Qu'est-ce qu'une représentation ?
L'activité de représentation est liée à
la fonction symbolique, c'est-à-dire à cette forme de l'activité
humaine qui consiste à produire des symboles qui sont, rappelons-le,
des "valant pour". Autrement dit, "Il y a activité
de représentation lorsqu'un objet ou lorsque les éléments
d'un ensemble d'objets se trouvent exprimés, traduits, figurés,
sous la forme d'un nouvel ensemble d'éléments, et qu'une
correspondance systématique se trouve réalisée entre
l'ensemble de départ et l'ensemble d'arrivée." (Denis,
1989:21). Cette mise en correspondance fait intervenir deux aspects: la
conservation des relations entre les éléments faisant l'objet
de la représentation, d'une part, et la transformation de l'information
de départ par un processus de codage qui donne lieu à un
changement de nature, d'autre part.
Producteur de symboles, l'être humain crée des représentations
qui laissent des traces matérielles de type iconographiques ou picturales,
extérieures à l'individu qui les a produites. Mais il existe
également des représentations cognitives de nature psychologique
qui, en plus des caractéristiques générales de toutes
représentations, possèderaient des propriétés
spécifiques. En réalité, ces représentations
cognitives reflètent ce que l'individu retient de ses interactions
avec le monde et constituent "une fonction générale
d'intégration mentale active de nos relations externes et internes
au réel" (Linard et Prax, 1984:204). Enfin, tentant de clarifier
les différentes acceptions du terme "représentation",
Denis (op. cit.) distingue encore l'activité de représentation
et les entités cognitives produites par cette activité, autrement
dit la représentation proprement dite et le processus qui l'engendre.
Nous obtenons la classification suivante:
Schéma n° 1 (d'après Denis, 1989:16)
Rappellons brièvement les fonctions générales des représentations, objets matériels ou produits cognitifs. Elles permettent, toujours selon cet auteur:
Codage et représentations mentales
La psychologie qui s'intéresse à la notion de représentaiton cherche donc à rendre compte du fonctionnement des systèmes qui peuvent recueillir, analyser et garder l'information sous une forme symbolique pour ensuite en tirer avantage lors de conduites ou de l'exécution de tâches. Mais parler des représentations et de leur contenu ne suffit pas, il faut également envisager la forme ou les formes sous laquelle (ou lesquelles) ces représentations sont inscrites dans le système cognitif de l'individu. De nombreux arguments ont été avancés en faveur d'un codage strictement linguistique des représentations : nous possédons des représentations linguistiques et le langage naturel semble en effet bien adapté à représenter une grande diversité de faits de nature différente. De plus, l'introspection semble nous conforter dans cette hypothèse puisque nous avons l'impression de penser dans notre langue. L'hypothèse structurale de Saussure, selon laquelle la pensée serait un tout amorphe mis en forme par le double découpage qu'impose l'unité linguistique, s'inspire de cette même conception, mais en même temps la renforce. Il est vrai que le modèle prédicatif possède une validité cognitive puisque toutes les langues connues possèdent une structure prédicative : c'est donc un argument important en faveur de ce modèle. Aussi s'accorde-t-on aujourd'hui sur l'existence d'un modèle de codage propositionnel indépendant du langage naturel mais dont "l'unité cognitive de base, qui intervient dans les traitements sémantiques, (...) est la proposition constituée par un prédicat et ses arguments." (Richard, 1990:85). Si certains auteurs comme Pylysphyn (1973, 1981) considèrent que c'est là le seul modèle, de nombreux travaux expérimentaux ont mis en évidence l'existence de représentations mentales analogiques.
Nous rappellerons tout d'abord l'ouvrage de Arnheim, La pensée
visuelle (1969), dans lequel l'auteur, l'un des premiers, proposa de
considérer l'acitvité perceptive comme une activité
cognitive à part entière. Actuellement, les chercheurs s'accordent
sur l'existence de formes distinctes de représentations cognitives,
possédant des règles de fonctionnement différenciées,
résultant de genèses différentes et assurant des formes
de traitement de l'information à travers des codes symboliques distincts.
Tel est succinctement décrit le modèle du double codage (Paivo,
1971 et 1986; Kosslyn 1976 et 1980). Les activités cognitives seraient
en effet régies par deux systèmes de codages différenciés,
par deux modes de représentation symboliques : 1) un système
de représentations arbitraires, verbales ou propositionnelles lié
à l'expérience du langage qu'a l'individu et 2) un système
de représentations figuratives, basé sur une "sémantique
de la ressemblance" (Denis, de Vega, 1993:89) et lié à
l'expérience perceptive de notre environnement. Le premier de ces
deux systèmes, peu dépendant du caractère concret
des situations, conviendrait mieux au traitement de l'abstraction que le
second qui serait mis en oeuvre lorsque les situations à traiter
par l'individu se référeraient justement à des événements
concrets. Il faut cependant nuancer ce principe. En effet il n'y a pas
de relation nécessaire entre la modalité perceptive, le type
de représentation et la forme du codage en mémoire: le langage
bien souvent peut être le déclencheur d'une activité
d'imagerie, comme c'est le cas pour les mots concrets. Pourtant, pour tirer
avantage du double codage, il faudrait aussi que les deux types d'information
produisent des effets de convergence (collaborative effects) et
n'entrent donc pas en compétition; enfin, ils leur faudrait être
en interrelation (richly cross-referenced) (Kirby, 1993:202).
Schéma: La théorie du double codage
(d'après Kirby, 1993: 203)
Cette distinction entre deux types de représentation est importante
dans la mesure où elle met en évidence l'existence de systèmes
de représentations mentales "analogiques", qui conservent
donc les propriétés structurales des objets représentés
- certes, avec des variations possibles dans le degré d'analogie -,
et d'autres utilisant, quant à eux, des signes arbitraires.
Or, ces systèmes correspondant de fait aux deux des pôles
de la classification classique des signes et des symboles matériels
aue nous avons présentée dans le précédent
numéro de cette chronique. Les formes de codification des images
matérielles et des images mentales seraient donc fort semblables
et l'on comprend dès lors mieux l'interêt pédagogique
des plages visuelles.
Les icônes ressemblent certes à ce qu'elles représentent.
Mais la relation d'analogie ne se fonde-t-elle pas dans les mécanismes
pereceptifs bien plus que dans le réel lui-même ?
Arnheim, R. (1976), La pensée visuelle, Paris, Flammarion. [Edition originale en langue anglaise, 1969]
Barlow, H, (1990), Images and Understandings, Cambridge University Press.
Denis, M (1989), Image et cognition, Paris, P.U.F.
Denis, M.& de Vega M., (1993), Modèles mentaux et imagerie mentale, Ehrlich M. F. (éd.), Les modèles mentaux. Approche cognitive des représentations, Paris, Masson.
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