Cette seconde publicité est celle de Heineken intitulée "Feel The Night". Cela fait déjà plusieurs années qu'elle hante les rues de Genève épisodiquement, et qu'on la retrouve également dans certaines publications.
J'ai trouvé l'image suivante dans la revue de l'AMR (Association pour l'encouragement de la musique improvisée), intitulée "Viva la musica" (n° 179, février 1996, p. 8).
Cette revue, destinée aux participants aux ateliers de musique improvisée de l'AMR ainsi qu'aux membres, est certainement une excellente plate-forme pour une publicité ayant portant très nettement une couleur "jazz".
Sommaire:
Quelques remarques avant de passer à l'analyse: cette image noir/blanc
a été scannée en noir/blanc (forcément). En revanche, pour éviter
d'avoir à manipuler des très gros fichier, la qualité a été définie
"au trait" (et non en niveaux de gris, ce qui aurait donné un fichier de
plusieurs Go). La photo s'en retrouve très contrastée, alors que
l'original est tout en nuances, et que l'on y voit parfaitement la bouteille
et le verre de bière, le saxophone, etc..
Le musicien est un saxophoniste noir, se tenant assis (on ne distingue
cependant pas la chaise), le haut du corps bien droit (bonne position pour
souffler). Son instrument est un saxophone ténor, type le plus
caractéristique des saxophones (le soprano est droit comme une clarinette,
l'alto a un coude simple à env. 90° et le baryton possède plusieurs coudes).
L'instrument, comme de coutume, est suspendu au cou du musicien par une petite
lanière (ce afin de décharger les bras du poids de l'instrument). Cela
empêche cependant de bien distinguer si le musicien porte une cravate
ou non (il me semble que oui, mais je ne le garantis pas). Du reste, le
musicien est très correctement habillé (petites chaussures blanches, chemise
blanche (manches retroussées) et pantalon noir.
Le saxophoniste tient son instrument légèrement de travers, comme il
convient de le faire (je ne suis pas saxophoniste moi-même, mais tous
ceux que j'ai vus tiennent leur instrument comme ça).
L'éclairage fait nettement penser à un concert (éclairage "intimiste").
La source de lumière dont la provenance est difficile à déterminer
avec les ombres portées: le plus probable est qu'elle vienne d'en haut,
ce qui renforcerait le côté "concert" (spots au plafond).
On ne distingue pas exactement si le musicien ferme les yeux, mais il
donne l'impression d'être complètement plongé dans sa musique.
La bouteille de bière est partiellement vide, alors que le verre est plein
(avec la mousse débordant légèrement). La surface du verre présente des
petites goutelettes issues de la condensation, ce qui indique que le contenu
est bien frais. Tant la bouteille que le verre portent sur leur surface le
logo de Heineken. Celui-ci comporte au minimum le nom de la marque en blanc
dans un cartouche à fond noir. Ce logo est complété différemment sur l'un
et l'autre support: étiquette ovale avec inscriptions pour la bouteille,
surmontée d'une seconde étiquette sur le goulot; deux petits dessins sur
le verre au-dessus et en-dessous du cartouche.
En bas, on trouve la marque, à côté de la bouteille et du verre.
On trouve finalement, au-dessus de la chaussure, les lettres BEP, qui
correspondent probablement à la signature du graphiste ou du photographe.
Comme le tout est essentiellement noir, tous les textes sont écrits en
blanc sur le fond noir.
Cette quiétude est probablement liée à l'emploi de la couleur noire: elle
assombrit l'image et nous fait y associer une ambiance feutrée (l'emploi de
couleurs claires serait plus dynamique, Cf. l'expression "couleurs criardes").
On peut s'en rendre compte en observant justement les éléments qui sont les
plus clairs: la bouteille et le verre, ainsi que le nom de la marque. Ce qui
leur donne une impression d'être "devant" (impression renforcée par le fait
qu'ils ne "font pas partie" de la photo, d'un point de vue sémantique).
Ce n'est pas le cas de l'"enseigne lumineuse" constituée par le slogan (que
j'avais appelé précédemment le "titre" de l'image, tant sa position et son
rôle dans la composition graphique lui donnent ce sens). Cette enseigne,
même si elle est claire, se fond relativement bien dans l'ensemble.
Cela peut s'expliquer par le fait qu'on est plus habitué à voir des enseignes
lumineuses dans la nuit et que le trait mince (et donc assez discret) ne fait
pas prendre les mots pour un avant-plan.
La nuit. Voilà un second élément qu'il faut souligner. Si l'atmosphère jazz
est si présente, c'est aussi certainement parce qu'on se retrouve dans la
nuit. Cette dernière n'est pas seulement exprimée par le fond noir ou la
présence de l'enseigne néon, mais bien plus par l'habitude que l'on a de
replacer les concerts dans des ambiances nocturnes: on ne sort guère au
concert que le soir, et les concerts de jazz se déroulent souvent après 22h00.
On y associe aussi très souvent les expressions "boîte de nuit" (qui fait le
pendant à "boîte de jazz"), oiseau de nuit (pour désigner quelqu'un qui vit
essentiellement la nuit... comme un musicien de jazz - et les jazzmen ont
l'habitude de se lever très tard, enregistrer leurs albums la nuit, se
coucher tôt... le matin).
J'ai mentionné aussi la quiétude qui semble émaner de la photo. Ceci n'est
pas forcément une caractéristique fondamentale du monde du jazz ou de la vie
nocturne. Elle est en revanche importante pour la publicité: on voit souvent
l'image d'un alcool ou d'une marque de cigarette associés au repos après un
effort, ou au plaisir de la dégustation (alors qu'une boisson non-alcoolisée
sera plus facilement associée à l'effort ou au dynamisme). En voyant cette
publicité, le spectateur s'identifie davantage à l'auditeur, dégustant
musique et bière, qu'au musicien. L'interpellation du slogan renforce ce fait,
et peut faire penser au slogan d'une grande marque de limonade gazeuse:
"Enjoy Coca-Cola".
On constate aussi rapidement que le musicien est bien fringué (chemise blanche
- pantalon noir, peut-être cravate, petits souliers blancs soignés...).
Cela fait référence aux premiers temps du jazz, où les musiciens (noirs)
s'habillaient bien afin d'enlever aux blancs cette suspiscion de "musique
sale" qui leur collait à la peau. On retrouve un peu tout au long de
l'histoire de la musique improvisée cette tendance des musiciens à faire
reconnaître leur art, et donc à l'habiller en conséquence, même si leur
public n'a jamais été des plus fortunés. En même temps, le musicien a ses
manches de chemise retroussées, ce qui lui donne un aspect "cool mais chic"
dans lequel les buveurs de Heineken peuvent se retrouver (bière de vieille
tradition, mais bière quand même...).
L'ambiance "chaude" (j'allais presque écrire "bleue") dégage aussi une
certaine sensualité, qui est encore soulignée par le slogan (Cf. plus loin).
Pour terminer les évocations de cette image, je note que le regard est
tourné vers la droite (petit détail mais qui a une certaine importance
vu le nombre impressionnant d'images de cette façon).
Le slogan (ou titre) de l'image évoque beaucoup de choses: par son dessin,
j'ai déjà mentionné que l'on pensait immédiatement à une enseigne lumineuse
(néon). L'écriture "manuelle" souligne un aspect "signature" assez dynamique
(j'entends par "dynamique" le fait que le slogan est un peu "lancé" au
lecteur dans le but de l'interpeller). Association de sens: l'interpellation
est manifeste dans l'emploi de l'impératif (feel the night). La position du
spectateur-lecteur est donc ambiguë: à la fois externe (on assiste au concert
sans y participer vraiment, on s'identifie au spectateur plus qu'au musicien),
et interne (le spectateur est dans la salle, le slogan s'adresse directement
à lui, de même que la musique s'adresse à l'auditeur).
C'est aussi ce que j'exprimais à travers le terme "atmosphère": comme
celle qui nous entoure, l'atmosphère dégagée de cette image "englobe" celui
la regarde et le fait participer à la sensation de musique (de nuit?) qu'il
voit. C'est d'ailleurs tout le mérite du terme "feel", qui renforce l'idée
sensuelle, voire charnelle de l'image. Ce n'est pas "see the night" ou
"listen to the music" qui a été utilisé. La publicité fait directement
référence aux sens: la vue bien sûr (musicien, concert) mais aussi l'ouïe
(musique), l'odorat (sueur ou odeur de cigarette ?), le goût (bière) et même
le toucher, tant les pulsions invoquées peuvent être ressenties par quelqu'un
ayant été une fois ou l'autre à un concert de jazz (est-ce que je parle trop
pour moi ?!).
Autre partie du texte, la marque, qui est franchement "extérieure" à la
scène évoquée. Se situant au premier plan, jouxtant les deux éléments en
verre (bouteille et verre) bien éclairés, elle souligne le caractère chaud et
intime de l'image par contraste. Constitue-t-elle une "signature"? Elle ne
me fait pas la même impression que celle de la SBS pour
l'autre publicité analysée. Elle jouerait plutôt pour moi le rôle de
mention du sponsor (les marques d'alcool et de cigarettes étant très
souvent présentes dans les manifestations culturelles de ce type).
2. Analyse
2.1 Niveau dénotation
L'image
L'ensemble se trouve sur un fond noir. L'image (en noir/blanc) abandonne
ainsi les caractéristiques habituelles de Heineken, dont la couleur verte
est bien connue. Le tout est très sombre, avec quelques éléments plus
éclairés: la chemise, le visage, les chaussures, la marque. Le pantalon noir
est dans l'ombre.
Le texte
On distingue trois éléments de texte: tout d'abord le titre, "Feel The Night"
(que l'on peut traduire par "sens la nuit", mais qu'il serait plus correct
de rendre par l'idée "ressens-tu la nuit ?", "feel" ayant ici un appel plus
directement charnel (j'y reviendrai). Il est écrit comme une enseigne lumineuse
au néon (trait très net sur la photo, bien qu'au scanner cela ne paraisse
pas). Le titre se situe en haut de la photo.
2.2 Niveau connotation
L'image
S'il fallait donner en un mot la notion clé qui se dégage de toute l'image,
ce serait "atmosphère" (ce qui ne veut pas dire que le musicien a une gueule
d'atmosphère!). Toute la publicité dégage une ambiance de boîte de jazz,
de musique intimiste (solo de sax), de calme et (réellement) de goût de
bière. A mon sens: réussite sur toute la ligne!
Le texte
Le texte est donc divisé en plusieurs parties. Je laisserai de côté ce que
je considère être la signature du graphiste (BEP), ne sachant trop que
dire à ce sujet.
2.3 Conclusion
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur cette publicité, notamment
en creusant la question de la couleur (noir/blanc), qui n'a pas ici la même
fonction que dans la pub pour la SBS (ici: photo artistique des concerts de
jazz, appel aux anciennes photos), ou encore la question du support (magazine
de jazz). Je m'arrête ici, l'exercice étant davantage une tentative
d'explicitation de liens entre niveaux dénoté et connoté.
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Grégoire Métral
*** metralg@uni2a.unige.ch