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Acteur et récit

Avant d'examiner le rapport entre acteur et récit il faut mentionner le fait que le acteur dans le récit ne représente pas forcement un être humain. Toutefois dans ces cas on lui attribue en règle générale certaines qualités humains comme la capacité d'agir par décision, bien qu'il est difficile de trouver un dénominateur commun aux acteurs comme la discussion préalable l'a illustrée. Suivant les cas les acteurs non-humains ne possèdent que la fonction d'humains, ou que leur apparence, leur essence, ou encore que leur fonctionnement. Sans vouloir trop entrer dans cette matière, il convient de distinguer l'acteur - qui dans le cas du récit politique est en règle générale ou bien un individu, un groupe, une masse, une institution ou organisation - d'autres causes qui peuvent initier des événements. Ainsi par exemple les fameux moteurs de l'histoire ne constuent dans la plupart des cas pas des acteurs dans notre sens. Ce sont à limite des agences sans capacité de décision. Ce dernier concept en retour ne doit pas être interprété dans le sens que l'acteur est libre dans ses décisions. Sa condition peut lui dire de faire; mais dans ce cas-ci il doit toutefois avoir la capacité de réagir à un stimulus. L'acteur minimal est donc au moins un mécanisme de couplage logique, une boite noire. Mais en règle générale c'est un "système intentionel".

Dans les grammaires de récit, l'acteur a toujours été un peu négligé, ou absorbé dans d'autre concepts. Même la critique littéraire ne connait que peu de travaux systématiques sur ce phénomène. gif Toutefois à un niveau plus théorique il existe depuis la poétique d'Aristote des théories sur sa fonction et son être dans le récit. Pour Aristote, l'acteur à une double identité d'agent (actant) et de personnage. A cause du principe que l'artiste doit "imiter" les hommes engagés dans l'action, gif l'identité la plus importante de l'agent est défini par ses traits de performance, c'est-à-dire son rôle, sa fonction. Son personnage proprement dit (caractère, ethos, essence, figure, etc.) peut attribuer à l'acteur quelques traits additionels. Plutôt liée au rôle est la distincion entre être noble ou base. Autrement, son essence est définie par les principes artistiques suivantes: Son caractère (chreston) définit le type d'agent, s'il est par exemple bon ou mauvais. Ensuite sa personalite peut être défini par des traits appropriés (harmotton) qui sont en rapport avec son rôle. Un autre principe d'identié est constitué par la ressemblance (homoisis), c'est-à-dire un personnage doit avoir les traits qui idéalisent son existence. Finalement la consistence (homalon) exige que le personnage maintient sa personalité. Ces principes artistiques (qui agissent dans l'unité) reflètent quand-même assez bien la situation empirique de beaucoup de récits. En effet (pour la plupart des cas) l'acteur ne vit que pour le récit dans un certain sens.

Par opposition à ce concept très étudié de l'acteur du récit, il existe des traditions de littérature et aussi d'analyse beaucoup plus restraintes. Nous avons vu que l'analyse du récit de la sémiotique structuraliste tend a voir un acteur comme agent et non comme personne. gif Exprimé d'une facon radicale: Un acteur est, parcequ'il fait. Le récit peut à limite se dispenser des traits des gens qui ne sont pas une fonction directe de l'évolution de l'intrigue. Il est vrai qu'on aurait pu écrire le récit Ia de cette facon, mais on peut se demander s'il serait le même. Une vision toute aussi extrème et celle qui dit que l'incident de l'intrigue n'est qu'une illustration du personnage de l'acteur. Pour cette école, les actions du récit ne sont pas seulement déterminées par l'acteur, elles sont ses "expressions" et ses "symptômes". Pour un lecteur un peu distant il est clair, que ces deux extrèmes n'ont pas de raison d'existance dans une analyse de texte comme je l'envisage (l'analyse de textes très particuliers reservée). Il est toutefois utile de distinguer ces deux dimensions analytiques de rôle et d'essence, car il est vrai qu'elles ont une importance différante dans différent types de récits.

Le trait de caractère est un concept central pour l'analyse de l'acteur, car on le retrouve imbriqué dans presque toutes les autres conceptions. Dans un récit typique, les traits des acteurs sont uniques et persistants durant le récit et la somme de traits distingue un acteur d'un autre. Souvent on peut déduire un trait d'un amalgame d'habitudes (comportements) d'un acteur. Toutefois il est concevable qu'il y ait des actions en contradiction avec des traits (comme les traits eux-mêmes peuvent être conflictuels). Par exemple dans le récit Ia, les gens des villes sont trop durs avec les gens des montagnes. Leur compromis montre finalement leur vrai trait profond, la volonté de faire des compromis à la place de conflits. Ainsi on ne peut pas directement déduire un trait d'une action, il faut tenir compte de toute l'intrigue. La facon d'identifier des traits est souvent culturellement codifiée. La signification des adjectifs comme "opprimé", "neurotique" ou "généreux" est donnée par notre conception générale du monde (narratif) et de la nature de ses acteurs. Cette conception s'est formé graduellement au cours du développement de notre culture. Chaque majeure révolution culturelle, réligieuse, politique, etc. a crée un nouveau vocabulaire qui contient des nouveaux traits. Le trait est un adjectif (qualificateur) narratif qui n'est donc pas uniquement défini par le récit d'une facon directe ou indirecte, mais aussi directement par le monde culturel (imaginaire ou non) qui lui donne au moins partiellement une signification autonome.

Le fait que les traits d'un acteur ne sont pas uniquement définis par le récit, indique que l'acteur peut avoir une existence autonome dans le récit. Ceci est certes le cas dans les textes centrés sur le caractère (comme les narrations appelées psychologiques) ou encore pour le curriculum vitae (cf. le récit II dans l'annexe). Mais même dans le récit a-psychologique centré sur l'intrigue, les acteurs existent parfois indépendamment de l'intrigue "pour leur propre plaisir". Il n'est pas vrai comme le pensent certains structuralistes extrèmes qu'on puisse déduire une affirmation contraire du fait que le trait dans le récit explique en règle générale la provocation d'une action. En ce qui concerne notre récit Ia, il est vrai que le trait explicite d'être pauvre provoque une action (vendre les immeubles), mais ce trait, plus le fait qu'ils vivent de l'agriculture, ne nous donne pas une définition complète des montagnards. Il ne faut pas oublier qu'un acteur est aussi défini par son nom propre. Ceci lui donne une existence autonome, un "lieu de personalité". En fait le récit n'a même pas besoin de nom propre pour localiser une résidence (Barthes) d'un acteur, juste d'un marqeur déictique comme "gens des villes". En conséquence traiter (cognitivement) un récit est aussi un effort de nominalisation d'acteur. On peut se débattre si cette unité "acteur du récit" correspond entièrement (au sens métaphorique) à l'unité référentielle dans le cas du récit non-littéraire (comme les gens des villes de la population de la Suisse n'habitant pas dans les régions de montagnes). Cette prétention référentielle contribue en tout cas à ce que les traits des acteurs survivent le récit. Les actions et les états (d'âme et autres) sont discrètes et ordonnées dans des chaines causales et temporelles; par contre les traits sont globaux, bien qu'il puissent avoir une signification locale dans le récit. Dans ce sens, si le caractère est la figure (Gestalt), le récit n'est que le fonds qui permet sa constitution. gif

Le récit détermine la constitution de la constitution de l'essence de l'acteur par plusieurs mécanismes. Il est clair que le nom, le lieu de caractère n'est pas une condition nécessaire et suffisante à son existence, car il est vrai qu'il ait des acteurs dans le récit qui n'ont pas de caractère. Il s'agit des acteurs qui n'apparaissent qu'une fois, qui disparaissent et qui entrent en scène en fonction de l'action d'un "vrai" acteur. Les étrangers dans le récit I sont un cas limite de ce type d'acteur sans personalité. En conséquence, dans le récit centré sur l'intrigue, c'est l'importance qu'à l'acteur pour l'intrigue, c'est-à-dire son rôle d'agent et de patient qui reste décisive pour la constitution de son essence. Toutefois comme il est difficile de définir un acteur uniquement par son action, il est en règle générale explicitement introduit dans des éléments du récit spécialisés comme le "setting" des grammaires génératrices. Il est évident qu'il existe beaucoup de formes de définition de l'acteur par le récit. Ainsi la critique littéraire distingue entre les personnages "plats" (comme les acteurs du récit I) à peu de caractéristiques et les personnages "ronds" à beaucoup de caractéristiques explicitement ou implicitement décrites. De même, on peut distinguer entre caractères ouverts et fermés. Durant la compréhension du récit, un récepteur procède en règle générale une "expansion" des acteurs du récit. Vers la fin du récit, un caractère apparait différamment (même s'il est resté le même au fonds), souvent plus vif, plus "arrondi". L'acteur, tel qu'il apparait dans le texte, a un rapport métynomique avec l'acteur que le récepteur (et le producteur) s'imagine. Les descriptions directes de l'acteur dans le texte et ses actions et "aventures" provoquent d'autres imaginations; certains traits impliquent d'autres et certaines actions nécessitent ou impliquent d'autres. Un récepteur finalement est capable de se demander ce qu'un acteur ferait dans telle et telle situation gif et d'expliquer pourquoi un acteur fait quelque chose. C'est seulement à ce moment-là, où l'acteur s'est constitué comme unité dans le récit qui peut (co)expliquer la cause de certains actions.

Cette discussion a aussi quelques consequences pour l'analyse du récit en science politique. En premier lieu elle montre encore une fois que même l'analyse directe de texte (en opposition de l'analyse du producteur et du récpteur) doit travailler avec un modèle hypothétique d'un récepteur, si non on echappe à toute signification potentielle. En outre il apparait que même le récit tout à fait standard n'est pas uniquement un texte traitant d'événements, il existent d'autres éléments comme les acteurs qui peuvent avoir une signification propre pour un récepteur. D'autre part ces diffréentes couches de signification sont interrelés. C'est l'acteur qui constitue le récit et vice versa, comme Bremond l'a déjà démontré. Toutefois il serait faux de ramener le récit sur l'axe action-rôle, sa signification est multiple.



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Daniel K. Schneider
Fri Jul 14 16:25:37 MET DST 1995