Toutes les images non pas la même fonction. Certaines font rêver
et nous émeuvent tandis que d'autres informent avec une relative
objectivité. Pour l'enseignant, les unes et les autres peuvent devenir
le point de départ de nombreuses activités pédagogiques.
A condition d'adopter une démarche adéquate.
Lire, déchiffrer une image et développer à propos
de celle-ci un sens critique, tel est certainement l'un des principaux
buts de l'alphabétisation audiovisuelle. Mais toutes les images
sont-elles les mêmes ? Répondent-elles toutes aux mêmes
besoins de communication ? Doivent-elles être considérées
de la même façon ? Demandent-elles donc les mêmes procédures
de décodage, les mêmes démarches interprétatives
? Autrement dit, exigent-elles des pédagogies de l'image différentes
?
Images esthétiques et fonctionnelles
Observons ce monde d'images qui nous entoure, notre environnement scripto-visuel.
Quelle diversité ! Les illustrations des manuels et de la documentation
scolaire, les schémas et les graphiques de nos quotidiens, les photos
de presse, les publicités et les photographies dites d'auteur - celles
qui s'exposent, par exemple, au Musée de l'Elysée -,
ne répondent bien sûr ni aux mêmes intentions de communication,
ni aux mêmes finalités sociales. C'est conscient de cette
diversité que certains auteurs ont tenté d'établir
des classifications. L'un des premiers, Almasy a proposé la notion
d'image utilitaire: parmi les images statiques -essentiellement
les photographies-, il distinguait les images esthétiques et les
images à vocation documentaire, publicitaire ou informative. Moles
quant à lui proposait de distinguer les images esthétiques
et sémantiques (ou fonctionnelles).
Les premières supposent une marge de liberté et d'interprétation
importante de la part du destinataire dans le mesure où la signification
excède largement le sens littéral, les signes dénotés,
repérables au sein de l'image. C'est dire que le lecteur participe
fortement à l'élaboration du sens à travers des mécanismes
psychologiques d'identification et de projection. On ne peut s'empêcher
de songer à ce propos au concept d'" oeuvre ouverte "
proposé il y a plus de vingt ans notamment par Umberto Eco. Les
secondes, les images fonctionnelles, correspondent à une volonté
d'exploitation rationnelle des signes iconiques afin de traduire pour un
plus grand nombre un contenu objectivable. Moles d'ailleurs ne limite pas
les images fonctionnelles aux seules photographies: il inclut dans cette
catégorie les graphiques, les schémas, les diagrammes, etc.,
soit toutes les formes de représentation analogiques.
Deux approches distinctes
Bien que très imparfaite cette distinction satisfait notre bon
sens. Certaines images sont le fruit d'une volonté d'expression
individuelle, subjective avec une forte coloration esthétique et
émotive. D'autres semblent caractérisées par leur
fonction strictement instrumentale: elles se trouvent au service d'un contenu
informatif préétabli qu'elles " traduisent "
dans une forme visuelle plus compréhensible, plus lisible, plus
percutante. Les distinctions ne sont cependant pas toujours aussi tranchées:
les composantes esthétique et/ou émotive d'une photo de presse,
par exemple, peuvent considérer un facteur d'interprétation
important. Nous nous souvenons encore tous de cette photo d'une petite
fille vietnamienne en feu fuyant sur un chemin après un bombardement
au napalm durant la guerre du Vietnam.
Ces deux types d'images impliquent donc des démarches différentes
tant de la part des émetteurs que de celle des lecteurs. Aussi prévoir
des pédagogies adaptées à chacun de ces types paraît
indispensable. Nous proposerons donc dans le premier cas une analyse inspirée
de la distinction dénotation/connotation aujourd'hui largement banalisée
dans le langage courant et dans le second, une démarche basée
sur les techniques de traitement de l'information, proposée notamment
par la sémiologie graphique.
Les connotations: sont définies comme des sens seconds " greffés " sur un sens littéral, dit dénoté. Imaginons une photo publicitaire pour une quelconque boisson apéritive. L'image pourrait être décomposée en deux niveaux:
Ainsi décrites, les connotations possèdent un caractère global: elles entrent dans des chaînes associatives -métaphoriques ou métonymiques- que dirigent tant les représentations sociales et les cristallisations idéologiques que les projections et l'imaginaire individuels. L'interprétation, faut-il le rappeler, est toujours le fait d'un sujet tant individuel que social c'est-à-dire psychologique et historique.
Une lecture des ce type a plus d'un intérêt
pour l'élève. Elle permet tout d'abord de mettre en évidence
la différence entre les processus descriptifs et interprétatifs
qui permettent le passage de l'observation à l'analyse, de la compréhension
à l'interprétation. Ensuite, elle rend possible l'identification
des valeurs sociales - des fragments d'idéologie, disait R.
Barthes - et individuelles. Il sera possible à cette occasion,
de montrer l'importance des aspects formels de l'image pour l'élaboration
du sens: rôle de la " mise en scène ",
des décors, des personnages et des objets représentés,
fonction du cadrage, des couleurs, etc. On sera attentifs à la façon
dont l'image " nous parle ": la façon dont l'auteur
de l'image interpelle ses lecteurs par des jeux de regards - ce fameux
" axe Y-Y ", les yeux dans les yeux) défini
par E. Veron -, par des gestes, des mimiques, etc.
On pourra aussi faire apparaître la relativité du sens
de l'image en fonction des différents publics, de leurs caractéristiques
sociales, religieuses, culturelles, etc. La notion de polysémie
de l'image - le fait qu'elle ait plus d'un sens - pourra dès
lors être mieux comprise: une image est polysémique parce
qu'elle fait l'objet de lectures multiples. On rappellera alors la notion
d'ancrage chère à Barthes: le sens d'une image est
déterminé par le texte qui l'accompagne et qui, orientant
notre lecture, réduit d'autant sa polysémie. C'est l'occasion
rêvée pour analyser le rapport entre l'image et son texte,
entre l'image et sa légende. On pourrait encore montrer que l'image
et les mots de la langue, qui ne possèdent pas les mêmes formes
d'expression, ne disent donc pas les mêmes choses.
Voilà quelques pistes ouvertes pour une pédagogie des images non fonctionnelles. Mais surtout qu'éduquer le regard n'enlève rien au plaisir de l'image.
La métaphore est une figure de rhétorique classique qui consiste à substituer, sur la base d'une équivalence sémantique, un mot par un autre. Il s'agit d'un transfert de sens. Plus exactement, on substitue un signifiant par un autre: on remplace, par exemple, le mot " femme " par " fleur " pour désigner la " femme ". On a dit souvent que la métaphore était une " comparaison condensée ".
La métonymie est une figure de rhétorique qui substitue
une unité de langue par une autre qui lui est liée par un
rapport de dépendance ou de contiguité (la syndecoque est
une forme de métonymie). On remplace la partie par le tout, le contenu
par le contenant, etc. Parler de " cent voiles à l'horizon "
pour " cent voiliers " ou dire que l'on " boit
un verre " sont deux exemples classiques de métonymie.
L'apprentissage de la lecture n'a pas toujours donné le gôut des livres ni de lecture. Qu'éduquer le regard n'enlève rien au plaisir des images.