LES FACTEURS PSYCHOLOGIQUES


Les déterminismes psychologiques, individuels ou familiaux, actuels ou passés font interagir des traits de personnalité, des perturbations affectives, cognitives, fantasmatiques, des conflits inconscients s'externalisent dans les modes de communication qui définissent la structure relationnelle et l'organisation hiérarchique de la famille. Les approches psychanalytiquescognitives, comportementales et systémiques s'adressent par-delà leur spécificité à des aspects, à des manifestations diverses des mêmes processus dont elles enrichissent la compréhension de leur éclairage complémentaire. Leurs apparentes contradictions peuvent être dépassées pour accéder à une vision plus globale des déterminismes de l'anorexie.

Nous allons voir : 

1) Approche clinique et psychométrique
2) Approche cognitive et comportementale
3) Approche systémique
4) Approche psychanalytique






1) Approche clinique et psychométrique vers bas page
 

Cette approche cherche à préciser les facteurs de personnalité de l'adolescente et des parents et les configurations familiales pouvant participer aux déterminismes de l'anorexie.

a) la personnalité de l'adolescente
Divers traits ou organisations de personnalité pathologiques ont été décrits chez les anorexiques. On a souvent décrit l'anorexique comme ayant été enfant modèle, docile et soumise à l'excès, perfectionniste, anxieuse et introvertie. Les aptitudes intellectuelles des anorexiques sont considérées comme supérieures et on a pe y voir une propension à recourir à l'intellectualisation comme défense contre les émotions et les relations affectives.

b) la personnalité des parents
Les traits de personnalité pathologiques et les troubles psychiatriques sont fréquemment observés. Toutefois, il peut être difficile de différencier les troubles préexistants de ceux induits par les désordres alimentaires qui soumettent les parents à des tensions importantes. La dépression et l'alcoolisme sont les troubles psychiatriques les plus souvent rapportés. Les dépressions causent une défaillance de la fonction parentale, en particulier de l'étayage affectif, qui, survenant à des périodes sensibles peuvent provoquer une perurbation du développement pouvant participer aux déterminismes des désordres alimentaires.

Les mères d'anorexiques sont souvent décrites comme distantes, montrant peu de tendresse. La rigidité et leur recherche de domination familiale cachent leur fragilité, leurs sentiments de dévalorisation et leurs attitudes dépressives. Les pères sont souvent dépeints comme effacés, soumis à leur femme, absents ou exclus, mais ils peuvent être quelque fois tyranniques.

vers haut page2) Approche cognitive et compportementale vers bas page

Des mécanismes de conditionnement classique et opérant, d'apprentissage social et des processus cognitifs participent à l'acquisition et surtout à la persistance des troubles des conduites alimentaires. Dans une société valorisant l'apparence, la perception négative du corps et la peur d'être grosse en viennent naturellement à exprimer l'auto-dévaluation et les sentiments d'inadéquation et d'incompétence face aux défis de l'adolescence. Le désir de minceur peut prendre la signification d'une volonté de retrouver un corps d'enfant et de se libérer des contraintes de l'adolescence. L'arrêt des règles, confirmant l'inversion du processus pubertaire vient conforter le sentiment de reprise de contrôle. Maigrir devient une conduite d'évitement visant à soustraire l'adolescent à une situation angoissante d'échec d'adaptation.

Les comportements de restriction alimentaire et la perte de poids, une fois déchlenchés, sont soumis à des mécanismens de conditionnement répondant et opérant. Le conditionnement classique pavlovien intervient dans l'apprentissage des conduites d'évitement de la nourriture : l'association de la nourriture au stimulus inconditionnel interne de la eur de grossir suscite une réponse conditionnelle d'anxiété qui peut s'accroître d'elle-même par le mécanisme d'incubation avancé par Eysenck. La réduction d'alimentation et la diminution du poids sont renforcées négativement par l'évitement des sentiments aversifs liés à la nourriture et à la phobie du poids.

L'amaigrissement suscite également des renforcements positifs externes et internes. L'amincissement provoque habituellement les encouragements de la part de l'entourage familial et social. Mais les renforcements sociaux peuvent pesister même en cas d'émaciation : Branch et Euran (1980), étudiant par un questionnaire les attitudes de la famille et des amis, ont observé que primaient l'acceptation et l'approbation et que l'anorexique était fréquemment jugée attractive, enviée ou admirée.

La perte de poids suscite également des renforcements internes représentés par des affects et des cognitions positives liées au sentiment de contrôle qu'elle procure : dans un renversement de situation, maigrir permet à une adolescente, en proie à des sentiments d'infériorité et d'impuissance, d'actualiser une maîtrise nouvelle, de parvenir à l'illusion d'un contrôle total de sa valeur personnelle par la recherche de la minceur culturellement associée aux notins de beauté, liberté, réussite, pouvoir, intelligence et moralité.

On observe dans l'anorexie de nombreuses distorsions cognitives. L'approche de Beck nous permet de mieux comprendre le rôle de ces perturbations cognitives. La conception dysfonctionnelle, privilégie la minceur et l'apparence physique comme critère obligatoire de la valeur personnelle. Les distorsions cognitives ne se limitent pas au corps et à la nourriture mais elles s'étendent à tous les aspects de la conception de soi et des relaations sociales. Les perturbations cognitives de l'anorexie sont dominées par un mode de pensée rigide, marqueé par des règles inflexibles procédant soit d'obligation excessive (la tyrannie des devoirs) soit d'une pensée dichotomique, extrémiste, fonctionnant sur le mode du tout ourien, ignorant les nuances, les intermédiaires et les compromis. Ces distorsions cognitives, qui deviennent la base des évaluations et des stratégies de résolution de problème, peuvent être directement exprimées ou elles peuvent être implicites, déduites des propos et des attitudes. Elles peuvent se manifesteer par la tendance à classer les aliments en deux catégories opposées, "bonne" ou "mauvaise", par les règles d'alimentation et de conduite impératives, par la crainte que gagner un kilo signifie devenir obèse, par l'incapacité à dévier légèrement d'un régime sans conclure à son échec total. Elles contribuent à fixer des attentes de perfection irréalisables, l'impossibilité à y satisfaire provoquant des sentiments d'incompétence et d'inadéquation. L'adolescente s'impose des objectifs trop exigeants, pour son aspect physique, pour les activités scolaires, sociales ou sportives. La réussite totale ne laisse d'autre alternative qu'un échec honteux : "si je ne réussis pas tout ce que je fais, je ne vaux rien", "si tout le monde ne m'aime pas, c'est que je ne suis pas intéressante".Les conceptions extrêmes concernent particulièrement le contrôle de soi qui ne doit souffrir d'aucune faille sous peine d'effondrement: "si je ne fais pas de l'exercice physique tous les jours, je vais complètement me laisser aller"; "si je me mets en colère je vais tout détruire".

L'origine des distorsions cognitives est complexe : elles peuvent être acquises dans l'enfance sous l'influence d'expériences négatives précoces ou de l'exemple d'un mode de pensée dyfonctionnel des parents et être réactivées à l'adolescence. On a pu y voir les témoignages d'un trouble du développement : les anorexiques continuent à fonctionner avec les convictions morales et le style de pensée de la prime enfance. La pensée dichotomique a été rliée au clivage et à la perturbation des relations d'objet, la tyrannie des devoirs à une éducation autoritaire et exigeante, et le perfectionnisme à l'utilisation narcissique des enfants par les parents. Les conséquences biologiques et psychologiques des troubles alimentaires peuvent aggraver les perturbations cognitives.Ces perturbations participent à expliquer la déficience des capacités d'adaptatin à l'adolescence qui a été considérée comme un déterminisme de l'anorexie. 

La rupture sociale que provoquent habituellement l'anorexie aggrave le déficit des compétences sociales, augmente le décalage avec les adolescents du même êge, compromet la réinsertion sociale et devient un facteur de rechute ou de persistance dans l'enfermement dans le symptôme.

vers haut page3) Approche systémique vers bas page

Cette approche lie l'anorexie à une crise du développement de la famille à l'adolescence qui en exige l'évolution. L'émergence de la sexualité compromet la relation d'intimité avec les parents. L'adolescence annonce la séparation future et menace l'équilibre de la famille et même sa survie si la proximité entre parents et enfants est perçue comme plus importante que celle entre parents.

L'étude des interactions de familles anorexique a révélé des caractéristiques communes : l'enchevêtrement marqué par un effacement des limites entre individus et entre générations, la dépendance étant encouragée et la recherche d'autonomie punie comme une menace compromettant l'unité familiale ; la surprotection qui se réfère aux préoccupations exagérées des membres de la famille, les uns pour les autres, l'adolescente protégeant autant les parents qu'ils la protègent ; le manque de résolution des conflits qui peut se manifester par le déni et l'évitement des conflits, vécus comme un danger pour l'intégrité familiale, ou qui peut être masqué par des disputes fréquentes, sans que les vrais problèmes du couple des parents soient abordés ; la rigidité qui traduit la résistance aux changements et la réduction du répertoire d'céchanges, la famille pouvant paraître figée, comme si le temps s'était arrêté, les parents se conduisant avec l'adolescente comme si elle était toujours une petite enfant ; l'implication de l'adolescente dans un conflit parental.

Le désordre alimentaire paraît avoir des effets contradictoires sur l'organisation familiale. D'une part, il semble exercer une fonction homéostatique de stabilisation, prévenant ou réduisant la crise familiale liée à l'adolescence : il permet de maintenir ou de retrouver l'état familial antérieur, l'aadolescente légitimant, par sa conduite, que les parents continuent à s'occuper d'elle comme d'une enfant. Mais, d'autre part, le désordre alimentaire témoigne d'une rebellion "passive" de l'adolescente qui ne peut exprimer plus directement son opposition à des parents surprotecteurs et intrusifs : par la révolte qu'il révèle et les tensions qu'il suscite, l'adolescente conteste le statu quo familial et dénonce le mythe familial d'absence de conflit. Face à l'enchevêtrement familial, l'anorexie est aussi un moyen de paraître différente et d'afficher son individualité. Par le désordre alimentaire, l'adolescente maintient et accentue le fonctionnement familial fusionnel tout en protestant contre une oppression dont elle est incapable de se libérer.
 

vers haut page4) Approche psychanalytique vers bas page

Dans leur diversité, les compréhensions psychanalytiques de l'anorexie se rejoignent pour souligner les failles précoces du développement décompensées par l'expérience de la puberté.

Les perturbations précoces du développement ont été liées à une déficience des relations mère-enfant dont plusieurs analyses ont été proposées.

Dans l'enfance, les parents continuent d'exercer un contrôle excessif sur l'enfant, à lui imposer leurs attentes et leurs besoins, encourageant l'obéissance et le conformisme, le privant du droit de vivre sa propre vie. L'adaptation de l'enfant aux exigences des parents dissimule le sentiment d'être inefficace, de ne pas maîtriser sa vie et les relations avec les autres, de ne pas être aimé pour soi, mais pour sa réussite. A la puberté, l'adolescente se sent impuissante devant l'irruption des nouveaux besoins du corps et se sent incapable de satisfaire de nouvelles exigences d'adaptation et de réussite : l'anorexie lui permet de compenser ses sentiments d'infériorité, en lui donnant l'illusion de devenir queoqu'un d'exceptionnel, tout en lui évitant la confrontation à des situations qu'elle se sent inapte à aborder.

L'anorexie a été liée à l'incapacité de la mère de satisfaire les besoins d'autonomie et de les encourager : à l'inverse, la mère impose ses propres besoins à l'enfant. L'adolescence a été considérée comme une deuxième phase de séparation-individuation dont les vicissitudes sont liées au déroulement de la première : la recherche de l'indépendance est vécue par l'adolescente comme une menace d'annihilation exposant à à d'intolérables sentiments d'abandon et de solitude alors que la poursuite de la dépendance représente  la fusion symbiotique à la mère et la réincorporation destructrice. L'anorexie représente une tentative d'échapper à cette impasse du développement par un compromis entre la régression et l'individuation. Elles réalisent une effort malheureux d'affirmation de soi et d'individuation qui aboutit, au contraire, à augmenter la dépendance aux parents.

Dans une autre perspective, l'anorexie a été rattachée à une pathologie des objets internes. Qu'elle soit primaire, d'origine pulsionnelle, ou secondaire, réactionnelle aux frustrations réelles, l'agressivité projetée sur l'objet primitif, le transforme en persécuteur externe qui est introjecté pour être contrôlé, puis déplacé dans le corps. Le corps devient un objet persécuteur produit par l'internalisation de la mère contre lequel l'anorexie va représenter une attaque, en affamant le mauvais objet comme il a lui-même privé de nourriture.

Le corps sexué, source de ces désirs destructeurs, est vécu comme un ennemi et un persécuteur. La maturation physique pubertaire qui identifie le corps de l'adolescente à celui de la mère est éprouvée comme une emprise de la mère. Ces adolescentes ressentent leurs corps comme détaché d'elles et appartenant toujours à la mère. Elles se vivent soumises passivement à une mère omnipotente, effrayante qui peut les engloutir. La mère internalisée est perçue comme une persécutrice responsable de la perte de contrôle de leurs désirs et de leurs corps. La haine du corps et celle de la mère se confondent et le corps peut être utilisé pour actualiser le fantasme de destruction de la mère. La crudité traumatique de la réactivation oedipienne conduit à la répression de la génitalité et à une régression à la sexualité orale infantile. L'érotisation de l'oralité se traduit par le déplacement des représentations et des conflits concernant la sexualité sur la fonction alimentaire qui fait l'objet de dégoût, d'inhibition.

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