Analyse de publicité: Heineken

N'ayant toujours pas trouvé la publicité que j'ai analysée précédemment sur papier, je me rabats sur une seconde publicité, analysée un peu plus sommairement, mais pour laquelle vous pourrez voir l'image.

Cette seconde publicité est celle de Heineken intitulée "Feel The Night". Cela fait déjà plusieurs années qu'elle hante les rues de Genève épisodiquement, et qu'on la retrouve également dans certaines publications.

J'ai trouvé l'image suivante dans la revue de l'AMR (Association pour l'encouragement de la musique improvisée), intitulée "Viva la musica" (n° 179, février 1996, p. 8).

Cette revue, destinée aux participants aux ateliers de musique improvisée de l'AMR ainsi qu'aux membres, est certainement une excellente plate-forme pour une publicité ayant portant très nettement une couleur "jazz".

Sommaire:

  1. L'image
  2. Analyse
    1. Niveau connotation
      1. L'image
      2. Le texte
    2. Niveau connotation
      1. L'image
      2. Le texte
    3. Conclusion

1. L'image

Quelques remarques avant de passer à l'analyse: cette image noir/blanc a été scannée en noir/blanc (forcément). En revanche, pour éviter d'avoir à manipuler des très gros fichier, la qualité a été définie "au trait" (et non en niveaux de gris, ce qui aurait donné un fichier de plusieurs Go). La photo s'en retrouve très contrastée, alors que l'original est tout en nuances, et que l'on y voit parfaitement la bouteille et le verre de bière, le saxophone, etc..

2. Analyse

2.1 Niveau dénotation

L'image

L'ensemble se trouve sur un fond noir. L'image (en noir/blanc) abandonne ainsi les caractéristiques habituelles de Heineken, dont la couleur verte est bien connue. Le tout est très sombre, avec quelques éléments plus éclairés: la chemise, le visage, les chaussures, la marque. Le pantalon noir est dans l'ombre.

Le musicien est un saxophoniste noir, se tenant assis (on ne distingue cependant pas la chaise), le haut du corps bien droit (bonne position pour souffler). Son instrument est un saxophone ténor, type le plus caractéristique des saxophones (le soprano est droit comme une clarinette, l'alto a un coude simple à env. 90° et le baryton possède plusieurs coudes). L'instrument, comme de coutume, est suspendu au cou du musicien par une petite lanière (ce afin de décharger les bras du poids de l'instrument). Cela empêche cependant de bien distinguer si le musicien porte une cravate ou non (il me semble que oui, mais je ne le garantis pas). Du reste, le musicien est très correctement habillé (petites chaussures blanches, chemise blanche (manches retroussées) et pantalon noir.

Le saxophoniste tient son instrument légèrement de travers, comme il convient de le faire (je ne suis pas saxophoniste moi-même, mais tous ceux que j'ai vus tiennent leur instrument comme ça).

L'éclairage fait nettement penser à un concert (éclairage "intimiste"). La source de lumière dont la provenance est difficile à déterminer avec les ombres portées: le plus probable est qu'elle vienne d'en haut, ce qui renforcerait le côté "concert" (spots au plafond).

On ne distingue pas exactement si le musicien ferme les yeux, mais il donne l'impression d'être complètement plongé dans sa musique.

La bouteille de bière est partiellement vide, alors que le verre est plein (avec la mousse débordant légèrement). La surface du verre présente des petites goutelettes issues de la condensation, ce qui indique que le contenu est bien frais. Tant la bouteille que le verre portent sur leur surface le logo de Heineken. Celui-ci comporte au minimum le nom de la marque en blanc dans un cartouche à fond noir. Ce logo est complété différemment sur l'un et l'autre support: étiquette ovale avec inscriptions pour la bouteille, surmontée d'une seconde étiquette sur le goulot; deux petits dessins sur le verre au-dessus et en-dessous du cartouche.

Le texte

On distingue trois éléments de texte: tout d'abord le titre, "Feel The Night" (que l'on peut traduire par "sens la nuit", mais qu'il serait plus correct de rendre par l'idée "ressens-tu la nuit ?", "feel" ayant ici un appel plus directement charnel (j'y reviendrai). Il est écrit comme une enseigne lumineuse au néon (trait très net sur la photo, bien qu'au scanner cela ne paraisse pas). Le titre se situe en haut de la photo.

En bas, on trouve la marque, à côté de la bouteille et du verre.

On trouve finalement, au-dessus de la chaussure, les lettres BEP, qui correspondent probablement à la signature du graphiste ou du photographe.

Comme le tout est essentiellement noir, tous les textes sont écrits en blanc sur le fond noir.

2.2 Niveau connotation

L'image

S'il fallait donner en un mot la notion clé qui se dégage de toute l'image, ce serait "atmosphère" (ce qui ne veut pas dire que le musicien a une gueule d'atmosphère!). Toute la publicité dégage une ambiance de boîte de jazz, de musique intimiste (solo de sax), de calme et (réellement) de goût de bière. A mon sens: réussite sur toute la ligne!

Cette quiétude est probablement liée à l'emploi de la couleur noire: elle assombrit l'image et nous fait y associer une ambiance feutrée (l'emploi de couleurs claires serait plus dynamique, Cf. l'expression "couleurs criardes"). On peut s'en rendre compte en observant justement les éléments qui sont les plus clairs: la bouteille et le verre, ainsi que le nom de la marque. Ce qui leur donne une impression d'être "devant" (impression renforcée par le fait qu'ils ne "font pas partie" de la photo, d'un point de vue sémantique). Ce n'est pas le cas de l'"enseigne lumineuse" constituée par le slogan (que j'avais appelé précédemment le "titre" de l'image, tant sa position et son rôle dans la composition graphique lui donnent ce sens). Cette enseigne, même si elle est claire, se fond relativement bien dans l'ensemble. Cela peut s'expliquer par le fait qu'on est plus habitué à voir des enseignes lumineuses dans la nuit et que le trait mince (et donc assez discret) ne fait pas prendre les mots pour un avant-plan.

La nuit. Voilà un second élément qu'il faut souligner. Si l'atmosphère jazz est si présente, c'est aussi certainement parce qu'on se retrouve dans la nuit. Cette dernière n'est pas seulement exprimée par le fond noir ou la présence de l'enseigne néon, mais bien plus par l'habitude que l'on a de replacer les concerts dans des ambiances nocturnes: on ne sort guère au concert que le soir, et les concerts de jazz se déroulent souvent après 22h00. On y associe aussi très souvent les expressions "boîte de nuit" (qui fait le pendant à "boîte de jazz"), oiseau de nuit (pour désigner quelqu'un qui vit essentiellement la nuit... comme un musicien de jazz - et les jazzmen ont l'habitude de se lever très tard, enregistrer leurs albums la nuit, se coucher tôt... le matin).

J'ai mentionné aussi la quiétude qui semble émaner de la photo. Ceci n'est pas forcément une caractéristique fondamentale du monde du jazz ou de la vie nocturne. Elle est en revanche importante pour la publicité: on voit souvent l'image d'un alcool ou d'une marque de cigarette associés au repos après un effort, ou au plaisir de la dégustation (alors qu'une boisson non-alcoolisée sera plus facilement associée à l'effort ou au dynamisme). En voyant cette publicité, le spectateur s'identifie davantage à l'auditeur, dégustant musique et bière, qu'au musicien. L'interpellation du slogan renforce ce fait, et peut faire penser au slogan d'une grande marque de limonade gazeuse: "Enjoy Coca-Cola".

On constate aussi rapidement que le musicien est bien fringué (chemise blanche - pantalon noir, peut-être cravate, petits souliers blancs soignés...). Cela fait référence aux premiers temps du jazz, où les musiciens (noirs) s'habillaient bien afin d'enlever aux blancs cette suspiscion de "musique sale" qui leur collait à la peau. On retrouve un peu tout au long de l'histoire de la musique improvisée cette tendance des musiciens à faire reconnaître leur art, et donc à l'habiller en conséquence, même si leur public n'a jamais été des plus fortunés. En même temps, le musicien a ses manches de chemise retroussées, ce qui lui donne un aspect "cool mais chic" dans lequel les buveurs de Heineken peuvent se retrouver (bière de vieille tradition, mais bière quand même...).

L'ambiance "chaude" (j'allais presque écrire "bleue") dégage aussi une certaine sensualité, qui est encore soulignée par le slogan (Cf. plus loin).

Pour terminer les évocations de cette image, je note que le regard est tourné vers la droite (petit détail mais qui a une certaine importance vu le nombre impressionnant d'images de cette façon).

Le texte

Le texte est donc divisé en plusieurs parties. Je laisserai de côté ce que je considère être la signature du graphiste (BEP), ne sachant trop que dire à ce sujet.

Le slogan (ou titre) de l'image évoque beaucoup de choses: par son dessin, j'ai déjà mentionné que l'on pensait immédiatement à une enseigne lumineuse (néon). L'écriture "manuelle" souligne un aspect "signature" assez dynamique (j'entends par "dynamique" le fait que le slogan est un peu "lancé" au lecteur dans le but de l'interpeller). Association de sens: l'interpellation est manifeste dans l'emploi de l'impératif (feel the night). La position du spectateur-lecteur est donc ambiguë: à la fois externe (on assiste au concert sans y participer vraiment, on s'identifie au spectateur plus qu'au musicien), et interne (le spectateur est dans la salle, le slogan s'adresse directement à lui, de même que la musique s'adresse à l'auditeur).

C'est aussi ce que j'exprimais à travers le terme "atmosphère": comme celle qui nous entoure, l'atmosphère dégagée de cette image "englobe" celui la regarde et le fait participer à la sensation de musique (de nuit?) qu'il voit. C'est d'ailleurs tout le mérite du terme "feel", qui renforce l'idée sensuelle, voire charnelle de l'image. Ce n'est pas "see the night" ou "listen to the music" qui a été utilisé. La publicité fait directement référence aux sens: la vue bien sûr (musicien, concert) mais aussi l'ouïe (musique), l'odorat (sueur ou odeur de cigarette ?), le goût (bière) et même le toucher, tant les pulsions invoquées peuvent être ressenties par quelqu'un ayant été une fois ou l'autre à un concert de jazz (est-ce que je parle trop pour moi ?!).

Autre partie du texte, la marque, qui est franchement "extérieure" à la scène évoquée. Se situant au premier plan, jouxtant les deux éléments en verre (bouteille et verre) bien éclairés, elle souligne le caractère chaud et intime de l'image par contraste. Constitue-t-elle une "signature"? Elle ne me fait pas la même impression que celle de la SBS pour l'autre publicité analysée. Elle jouerait plutôt pour moi le rôle de mention du sponsor (les marques d'alcool et de cigarettes étant très souvent présentes dans les manifestations culturelles de ce type).

2.3 Conclusion

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur cette publicité, notamment en creusant la question de la couleur (noir/blanc), qui n'a pas ici la même fonction que dans la pub pour la SBS (ici: photo artistique des concerts de jazz, appel aux anciennes photos), ou encore la question du support (magazine de jazz). Je m'arrête ici, l'exercice étant davantage une tentative d'explicitation de liens entre niveaux dénoté et connoté.


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Grégoire Métral *** metralg@uni2a.unige.ch