Trois contes:
 Leur interprétation

 
 
 
 
 
Blanche-Neige Cendrillon
Le Petit Chaperon rouge

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Blanche-Neige
 
 

Blanche-Neige est l'un des contes de fées les plus célèbres. La forme sous laquelle Blanche-Neige est actuellement la plus répandue laisse les complications oedipiennes à notre imagination, sans les imposer à notre esprit conscient
Peu de contes de fées réussissent à aider l'auditeur à distinguer entre les phases principales du développement de l'enfance aussi bien que le fait Blanche-Neige. Dans ce conte, comme dans la plupart des autres, les années pré-oedipiennes, où l'enfant était totalement dépendant, sont à peine mentionnées. L'histoire se rapporte essentiellement aux conflits oedipiens entre la mère et la fille, à l'enfance, et, finalement, à l'adolescence, et insistent sur ce qui consti-tue une «bonne enfance» et sur ce qu'il faut faire pour en sortir.
 

Apparemment il n'arrive rien de mal à Blanche neige pendant ses premières années de vie, bien que sa mère soit morte en couches et ait été remplacée par une belle-mère. Cette dernière ne devient la marâtre « typique» des contes de fées que lorsque Blanche-Neige atteint l'âge de sept ans et commence à mûrir. Elle commence alors à se sentir menacée par Blanche-Neige et devient jalouse. Son narcissisme est mis en évidence quand elle essaie de se rassurer sur sa beauté en interrogeant le miroir magique, bien avant que la beauté de Blanche-Neige éclipse la sienne.
 

L'attitude de la reine devant son miroir rappelle le vieux thème de Narcisse, qui finit par se laisser engloutir par l'amour qu'il avait de lui-même. Ce sont les parents les plus narcissiques qui se sentent les plus menacés par la croissance de leur enfant. Celui-ci leur montre, en prenant de l'âge, qu'ils vieil-lisscnt. Tant que l'enfant est totalement dépendant, Il continue, pour ainsi dire, de faire partie du père et surtout de la mère. Mais quand, mûrissant, il tend vers son indépendance, il est ressenti comme une menace, et c'est ce qui arrive à la reine de Blanche-Neige.
 

Dans Blanche-Neige, la lutte oedipienne de la petite fille pubertaire n'est pas refoulée, mais vecue autour de la mère considérée comme rivale. Toujours dans le même conte, le père-chasseur est incapable de prendre une position ferme et précise. Il n'accomplit pas son devoir vis-à-vis de la reine et ne se sent pas moralement obligé de mettre Blanche-Neige en lieu sûr. Il ne la tue pas de sang-froid, mais l'abandonne dans la forêt, non sans savoir qu'elle sera la proie des animaux sauvages. Il tente de satisfaire à la fois la mère, en feignant d'obéir à ses ordres, et la fille en lui laissant la vie sauve. La haine et la jalousie durables de la reine sont la conséquence de l'ambivalence du père; dans Blanche-Neige, elles sont projetées sur la méchante reine qui continue de réapparaître dans la vie de l'enfant.
 

Pour commencer, tous les enfants voudraient qu'il soit possible d'éviter le difficile travail de l'intégration qui, ainsi que le montre aussi l'histoire de Blanche-Neige, s'accompagne de graves dangers. Pendant un certain temps il semble qu'il soit possible d'échapper à cette tâche. Blanche-Neige mène provisoirement une existence paisible, et, sous la gouverne des nains, elle cesse d'être une enfant incapable d'affronter les difficultés du monde pour devenir une fillette qui apprend à bien travailler et à en tirer plaisir.
 

Avant même de faire la connaissance des nains, Blanche-Neige prouve qu'elle est capable de contrôler ses envies orales, aussi fortes soient-elles. Bien qu'elle ait très faim quand elle entre pour la première fois dans la maison des nains, elle ne prend que très peu de nourriture dans chacune des sept assiettes et ne boit qu'une goutte dans chaque verre, comme pour minimiser son larcin. Après avoir calmé sa faim, Blanche-Neige essaie les sept lits, mais les six premiers sont trop longs ou trop courts, et, finalement, elle s'endort dans le septième qui lui va parfaitement. Elle sait que chaque proprié-taire voudra dormir dans son lit, malgré sa présence dans l'un d'eux. Apparemment, tout en essayant les lits, elle savait qu'elle prenait un risque, mais elle a eu raison de le prendre : quand les nains rentrent chez eux, ils sont bouleversés par sa beauté, et le septième nain ne réclame pas son lit et «dort avec ses compagnons, une heure avec chacun ».
 

Son comportement, quand elle s'abstient de manger et de boire tout son soûl et quand elle refuse de dormir dans un lit qui n'est pas exactement à sa taille, montre qu'elle a aussi appris à contrôler à un certain point les pulsions de son ça et à les soumettre aux exigences de son surmoi. On constate que son moi, lui aussi, a mûri, puisque maintenant elle travaille sans épargner sa peine et sait partager avec les autres un stade d'introjection orale, est incapable de se relier aux autres et personne ne peut s'identifier à elle.
 

Comme les fées, ils peuvent être bons ou mauvais; dans Blanche-Neige, ils sont bons et ne demandent qu'à l'aider. La première chose que nous apprenons à leur sujet, c'est qu'ils revenaient chez eux après avoir passé la journée à piocher les montagnes. Comme tous les nains, même ceux qui sont antipathiques, ils sont durs et habiles à leur travail. Ils ne vivent que pour travailler; ils ignorent ce que peuvent être les loisirs et les divertissements. Ils sont d'emblée impres-sionnés par la beauté de Blanche-Neige et bouleversés par le récit de son infortune, mais ils s'empressent de dire tout net qu'elle ne peut rester avec eux que Si elle s'engage à travailler consciencieusement. Les sept nains évoquent les sept jours de la semaine, des jours consacrés au labeur. C'est à ce monde laborieux que Blanche-Neige doit s'intégrer pour assurer convenablement son évolution; cet aspect de son séjour chez les nains est assez évident.
 

Les nains sont donc essentiellement des êtres de sexe masculin; mais ils sont des hommes dont la croissance a avorté. Ces « hommes  en miniature », avec leur corps trapu et leur travail de piocheur - ils se faufilent facilement dans les cavités sombres - évoquent des associations phalliques. Ils ne sont certainement pas des hommes dans le sens sexuel du mot; leur façon de vivre, leur goût des biens matériels, leur méconnaissance de l'amour évoquent une existence pré-oedipienne.
 

La periode paisible de pré-adolescence que Blanche-Neige vit chez les nains avant que la reine ne revienne la tourmenter lui donne la force de passer à l'adolescence. Elle entre ainsi dans une nouvelle phase de troubles; elle n'est plus une enfant qui doit subir passivement tout ce que sa mère lui intlige, mais une personne qui doit participer en toute responsabilité à ce qui lui arrive.
Les relations de Blanche-Neige avec la reine symbolisent certaines des graves difficultés qui peuvent surgir entre la mère et la fille.
 

Après avoir failli être détruite par son conflit pubertaire précoce et par la rivalité qui l'opposait à sa marâtre, Blanche-Neige tente de se réfugier dans une période de latence dénuée de conflits où, sa sexualité restant en sommeil, elle peut éviter les tourments de l'adolescence. Mais le développement humain, pas plus que le temps, ne peut rester statique, et il ne sert à rien d'essayer de revenir à une vie de latence pour échapper aux troubles de l'adolescence. Au tout début de son adolescence, Blanche-Neige commence à connaître les désirs sexuels qui étaient refoulés et endormis pendant la latence. Au même moment, la marâtre, qui représente les éléments consciemment refusés dans le conflit interne de Blanche-Neige, rentre en scène et brise la paix intérieure de la jeune fille.
 

La facilité avec laquelle Blanche-Neige, à différentes reprises, se laisse tenter par sa marâtre, malgré les avertissements des nains, montre combien ces tentations sont proches de ses désirs secrets. Les nains lui disent en vain de ne laisser entrer personne dans la maison, ou, symboliquement, dans son être intérieur.  Les hauts et les bas des conflits adolescents sont symbolisés par le fait que Blanche-Neige est tentée par deux fois, mise en grand danger, et sauvée par un retour àson existence de latence. A la troisième tentation, elle renonce à recourir à l'immaturité pour fuir les difficultés de l'adolescence.
 

Pour endorrnir la méfiance de Blanche-Neige, la reine coupe la pomme en deux; elle mange la partie blanche, laissant la partie rouge, empoisonnée, à sa fille. On nous a à plusieurs reprises parlé de la double nature de l'héroïne : elle était aussi blanche que la neige et aussi rouge que le sang, c'est-à-dire que son être se présentait sous un double aspect  asexué et érotique. En mangeant la partie rouge (érotique) de la pomme, elle met fin à son « innocence ». Les nains, qui étaient les compagnons de son existence fixée au stade de latence, sont incapables de lui rendre la vie. Elle a fait son choix, aussi nécessaire que fatal. Le rouge de la pomme évoque des associations sexuelles, comme les trois gouttes de sang qui conduisent à la naissance de  Blanche-Neige, et comme la menstruation, cet événement qui marque le début de la maturité sexuelle. Tandis qu'elle mange la partie rouge de la pomme, l'enfant qui est en Blanche-Neige meurt et est placé dans un cercueil de verre.
 


L'histoire de Blanche-Neige nous apprend qu'il ne suffit pas d'atteindre la maturité physique pour être prêt, intellectuellement et affectivement, à entrer dans l'âge adulte, en tant qu'il est représenté par le mariage. L'adolescent doit encore grandir, et il faut encore beaucoup de temps avant que soit formée une personnalité plus mûre et que soient intégrés les vieux conflits. C'est à ce moment-là seulement qu'on est prêt à accueillir le partenaire de l'autre sexe et à établir avec lui les relations intimes qui permettent à la maturité adulte de s'accomplir. Le partenaire de Blanche-Neige est le prince qui reçoit le cercueil des mains des nains et qui l'emporte. Le conte nous dit de façon symbolique que si nous ne refrénons pas nos passions incontrôlées, elles finiront par nous détruire.
 

De nombreux héros de contes de fées, à un moment crucial de leur développement, tombent dans un profond sommeil ou sont ramenés à la vie. Chaque réveil (ou renaissance) symbolise l'accession à un niveau supérieur de maturité et de compréhension. C'est l'une des façons qu'adopte le conte de fées pour stimuler notre désir de donner à la vie une signification plus élevée : une conscience plus profonde, une meilleure connaissance de soi et une plus grande maturité. La longue période d'inactivité qui précède le réveil de Blanche-Neige fait comprendre à l'auditeur - sans l'exprimer consciemment - que cette renaissance exige pour les deux sexes un temps de repos et de concentration.
 
 
 
 
 
 
 
 

le petit chaperon rouge
 
 
 

Le Petit Chaperon Rouge aborde quelques problèmes cruciaux que doit résoudre la petite fille d'âge scolaire quand ses liens oedipiens s'attardent dans son inconscient, ce qui peut l'amener a s'exposer aux tentatives d'un dangereux séducteur. la maison de la forêt et la maison familiale sont un seul et même lieu, ressenti de façon très différente en raison d'un changement survenu dans la situation psychologique.
 

Dans sa propre maison, le Petit Chaperon Rouge, protégée par ses parents, est l'enfant pubertaire paisible, tout à fait capable de résoudre ses problèmes. Dans la maison de sa grand-mère, qui elle-même est infirme, la même petite fille est désespérément handicapée par les conséquences de sa rencontre avec le loup.
 

Le loup est le séducteur, mais, selon le contenu apparent de l'histoire, il ne fait rien qui ne soit naturel, c'est-à-dire qu'il dévore pour se nourrir.
 

L'abondance règne dans la maison du Petit Chaperon Rouge; et l'enfant, qui a dépassé l'angoisse orale, est heureuse de partager cette abondance en apportant des victuailles à sa grand-mère. Pour l'héroïne, le monde qui s'étend au-delà des limites de la maison familiale n'est pas un désert menaçant où l'enfant est incapable de trouver son chemin. A peine sortie de sa maison, le Petit Chaperon Rouge trouve un chemin bien tracé et sa mère lui dit de ne pas s'en écarter.
 

Le Petit Chaperon Rouge quitte volontiers sa maison. Le monde extérieur ne lui fait pas peur, elle en apprécie même la beauté; mais il contient un danger. Si ce monde, qui déborde la maison et le devoir quotidien, devient trop séduisant, il peut l'inciter à revenir à une façon d'agir conforme au principe de plaisir - que le Petit Chaperon Rouge, supposons-nous, a abandonné grâce à ses parents qui lui ont enseigné le principe de réalité -et l'exposer alors à des rencontres destructives.
 

Cette situation périlleuse, à mi-chemin entre le principe de plaisir et le principe de réalité, est explicitée quand le loup demande au Petit Chaperon Rouge ce que l'on doit faire qu'exprimait la mère au début de l'histoire en faisant la leçon à sa petite fille : « Sois bien sage en chemin... Et puis, dis bien 'bonjour en entrant et ne regarde pas d'abord dans tous les coins! » La mère sait donc que le Petit Chaperon Rouge est encline à musarder hors des sentiers battus et à fouiner dans les coins pour découvrir les secrets des adulte
 

Le conte, sous une forme symbolique, précipite la petite fille dans les dangers que représentent les conflits oedipiens pendant la puberté, puis il écarte d'elle ces périls, de telle sorte qu'elle sera désormais capable de mûrir libre de tout conflit. Tout se passe comme Si le Petit Chaperon Rouge essayait de comprendre la nature contradictoire du mâle en expérimentant tous les aspects de sa personnalité : les tendances égoïstes, asociales, violentes, virtuellement destructives du ça (le loup) et les tendances altruistes, sociales, réfléchies et tutélaires du moi (le chasseur).
 

Le Petit Chaperon Rouge est universellement aimée parce que, tout en étant vertueuse, elle est exposée à la tentation; et parce que son sort nous apprend qu'en faisant confiance aux bonnes intentions du premier venu, chose qui est fort agréable, on risque en réalité de tomber tout droit dans un piège.
 

Tout au long du conte, et dans le titre comme dans le nom de l'héroïne, l'importance de la couleur rouge, arborée par l'enfant, est fortement soulignée. Le rouge est la couleur qui symbolise les émotions violentes et particulièrement celles qui relèvent de la sexualité. Le bonnet de velours rouge offert par la grand-mère à la petite fille peut ainsi être considéré comme le symbole du transfert prématuré du pouvoir de séduction sexuelle, ce qui est encore accentué par le fait que la grand-mère est vieille et malade, trop faible même pour ouvrir une porte.
 

Le nom de Petit Chaperon Rouge marque l'importance que prend cette caractéristique de l'héroïne dans l'histoire. Elle est trop petite, non pas pour porter la coiffure, mais pour faire face à ce que symbolise le chaperon rouge et à ce qu'elle s'engage à faire en le portant.
 

Le danger qui menace la petite fille, c'est sa sexualité naissante, car elle n'est pas,encore assez mûre sur le plan affectif. L'individu qui est psychologiquement prêt à vivre des expériences sexuelles peut les maîtriser et s'enrichir grâce à elles. Mais une sexualité pré-maturée est une expérience régressive, qui éveille en nous tout ce qui est encore primitif et menace de nous déborder. La personne immature qui n'est pas encore prête pour la vie sexuelle mais qui est livrée à une expérience qui éveille de fortes émotions sexuelles revient à des procédés oedipiens pour affronter ces expériences.
 

Elle croit qu'elle ne peut triompher en matière sexuelle qu'en se débarrassant de ses rivaux plus expérimentes, comme le fait le Petit Chaperon Rouge en donnant au loup des indications précises qui lui permettront d'aller chez la grand-mère. Mais en agissant ainsi, elle montre aussi son ambivalence. Tout se passe comme Si elle disait au loup : « Laisse-moi tranquille; va chez grand-mère, qui est une femme mûre; elle est capable de faire face à ce que tu représentes; pas moi. »
 


Le Petit Chaperon Rouge extériorise les processus internes de l'enfant pubertaire le loup personnifie la méchanceté de l'enfant quand il va à l'encontre des exhortations de ses parents et s'autorise à tenter ou à être tenté sexuellement. S'il s'écarte du sentier que ses parents ont tracé pour lui, il connaît la « méchanceté », et craint qu'elle ne le dévore, lui et celui de ses parents dont il a trahi la confiance. Mais, comme le dit la suite de l'histoire, on peut ressusciter de cette « méchanceté».
 

Le Petit Chaperon Rouge doit être délivrée du ventre du loup comme s'il s'agissait d'une césarienne, ce qui est une façon de suggérer l'idée de grossesse et de naissance. Des associations sexuelles sont ainsi évoquées dans l'inconscient de l'enfant. Comment le foetus arrive-t-il dans le ventre maternel? se demande l'enfant, et il décide que cela ne peut avoir lieu que si la mère absorbe quelque chose, comme l'a fait le loup.
 

La justice du conte de fées veut que le loup subisse le sort qu'il a essayé d'infliger aux autres : son avidité orale l’ amène a se détruire lui-même. Le conte a une autre bonne raison de ne pas faire périr le loup au moment où on lui ouvre le ventre c est que ce conte de fées, comme tous les autres, doit mettre l'enfant à l'abri de toute angoisse inutile. Si le loup mourait de sa « césarienne », les auditeurs pourraient croire que l'enfant tue sa mère en sortant de son corps. Mais Si le loup survit à l'opération et ne meure que parce qu'on a rempli son ventre de lourdes pierres, il n'a aucune raison d'être angoissé à propos de la naissance.
 

Le Petit Chaperon Rouge et sa grand-mère ne meurent pas vraiment, mais, ce qui est certain, c'est qu'elles  renaissent ». La renaissance qui permet d'accéder à un stade supérieur est l'un des leitmotive d'une immense variété de contes de fées. Les enfants (et également les adultes) doivent pouvoir croire qu'il leur est possible d'atteindre un stade supérieur d'existence s'ils maîtrisent les étapes de développement qu’ il exige.
 

Après avoir été plongée dans la profondeur des ténèbres, (dans le ventre du loup), le Petit Chaperon Rouge est prête à apprécier une nouvelle lumière, à comprendre mieux les expériences émotionnelles qu'elle doit maîtriser, et celles qu'elle doit éviter, pour ne pas se laisser engloutir par elles. Grâce à des histoires, du genre du Petit Chaperon Rouge, l'enfant commence à comprendre  du moins à un niveau pré-conscient- que seules les expériences qui nous dépas-sent éveillent en nous des sentiments correspondants auxquels nous ne pouvons faire face. Une fois que nous sommes parvenus à maîtriser ces derniers, le loup ne nous fait plus peur.
 

Il fallait que la petite fille, pour atteindre un état supérieur d'organisation de sa personnalité, dévia pour un moment du droit chemin par défi envers sa mère et son surmoi. Son expérience l'a convaincue qu'il est dangereux de céder aux désirs oedipiens. Elle a appris qu'il vaut beaucoup mieux ne pas se révolter contre la mère, ni essayer de séduire ou de se laisser séduire par les aspects encore dangereux de l'homme. Mieux vaut, malgré les désirs ambivalents, compter pour quelque temps encore sur la protection que peut assurer le père quand il n'est pas vu sous son aspect de séducteur. Elle a compris qu'il est préférable d'installer plus profondément et d'une façon plus adulte dans son surmoi le père, la mère et les valeurs qu'ils représentent, afin de pouvoir affronter avec succès les dangers de la vie.
 

Le conte de fées porte en lui la conviction de son message; il n'a donc pas à imposer au héros une façon de vivre particulière. On n'a donc pas besoin de nous dire ce que fera le Petit Chaperon Rouge dans l'avenir. Grâce à son expérience, elle sera capable de se déterminer toute seule. Sa sagesse à l'égard de la vie et des dangers auxquels ses désirs peuvent l'exposer est transmise à tous les auditeurs.
 
 
 
 

Pour d' autres points de vue
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Cendrillon
 
 
 

L'histoire de Cendrillon, telle que nous la connaissons, nous semble être bâtie autour des angoisses et des espoirs qui forment le contenu essentiel de la rivalite fraternelle; et autour de l'héroïne triomphant de ses soeurs qui l'ont avilie. Bien avant que Perrault ne donne à Cendrillon la forme sous laquelle elle est plus connue, « vivre parmi les cendres » était une expression qui s'appliquait symboliquement à celui, ou à celle qui occupait une position très inférieure par rapport à ses frères et soeurs.
 

Aucun conte de fées ne traduit mieux que Cendrillon, dans toutes ses versions, les expériences vécues par le jeune enfant en proie aux affres de la rivalité fraternelle, quand il se sent désespérément surclassé par ses frères et soeurs. Cendrillon est écrasée et avilie par ses demi-soeurs; sa (belle-) mère la sacrifie pour elles; on exige d'elle les corvées les plus sales, et bien qu'elle les accomplisse parfaitement, on ne reconnaît pas ses mérites : au contraire, on lui en donne davantage. C'est ce que ressent l'enfant quand il est ravagé par les supplices de la rivalité fraternelle. Cendrillon séduit tout autant, ou presque, les garçons que les filles parce que les enfants des deux sexes souffrent de la rivalité fraternelle et ont le même désir d'échapper à leur position inférieure et de surpasser ceux qui semblent supérieurs à eux.
 

A certaines périodes de leur vie - et elles ne sont pas rares - tous les enfants croient qu'à cause de leurs désirs secrets, sinon de leurs actions clandestines, ils méritent d'être dégradés, exclus de la société des autres, relégués au rang le plus vil. Ils éprouvent toutes ces craintes sans tenir compte de leur situation réelle, qui est sans doute favorable. Ils détestent et redoutent les autres (leurs frères et soeurs, par exemple) et croient qu'ils sont incapables d'être aussi mauvais que lui; ils ont peur d'être découverts tels qu'ils sont (dans leur esprit) et de subir le sort de Cendrillon.

Mais comme ils veulent que les autres, et surtout leurs parents, croient en leur innocence, ils sont heureux de savoir que tout le monde croit en celle de Cendrillon. C'est une des raisons pour lesquelles ce conte plaît tant aux enfants; ils espèrent que, étant donné que l'on croit à la bonté de Cendrillon, on aura envers eux la même attitude. Cendrillon entretient cet espoir. ce qui est une raison supplémentaire pour l'aimer.
 

La Cendrillon des frères Grimm immédiatement après qu'on nous a parlé de l'arbre et de l'oiseau qui comblent les désirs de Cendrillon, nous apprenons que le roi donne une grande fête de trois jours pour que son fils puisse se choisir une fiancée. Cendrillon supplie qu'on la laisse aller au bal. Devant son insistance, la marâtre lui dit qu'elle a versé un pot de lentilles dans les cendres; Cendrillon a deux heures pour les remettre dans le pot, après quoi, elle pourra aller au bal. C'est le genre de tâches apparemment impossibles que les héros des contes de fées doivent accomplir.
 

Dans le conte de Perrault, Cendrillon doit également accomplir une tâche avant d'aller au bal. La marraine-fée lui dit qu'elle ira à la fête, rnais qu'elle doit d'abord aller chercher une citrouille au jardin. Cendrillon s'exécute sans savoir à quoi cela servira. C'est la fée, et non Cendrillon, qui évide la citrouille et la transforme en carrosse. Puis la fée dit à Cendrillon d'ouvrir une souricière et elle transforme en cheval chacune des six souris qui en sortent. De même, un rat est transformé en cocher; et, finalement, six lézards en laquais. Les guenilles de Cendrillon sont changées en habits rutilants et ses sabots en pantoufles de verre. Ainsi équipée, l'héroïne part pour le bal, mais elle a l’ordre de rentrer avant minuit, faute de quoi tout ce qui a été changé par magie reprendra sa forme première.
 

Elle est donc l'enfant prépubertaire qui n'a pas encore refoulé son désir d'être sale; et qui n'a pas encore pris en aversion les petits animaux furtifs, comme les souris, les rats et les lézards, et qui, devant une citrouille évidée, imagine qu'il s'agit d'un beau carrosse. Les souris et les rats hantent les endroits sombres et sales et volent les denrées, toutes choses qui sont chères à l'enfant. Inconsciemment ils éveillent également des associations phalliques, présageant l'arrivée de l'intérêt et de la maturité sexuels. En dehors de ces rapprochements phalliques, le fait de transformer ces animaux inférieurs, et même répugnants, en chevaux, en cocher et en laquais, représente une sublimation.
 

Ces détails semblent donc justes, à deux niveaux tout au moins; ils font voir ce qui tenait compagnie à Cendrillon dans les cendres au cours de son stade inférieur, et indiquent peut-être qu'elle avait des préoccupations phalliques; ils semblent montrer que cet intérêt pour la saleté et pour les emblèmes phalliques doit être sublimé tandis qu'elle évolue vers la maturité, autrement dit, qu'elle se prépare à accueillir le prince.
 

La Cendrillon de Perrault, qui s'est rendue au bal dans un carrosse tiré par six chevaux et accompagné de six laquais  doit partir avant minuit, faute de quoi elle se retrouvera dans son misérable accoutrement. La troisième nuit, elle fait moins attention à l'heure et, dans sa fuite éperdue pour échapper à la minute fatidique, elle laisse derrière elle une de ses pantoufles de verre.
 

En fuyant le prince, Cendrillon montre qu'elle veut être choisie pour ce qu'elle est vraiment et non pour ses atours somptueux. Elle n'appartiendra à son amant que si, l'ayant vue dans son état de dégradation, il n'en continue pas moins de la désirer. Mais il suffirait pour cela d'une seule apparition suivie immédiatement de la perte de la pantoufle. A un niveau plus profond, ses trois visites au bal symbolisent l'ambivalence de la jeune fille qui veut s'engager personnellement et sexuellement et qui, en même temps, a peur de le faire.
 

Ce n'est sans doute pas par hasard que Perrault a choisi des pantoufles de verre... Un petit réceptacle où une partie du corps peut se glisser et être tenue serrée peut être considéré comme le symbole du vagin. Et s'il est fait d'une matière fragile qui peut se briser si on la force, on pense aussitôt à l'hymen; et un objet qui se perd facilement à la fin d'un bal, au moment où l'amant essaie de s'emparer de sa bien-aimée, peut passer pour une image assez juste de la virginité, particulièrement quand l'homme dresse un piège pour s'en emparer. En fuyant, Cendrillon semble faire un effort pour protéger sa virginité.
 


Tout cela se comprend facilement. En écoutant l'histoire, on sent que la scène de la pantoufle symbolise la conclusion des fiançailles, et que Cendrillon est la fiancée vierge. Tous les enfants savent que le mariage est lié au sexe. Du temps où les enfants grandissaient à proximité des animaux, ils savaient que l'acte sexuel consiste pour le mâle à introduire son pénis dans la femelle, et les enfants d'aujourd'hui ne tardent pas à en être informés par leurs parents.
 

Le prince, en lui présentant la pantoufle, lui fait posséder vraiment à la fois la pantoufle et le royaume. Il lui offre symboliquement sa féminité sous la forme de la pantoufle d'or-vagin : l'acceptation par l'homme du vagin et de l'amour qu'il éprouve pour la femme est l'ultime validation, par l'homme, du caractère désirable de sa féminité.
 

Mais personne, pas même un prince de conte de fées, ne peut forcer une femme à accepter sa féminité; seule Cendrillon, finalement, peut le faire, aidée toutefois par l'amour du prince. Telle est la signification profonde de ce passage de l'histoire
« Elle sortit son pied du pesant sabot de bois et le chaussa de la pantoufle qui le moulait parfaitement. »
 

Au cours de la cérémonie de la pantoufle, qui cèle les fiançailles de Cendrillon et du prince, celui-ci la choisit parce que d'une manière symbolique, elle est la femme non castrée qui le soulage de son angoisse de castration qui empêcherait les relations conjuga-les d'être pleinement heureuses. Elle le choisit parce qu'il l'apprécie sous ses aspects sexuels « sales », parce qu'il accepte amoureusement son vagin représenté par la pantoufle, et parce qu'il approuve son désir du pénis, symbolisé par le petit pied qui se loge à l'aise dans la pantoufle-vagin.
 

C'est pourquoi le prince apporte la pantoufle à Cendrillon et c'est pourquoi elle y glisse son petit pied c'est en faisant cela qu'elle se reconnaît pour l'épouse qui convient au prince. Mais en enfonçant son pied dans la pantoufle, elle affirme qu'elle jouera, elle aussi, un rôle actif dans leurs rapports sexuels. Et elle donne aussi l'assurance qu'il ne lui manque, et qu'il ne lui manquera jamais rien; elle possède tout ce qui convient au prince, de même que son pied convient parfaitement à la pan-toufle.
 

Cendrillon détaille les étapes du développement de la personnalité indispensables à l'accomplissement de soi, et les présente à la manière des contes de fées, de telle sorte que n'importe qui peut comprendre ce qu'il doit faire pour devenir un être humain accompli.
 

Cendrillon guide l'enfant depuis ses plus grandes déceptions - les désillusions oedipiennes, l'angoisse de castration, la mauvaise opinion qu'il a de lui-même, calquée sur celle qu'il prête aux autres - jusqu'au moment où il développe son autonomie, où il devient sérieux dans son travail et où il atteint son identité positive. Cendrillon, à la fin de l'histoire, est effectivement prête à vivre un heureux mariage. Mais aime-t-elle le prince ? L'histoire ne le dit nulle part. Tout se termine au moment des fiançailles, quand le prince lui tend la pantoufle dorée, ou un anneau d'or dans certaines versions.Mais qu'a Cendrillon encore à apprendre? Quelles autres expériences sont nécessaires pour montrer à l'enfant ce qu'est le véritable amour?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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