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3. Quand "savoirs" et "savoir-faire"collaborent efficacement dans des situations qui leur donnent un sens

3.1. La compréhension des modes d'emploi: logique du fonctionnement et logique de l'utilisation


Le premier exemple que j'ai choisi de vous présenter traite de la confection des modes d'emploi et des aides aux utilisateurs dans le domaine de l'acquisition des connaissances techniques (Richard, 1983; Brissiaud et al., 1994). De nombreuses études ont montré que les modes d'emploi sont peu utilisés (en particulier dans le domaine de l'informatique) (Wright et Barnard, 1975; Weil-Fassina, 1980; Carrol et Mack, 1985). S'il est facile de constater qu'ils sont souvent mal rédigés [surtout lorsqu'ils sont traduit de l'anglais en français par des japonais], il est aussi plus intéressant de remarquer qu'ils ne correspondent pas souvent aux besoins réels des usagers (Richard, 1983; Cordier et al. 1990 pp 88 et suivantes). Pourquoi en est-il ainsi ?

Schématiquement parlant, il existe deux modes de présentation des connaissances techniques dans les manuels d'aide: le premier consiste à expliquer le fonctionnement du dispositif [par exemple pour un traitement de texte, l'effet de chaque commande]; le second à indiquer à l'utilisateur comment procéder pas à pas pour obtenir un effet particulier [par exemple, et toujours pour notre traitement de texte, la séquence de commandes à activer pour modifier un format d'affichage]. La première catégorie de notices repose sur un modèle descriptif de la connaissance. Ce type de modèle fait référence à ce que J.F. Richard (1983) appelle une logique du fonctionnement du dispositif [il vise à la construction d'un modèle mental de ce dispositif]. La seconde catégorie s'appuie sur un modèle prescriptif et contribue à l'élaboration d'une logique de l'utilisation.

Si, en général, nous lisons peu les modes d'emploi c'est que leurs auteurs s'appuient exclusivement sur l'une ou l'autre de ces catégories de modèles mais rarement sur les deux à la fois. Pris séparement, chacun de ces modèles a des avantages mais génère aussi des problèmes spécifiques.

En effet, le seul "manuel de référence", qui comprend la liste alphabétique ou thématique de toutes les commandes, s'avère impossible à utiliser si on ne sait pas déjà utiliser peu ou prou le dispositif [essayer de comprendre ce que fait un programme à partir de son seul manuel de référence]. Cela est dû au fait que les informations contenues dans un manuel de référence ne comprennent, en général, aucune structure de buts ( à la rigueur des exemples "hors contexte").

A l'opposé, le "guide d'utilisation" indique bien le cheminement à suivre pour les quelques problèmes parmi les plus courants, mais il ne peut matériellement les décrire tous. De plus, ces guides sont très fastidieux à lire dans la mesure où ils ne prennent généralement pas en compte les procédures ou les fragments de procédures déjà connus de l'utilisateur [cela génère parfois des erreurs de manipulation par excès d'information ou manque de détails].

Cette difficulté à concevoir de bons modes d'emploi renvoie de manière concrète à notre problématique sur les rapports conflictuels qu'entretiennent savoirs et savoir-faire. La question de fond est que le concepteur de manuels techniques pense probablement que le processus de transposition entre "logique du fonctionnement" et "logique de l'utilisation" se fait spontanément dans la tête du sujet. Certains enseignants aussi ne sont pas loin de penser que ce processus est naturel, qu'il est propre à tout être "intelligent" et qu'il n'est pas vraiment utile de s'en préoccuper explicitement. Pourtant, la présentation de quelques exemples d'utilisation fournit bien à l'utilisateur les moyens de "procéduraliser" ces connaissances par l'exercice, mais elle ne répond pas à ses besoins en terme de généralisation ou de découverte de nouvelles procédures. A l'opposé, la présentation d'un modèle de fonctionnement du dispositif décrit par les seuls effets des différentes commandes ne garantit nullement que l'utilisateur pourra transformer spontanément ses connaissances en procédures effectives.

Il existe pourtant des solutions concrètes à ce problème et pour s'en inspirer il suffit d'observer l'évolution des systèmes d'aide à l'utilisation de logiciels. Par exemple, il est intéressant de constater que ces aides commencent à concilier efficacement ces deux approches en proposant à l'utilisateur un double système de guidage: l'aide "on line" et "l'assistant".

L'aide dite "on line" est un manuel contextualisé qui permet d'obtenir immédiatement une information sur le fonctionnement du dispositif relativement à la commande que l'on est en train d'utiliser. Cette information permet ainsi de gérer, en contexte, des détails d'interprétation. [C'est un peu comme si vous aviez la possibilité d'obtenir immédiatement le contenu d'une référence bibliographique à laquelle vous pensez en rédigeant un article].

Les "conseillers" [ou "assistants", en anglais "Wizards"] vous guident dans la réalisation d'une catégorie de tâches relativement bien définies en vous proposant pas à pas une série de choix. Il réduit la combinatoire des possibles en sélectionnant les seuls items plausibles. En fait, ces assistants vous proposent une hiérarchie de sous-buts faciles à mémoriser [un véritable plan d'action] et favorisent ainsi la "compilation" des procédures. Ce dernier point explique probablement le succès actuel de ces "assistants" même auprès des utilisateurs-experts.

D'un point de vue plus théorique, on peut dire que ces deux systèmes d'aide ont la particularité d'être des soutiens contextualisés et leur efficacité semble donner raison aux contextualistes qui voient dans ce mode d'interaction la seule issue aux problèmes de l'apprentissage. Leur efficacité vient du fait que cette communauté d'agents (l'aide, le conseiller et l'utilisateur) gère simultanément et interactivement:


Template Expertise - 01 FEB 95
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