L'image: une troublante analogie

On dit souvent qu'une image est un signe analogique. Mais comment faut-il comprendre ce qui apparaît aujourd'hui de l'ordre du sens commun ? La sémiotique, parce qu'elle étudie les représentations matérielles, a pour objet fondamental la diversité des systèmes de signes, leur classement et leur organisation. C'est donc dans cette discipline que nous chercherons une réponse.

Analogique et arbitraire

Contrairement aux mots du langage verbal qui sont arbitraires, l'image - l'icône -ressemble à ce qu'elle représente et conserve certains aspects, certaines propriétés, certaines caractéristiques, de l'objet représenté: la photographie d'une maison est identique, par certains aspects, à la maison réelle. La photographie de ma maison ressemble à ma maison.

Dans la photographie, comme au cinéma, l'analogie semble atteindre un degré élevé et c'est là que réside cet effet de réalité bien connu: " Il y a la vie, et il y a son double, et la photo appartient au monde du double, eh ! D'ailleurs c'est là qu'il y a un piège. A force de t'approcher des visages, tu as l'impression que, tu participes à leur vie et à leur mort de visages vivants, de visages humains. C'est pas vrai: si tu participes à quelques chose, c'est à leur vie et à leur mort d'images... ". Dans d'autres cas, la relation analogique se limitera à l'expression d'un rapport, de ressemblance, d'ordre ou de proportion. Pour donner un exemple, prenons un diagramme circulaire en secteurs, un " camembert " (cf. illustration 2): la surface de chaque secteur représente analogiquement l'importance relative des données dans chaque catégorie.

Autrement dit, une icône peut être très réaliste ou au contraire relativement abstraite, elle peut prendre différentes formes et présenter différents degrés: son degré de réalisme, la nature des aspects retenus comme pertinents, permettent alors de distinguer plusieurs catégories. mais leur lecture n'est pas simple. Il n'est pas rare de voir les élèves confondre dans leur interprétation la nature de certaines représentations graphiques. La figure ci-dessous montre comment la vitesse d'une voiture de course varie tout au long de la piste dans son second tour. A la question de savoir combien de virages comporte le circuit, entre 15 et 30 % des élèves interrogés, selon leur âge (de 12 à 15 ans) répondent qu'il y en a neuf.... Ils ont donc assimilé la courbe de variation de la vitesse - qui est un tracé de nature plus ou moins abstraite - au tracé analogique de la piste elle-même...

Enfin, les icônes se présentent souvent comme des ensembles complexes mêlant des éléments de degré d'iconicité variable, voire même de nature différente. Dans une carte de géographie, on distinguera, par exemple:

Analogique et digital

L'icône possède une seconde caractéristique qui l'oppose au signe linguistique. On le sait, au sein du continuum verbal, l'arbitraire du signe délimite des unités significatives bipartites: à chaque signifiant correspond donc un signifié. Le signe linguistique est une unité discrète: il est constitué, à chaque niveau d'analyse, par un système différentiel d'oppositions minimales et binaires et c'est en ce sens que l'on peut dire qu'il est digital. La présence (ou l'absence) de l'un des termes de chacune de ces oppositions modèle le signe, le "configure" en tant qu'il est une unité linguistique unique et particulière. Discret et discontinu, le signe linguistique obéit donc à la loi du tout ou rien et n'autorise aucun état intermédiaire.

Dans le cas des signes iconiques, le problème est bien différent puisqu'il est bien difficile de trouver une pareille rigueur. L'icône se présente le plus souvent comme un continuum au sein duquel il est difficile d'isoler des unités minimales différentielles et discontinues. Les signes visuels s'organisent en niveaux hiérarchisés (entité, sousentité, surentité) mais mobiles selon le niveau d'analyse auquel on se situe: l'unité visage peut être décomposée en " sousunités " (oeil, bouche, nez), mais peut très bien être considérée comme appartenant à une " surentité ", le corps humain.

Sans enter dans trop de détails, nous retiendrons encore que le niveau d'analyse peut être déterminé par trois sortes de facteurs:

Il faut alors reconnaître que les icônes s'organisent selon des degrés: " Ces modèles [analogiques] pourraient être appelés "codes" dans la mesure où ils ne dissolvent pas le discret dans le continu (et donc n'annulent pas la codification) mais fractionnent en degrés ce qui apparaît comme continu. Le fractionnement en degrés suppose, au lieu d'une opposition entre le "oui" et le "non", le passage du plus au moins. " C'est dans ce sens et par opposition aux signes digitaux, que l'on définit aussi les langages visuels comme analogiques. C'est donc dans ce double sens que l'on peut dire d'une image, d'un signe iconique, qu'ils sont analogiques

Un signe iconique, avons-nous dit, possède certaines propriétés de l'objet représenté. Certes, cette définition satisfait notre bon sens, mais n'est-elle pas trompeuse ? Que peut bien signifier avoir les mêmes propriétés ? C'est à cette question que nous tenterons de répondre dans la prochaine chronique.


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Mise à jour le 1.11.1996.
D. P.