SYNESTHESIE VECUE |
L'association
de plusieures modalités sensorielles a un impact énorme sur
le vécu quotidien, notamment dans deux aspects:
Sémantisation et techniques imaginatives dans la mémorisation d'un poême en une langue inconnue On lui
demande de mémoriser un poême en italien et on contrôle
cet apprentissage quinze ans plus tard (sans avertissement), il le reproduit
avec exactitude. Voici comment il a procédé.
Nel
mezzo del camin di nostra vita
"Nel - en allant verser ma cotisation j'ai rencontré
dans le couloir la danseuse Nelskaïa; "mezzo" je
suis viloniste, j'ai donc placé auprès d'elle un homme qui
joue du violon; près d'eux, des cigarettes "Delly", c'est pour "del";
à côté j'ai placé une cheminée "camin";
"di",
c'est une main qui désigne la porte; "nos" c'est
le nez ("noss"-nez en russe) un homme s'est fait coïncer le nez dans
une porte; "tra", il lève le pied pour franchir
le seuil; de l'autre côté il y a un bébé, c'est
vita, vitalité; "mi" j'ai placé
un juif qui dit "mi" (mauvaise prononciation de "nous"), "nous n'y sommes
pour rien"; "ritrovai", est une courneavec un tube
transparent qui disparaît; et une juive qui court en criant "vaï"
(c'est pour vaï). Elle court et voici qu'à l'angle de la Loubianka,
le père "per" passe en fiancre. Au coin de
la soukharevka un milicien se tient dorit comme un "I": "una".
A son côté je place une estrade sur laquelle danse Selva.
Mais pour ne pas qu'elle devienne silva, les tréteaux se cassent,
ce qui donne le son "è". Un os dépasse l'estrade et
pointe vers une poule "oscura". "Ché",
c'est peut-être una Chinois, Tché-chen (Che = ké,
avait été prononcé par erreur comme ché). Je
place près de lui ma femme, qui est Parisienne, la ritta,
c'est mon assistante Margarita;
"via", elle dit via,
votre en tendant la main; sait-on jamais ce qui peut arriver dans la vie,
on vide une bouteille de champagne et voici
"era", et
je vois un tramway et près du wattman une bouteille de champagne.
Dans le tramway, un juif en taleth lit "Chema Israël", c'est pour
"sma", et sa fille Rita. "Ahi"
c'est en yiddisch "aha"; je place dans le square un homme qui éternue
"aptchi!" et je vois apparaître les caractères hébreux
"a" et "h". Quanta, ici j'ai pris pour "quinte" un piano; pour moi
"a" est un son blanc, j'ai donc pris un piano avec des touches blanches...
Pour cela il a fallu me transporter à Torjok, dans ma chambre où
il y avait un piano. Je vois mon beau-père qui me dit "dir"=
à toi; le "a", je l'ai posé sur la table, et comme c'est
un son blanc, il s'est confondu avec la nappe blanche et je ne l'ai pas
remarqué.
"Qual era" c'est un homme à
cheval, avec une cape espagnole (cavalier), mais j'ai fait autre chose:
pour éviter les détails superflus, je transformai les jambes
de mon beau-père en une source (qual) d'où jaillissait
du champagne (era). "E" ,e faot èemser à Gogoé: "qui
a dit "è"? Bobtchinski ou Dobtchinski?.... Leur bonne voit une chèvre
(cosa) et lui dit: "Où vas-tu, imbécile? (dura)...."
(page 45)
Inférences: Réactions synesthésiques à l'écoute d'une voix "Votre voix est jaune et friable", disait-il una jour à L.S. Vygotski qui causait avec lui. "Il y a des gens qui parlent à plusieurs voix, ça fait une véritable symphonie, un bouquet....", disait-il une autre fois. "S. M. Eisenstein avait cette voix, c'est comme si une flamme, avec des vervures, avançait vers moi.... Je commence à m'intéresser à cette voix et voici que je ne comprends plus ce qu'il dit..." "Il y a aussi des voix instables, il m'arrive souvent de ne pas reconnaître une voix par téléphone, non seulement parce que l'écoute est mauvaise, mais parce que la voix de cette personne change 20, 30 fois au cours d'une journée... Les autres ne s'en rendent pas compte, mais moi je m'en aperçois. "L'assimilation d'un texte,
la réception des informations, qui pour nous consiste à dégager
l'essentiel et à le dépouiller du superflu, est pour (le
synesthète) une lutte pénible contre
les images qui le submergent (...), lui créent des obstacles, l'empêchent
de faire ressortir l'essentiel..." :
|