La privation volontaire de nourriture a
été, de tout temps, utilisée comme moyen de se détacher
de la matérialité. Le jeûne est pratiqué par
les individus aspirant à un contact privilégié, directe,
avec une entité transcendante. Bouddha, Jésus, saints et
autres prophètes, tous jeûnèrent à certains
moments de leur quête. La plupart des sociétés dites
primitives imposent des jeûnes préinitiatique destinés
à préparer l'individu à une nouvelle phase de son
existence. A un moindre degré, périodes de jeûne ou
de restriction alimentaire font partie de la quasi-totalité des
traditions religieuses. Le ramadan, le Yom Kippour, le carême en
sont des exemples.
Le propore du jeûne est de constituer
une rupture. Refuser la nourriture, c'est couper un lien fondamental. Selon
le cas, il s'agit de consacrer la rupture avec la matérialité
et le monde profane, ou bien avec un groupe social ou familial, ou encore
avec un individu. C'est parce que chacun perçoit intuitivement l'importance
de cette rupture que tout jeûne prolongé suscite tant de réactions
émotionnelles dans l'entourage.
Jeûner est donc un moyen privilégié
de rupture avec la matérialité, un mode d’accès à
la transcendance. Ceux qui s’adonnèrent au jeûne et à
de sévères restrictions alimentaires ont donc fréquemment
justifié ces conduites par des motifs religieux ou philosophiques.
Ainsi, à la fin du Moyen Age en Europe, de nombreuses femmes que
l’on a surnommées les « saintes anorexiques » pratiquèrent
le jeûne ; certaines furent canonisées. Citons Sainte Catherine
de Sienne, au XVIème siècle, décédée
à trente trois ans, qui avait pratiquement cessé de s’alimenter
et s’imposait de multiples privations et actes de contritions, Catherine
de Pazzi, qui jeûnait elle aussi de façon semi-permanente
et se faisait vomir, morte à quarante et un ans. Mère Agnès
de Jésus au XVIIème siècle, Louise Lateau au XIXème
siècle, Thérèse Neumann et Marthe Robin au XXème
siècle peuvent être considérées comme saintes
ou martyres dans une optique religieuse ou bien telles des anorexiques
mentales d’un point de vue psychopathologique. |