais seulement les macrostructures, resp. l'organisation de macro-propositions. Une macrostructure (c'est-a-dire l'essentiel de l'intrigue, de l'introduction et de la morale) est connectée (Angl. "mapped into") à une superstructure (schéma, grammaire) par l'affectation de fonctions aux macro-propositions. En effet en mettant des contraintes sur l'interprétation des macropositions on arrive à les associer avec un élément terminal d'une grammaire génératrice.
La figure suivante montre d'une facon simplifiée cette correspondance. Ici j'ai simplement pris les éléments terminaux de la superstructure de Thorndyke de la fig. 9 et j'ai fait des petits résumés des phrases associées. J'ai exprimé le contenu des macropropositions dans un langage pseudo-formel (et simplifié pour des raisons de place), pour montrer encore une fois comment on pourrait formaliser le contenu d'une proposition. Van Dijk (80) propose une méthode plus directe pour arriver aux propositions de la macrostructure, mais comme elle n'est pas encore bien développée j'ai rénoncé à sa discussion dans ce travail.
.row Cat\'egories@terminales: propositions@de@la@macrostructure: .row .row setting@(1-3) (fonction@objet:montagnes@pour:@gens-villes@plaisir) .row " " (fonction@objet:montagnes@pour:montagnards@revenu) .row " " (est@acteur:montagnards@pauvre) .row .row event*@(4-7) (cause@(achat@par:etrangers@de:montagnards@objet:immeubles@) .row " " @@@@@@@@@@(et@(am\'elioration@pour:montagnards@niveau-de-vie) .row " " @@@@@@@@@@@@@@@(\'etat@montagens@laid))) .row .row but@(8) (veulent@act.:gens-villes@(action:limiter@acteur:gens-villes@ventes)) .row .row event@(9) (Creation@acteur:gens-villes@objet:loi) .row .row outcome@(10) (plaintes@acteur:montagnards@patient:gens-des-villes) .row .row event@(11) (concessions@acteur:gens-villes@patient:montagnards@ventes-limit\'ees) .row .row state@(12) (preservation@objet:paix-du-pays))
La distinction qui existe entre un recit et un discours aléatoire sur des événements permet d'illustrer la fonction de la super-structure. Examinons d'abord la narration en termes plus généraux. Comme les modèles AI le démontrent bien, chaque narration a au moins une connectivité locale. Entre les événements et les états du récit existent des connecteurs temporels ou causaux comme "rendre possible", "rendre probable", "rendre nécessaire", etc. On doit distiguer cette micro-structure qui existe dans chaque texte narratif, de la cohésion globale qui n'existe que dans des textes, comme le récit, qui ont un thème général. Dans ces cas-là, la macro-structure définit l'essence (thème, "topic", "gist") d'un récit. En conséquence, le récit se distingue de la simple narration d'action par le fait qu'il fait un point, qu'il possède plus d'"informativité" (cf. DeBeaugrande 81:8). Le fait qu'une narration possède par exemple une situation de résolution de problème, ainsi que l'achèvement d'un état qui ne serait pas produit dans des circonstances normales, est un exemple d'une telle augmentation d'"informativité". Un récit en conséquence est "garanti" doublement par sa cohérence globale et par des conditions pragmatiques d'intérêt. Autrement dit, la forme donnée au récit par la macrostructure, organisée par la superstructure ne constitue pas seulement une aide à l'interprétation et à la production, mais elle garantit elle-même un certain intérêt par définition.
Les travaux de l'intelligence artificielle ont donné l'idée à Van Dijk que la linguistique de texte devrait également développer un modèle général de traitement de texte. Tout d'abord, étant donné qu'un texte surface n'est jamais complèt (principe de l'ouverture de texte) un récepteur a besoin d'un savoir général sur le monde pour insérer les "liens manquants" du texte qui sont nécessaires à sa compréhension. Ce savoir peut venir de structures cognitives "supérieures" (déjà mentionnées) comme les "scripts" et les "frames" qui organisent ce qu'on sait sur les situations stéréotypées et les objets complexes. Notre mémoire épisodique permet également de faire de telles inférences. Le savoir sur les actions et interactions (règles instrumentales et sociales), sur les motivations, les structures de décision, les plans et les composantes, etc. joue également un rôle important dans la compréhension du récit. En analogie aux macrostructures sémantiques il existe donc des macro-structures d'action qui donnent un sens aux actions a qui fait référence le récit. Une action a elle aussi un sens local et global. Par exemple le fait de passer une loi est à la fois une conséquence et et un antécédant de quelque chose, mais aussi un élément dans une séquence de planification politique, ou encore dans un scénario de conflit. Ainsi on pourrait aussi représenter le contenu d'un récit par une occurence concrète (Angl: "instantiation") de telles structures. En conséquence, toutefois, on peut se demander si le concept de macro-structure sémantique est encore utile, voire même psychologiquement probable. On peut en effet postuler (comme le font certains chercheurs en AI) que la cohérence globale d'un texte percu par le récepteur est directement assurée par les structures cognitives supérieures (surtout celles qu'on a sur le monde des actions et des interactions), ainsi que par la représentation du texte dans un réseau sémantique complexe. Dans ce cas, les formes retrouvées dans les récits par les grammaires génératrices ne seraient que des expression de la réalité onthologique, et non des structures linguistiques spécialisées sur la production et la compréhension des textes des récits. L'état actuel des recherches ne permet à mon avis pas encore de décider s'il nous faut des théories séparées de schémas de récit, de compréhension de textes narratifs, et de compréhension de comportement intentionel de résolution de problème, où s'il est possible de les réunir.
Finalement il faut se demander comment on peut inclure d'une facon plus systématique d'autres facteurs cognitifs, culturels et sociaux dans un modèle de traitement du récit. L'importance des croyances, attitudes, intérêts, normes, et valeurs sur la compréhension et l'effet global des micro- et macro-structures de textes narratifs, ainsi que l'analyse des conditions de communication n'ont pas été explorés d'une facon satisfaisante jusqu'à présent. Toutefois, la discussion de la section 7.3 a illustrée que certains modèles se sont en train de se créer qui permettront la modélisation de ces phénomènes.