chapitre 7 Epistémologie et méthodes de la modélisation IA
Notre conception de la modélisation n'est formelle que dans le sens où nous désirons "travailler" avec des formes exactes. Notre but est de trouver des procédures et des descriptions symboliques qui imitent un "vrai" processus cognitif et de "vrais" processus de communication. Ces processus et ces descriptions sont des formes qui opèrent sur des formes et qui sont programmées par des formes. Dans ce sens seulement, nos modèles seraient formels au sens strict; c'est-à-dire la fonction d'une expression dans un modèle est déterminée par sa forme et par l'usage qu'en font d'autres formes. Le tout possède une certaine logique qui toutefois n'est pas nécessairement fermée ni cohérente. Un modèle est donc une description d'une "machine" en quelque sorte à l'aide d'un langage utilisant des formes exactes. En d'autres termes: un modèle devrait être "exécutable" par un ordinateur.
Outre ce critère de "computabilité", notre définition de la modélisation n'est pas du tout formelle. Nous ne voyons aucun intérêt à décrire les acteurs humains ou collectifs comme des systèmes axiomatiques fermés. Ils n'agissent pas selon ces principes. Les deux définitions de "modèle" (l'une d'inspiration quantative des sciences sociales et l'autre logique) ne couvrent pas non plus cette notion telle qu'elle est utilisée dans la pratique par la plupart des chercheurs. La plupart des "ensembles de connaissance" cohérents *1 sont en fait appelés "modèle" en science sociales. Evidemment, cette utilisation du terme le dilue un peu et enlève de sa force mais par contre implique un meilleur rapport du modèle avec l'empirique. En effet, limiter la notion de modèle à des formalismes stricts aurait pour conséquence de laisser une grande partie du corps théorique associé à un modèle résider à l'extérieur et qu'elle serait donc en partie oubliée.
Un exemple typique est fourni par la théorie des jeux. Un modèle de conflit et de coopération comme le dilemme du prisonnier n'existe pas sans les présuppositions théoriques qu'on fait sur les joueurs, la communication entre eux, la possibilité de répéter, leurs capacités "stratégiques" et ainsi de suite. Suivant ces présuppositions, le contenu de ce jeu peut changer complètement de sens et de logique. Certains de ces éléments qui devraient faire partie du modèle sont formalisables, d'autres ne le sont pas facilement. En résumé donc, si on limite le concept de modélisation au seul contenu des modèles mathématiques, on exclut des phénomènes du modèle. Elles font partie de la modélisation et il faut éviter d'oublier par quelles présuppositions et contraintes externes le modèle fonctionne.
Nous sommes d'accord avec Stachowiak (65): il faut définir le terme de modèle à la fois analytiquement et empiriquement. Une première analyse de Stachowiak (65) propose trois caractéristiques ou fonctions principales que possède un modèle en science sociales.
Le rapport entre le modèle et son "original"
On peut définir des classes de modèles suivant leur relation avec l'original, c'est-à-dire par rapport à ce qu'ils représentent. Nous distinguons une dimension "de comportement" (est-ce que le modèle se comporte comme l'original?) et une dimension structurelle-fonctionnelle (dans quelle mesure sont-ils construits de façon similaire?). Ces deux dimensions existent en règle générale dans tous les modèles en sciences sociales, mais l'aspect "comportement" tient une place prépondérante. *2
Modéliser implique de construire une image qui ressemble par quelques aspects à l'objet d'étude (cf. Stachowiak 65:439ff. et Le Moigne 84:75ff.). En d'autres termes, il doit exister une sorte d'analogie. On peut distinguer l'analogie formelle et la similarité qualitative. Il existe une analogie formelle s'il y a des équivalences structurelles et relationnelles entre un modèle et son original. Stachowiak (65:439) distingue les cas suivants:
Les modèles contre-factuels sont un cas spécial du modèle homomorphique. Ils modélisent un phénomène en modifiant certains éléments afin de savoir comment il se comporte sous ces a-priori. Il existe plusieurs variantes. Lors d'une simulation d'un système, par exemple, on peut modifier quelques valeurs de paramètres, la nature des relations entre éléments, voire même la structure des relations. Normalement, une telle analyse possède comme points de départ des questions théoriques bien précises.
La plupart des chercheurs en sciences sociales seraient sans doute d'accord avec cette définition minimale. Mais il n'existe pas de consensus sur la place et la nature exacte de la modélisation en sciences sociales. Selon notre perspective de travail, il s'agit de construire des propriétés structurelles et fonctionnelles d'un objet de recherche. Ensuite, on tire des conclusions analogiques sur la réalité en analysant la structure et en observant le comportement du modèle. Etant donné la circularité de ce procédé, la phase de construction du modèle est tout aussi importante que son utilisation. Modéliser veut dire construire un langage pour parler de la réalité que l'on ne connaît pas. Le processus de construction est itératif et essaie de rapprocher en quelque sorte le modèle de son original.
Ceci réitère bien notre conviction épistémologique: l'essence de la connaissance ne peut pas se fonder sur quelques fonctions explicatives. La connaissance se crée en construisant des systèmes qui reflètent les propriétés essentielles de l'objet et ses relations avec l'environnement. Un modèle constructiviste peut être utilisé à des fins prédictives, mais le modèle entier lui-même constitue l'explication et non pas quelques variables indépendantes. Le Moigne (78-86) utilise la notion de systémographie pour nommer l'art de construire un modèle dans le sens de la théorie générale des systèmes.
Un modèle de décideur ou d'une classe de décideurs doit posséder les deux ancrages empirique et théorique. Il doit posséder une grande isomorphie avec notre image générale du décideur et il doit être homomorphe aux phénomènes auxquels nous nous intéressons. L'homomorphie entre le modèle et l'original ne peut être vérifiée, mais elle peut être testée en quelque sorte dans un sens Poppérien vague. Il faut se contenter de faire des correspondances entre "données" et certaines parties du modèle. Nos modèles ne seront pas des "black-box", mais beaucoup de ses composantes représenteront des connaissances pour lesquelles on ne possède pas d'accès direct. L'isomorphie avec un modèle général peut être décidée beaucoup plus facilement. La validation empirique par des données sera toujours plus difficile que la validation théorique puisque le rapport du modèle avec le monde n'est pas direct. Il s'agit d'un langage pour parler du monde et non pas d'une collection contrôlée de mesures.
Les modèles scientifiques
Les modèles scientifiques constituent une classe particulière de modèles, même si leur fonction principale - c'est-à-dire l'organisation de cd que l'on sait sur quelque chose - reste la même partout. Un modèle est toujours un modèle de quelque chose (principe de similarité) pour quelque chose (principe d'utilité). Leur objectif pratique est un gain de connaissance scientifique. Dans la pratique scientifique, on peut dire qu'il y a modèle si le modèle permet de savoir quelque chose de plus sur l'original. En règle générale, en sciences sociales, un modèle a plutôt un statut constructif qu'explicatif-analytique. On exige également d'un modèle qu'il soit plus précis que la description "naïve" de l'original et qu'il soit plus simple à manier.
THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94
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