UV E 72b Langages informatiques et enseignement (P. Mendelsohn)

Expertise de CABRI GEOMETRE:

Corrigé type

Introduction

Les concepteurs ont appelé cet environnement d'apprentissage CABRI pour "CAhier de BRouillon Interactif". Un brouillon nous permet d'expérimenter différentes solutions d'un problème que ce soit lorsque nous écrivons un texte ou que nous résolvons un problème de physique ou de géométrie. En ce sens, il est une prothèse indispensable pour la mémoire de travail lorsque la tâche demande trop de ressources pour que le problème soit traitable par des moyens conventionnels. Une autre fonction de ce logiciel est de supporter la fonction d'externalisation de la pensée que remplissent les arbres de résolution. Ces derniers permettent à l'apprenant de représenter les différentes étapes de sa pensée et encouragent la constitution et l'utilisation de métaconnaissances (stratégies de résolution, planification etc). La feuille de brouillon, la fonction "historique" dont il est question plus bas, rempli cette même fonction dans CABRI.

1. Le programme et ses finalités

Deux point de vues sont possibles: le premier consiste à voir dans CABRI un micro-monde, le second un progiciel. Lorsqu'un apprenant est libre de "jouer" avec CABRI, celui-ci entre plutôt dans la catégorie des micro-mondes. Dans l'autre cas, l'enseignant veut surtout un système de représentation pour transmettre un concept de géométrie précis, par exemple la construction d'une parallèle. CABRI est alors utilisé comme un progiciel.
CABRI comme micro-monde
Cabri-Géomètre est un micromonde, c'est à dire un environnement d'apprentissage ouvert, dans la mesure où l'apprenant ne doit pas suivre un sénario préalablement établi. Il est orienté vers l'acquisition de connaissances générales, comme la planification et la coordination des sous-buts dans la construction d'une figure ou encore l'abstraction d'un invariant à partir de plusieurs occurences d'un phénomène. Un autre exemple d'un environnement de ce type est le langage LOGO.
Cabri comme progiciel
Toutefois, suivant l'usage qui est fait de Cabri, il peut également entrer dans la catégorie des progiciels qui sont des environnements ouverts mais visent l'acquisition de compétences propres à un domaine spécifique. On appelle ces compétences des expertises. Les compétences enseignées par CABRI sont propres à la géométrie: par exemple la construction d'une droite perpendiculaire à un segment, d'un cercle circonscrit, ou encore d'un lieu géométrique (le cercle circonscrit est d'ailleurs un lieu géonétrique).
En conclusion, Cabri pourrait etre définit comme système hybride ou Intelligent Learning Environnement car il présente un certain nombre de caractéristiques qui sont liées à un système qui mélange les différents genres En plus des deux catégories citées, on peut en effet aussi mentionner le système d'aide dont est doté CABRI et qui apparente ce logiciel à un tutoriel.

2. Activité de l'élève

Pour évoluer dans CABRI-GEOMETRE, l'élève doit disposer d'un nombre relativement important de prérequis. En effet, les actions qu'il va pouvoir mettre en oeuvre font appel à des concepts géométriques (médiatrice, segment, bissectrice), ainsi qu'à des schèmes d'action (comment fait-on pour tracer une médiatrice). Dans certains cas, le système prendra en charge les actions mais celles-ci ne seront pas toujours clairement explicitées. Pour comprendre l'évolution des objets construits à l'écran, l'élève devra également faire appel à des images mentales ou des connaissances sur l'espace. Ainsi, lors de la déformation ou modification d'un triangle, il devra pouvoir comprendre pourquoi certains points disparaissent lorsqu' un des angles devient obtus.

D'une manière générale, l'élève pourra difficilement évoluer seul dans ce type de logiciel. Il lui faudra le support d'un énoncé donné par un enseignant et à partir duquel il réalisera des activités pédagogiques de type reproduction (il devra reconnaître les éléments de l'énoncé ou chercher à imiter un résultat), de conceptualisation (il devra identifier les éléments à partir desquels construire de nouveaux éléments), et d'application (reproduction de consignes).

Si en plus de l'énoncé, l'élève bénéficie du support de l'enseignant, il pourra alors mettre en oeuvre, à la demande de ce dernier, des activités d'exploration, de mobilisation, voire de résolution de problème.

Le modèle de l'apprentissage sous-jacent à ce type d'environnements est un modèle constructiviste. Selon cette approche, 1) les connaissances sont organisées selon leur niveau d'abstraction et de complexité et 2) les connaissances d'un niveau supérieur reprennent en les intégrant les connaissances du niveau directement inférieur. J. Piaget a décrit ce type de passage et de développement dans sa théorie des stades. Une autre idée à la base du constructivisme est que l'enfant acquiert ses connaissances à travers l'interaction qu'il a avec l'environnement. L'apprentissage est donc un apprentissage par découverte qui a lieu dans une activité exploratoire de l'enfant. Caricaturalement, si l'on met un enfant de 5 ans devant CABRI-Géomètre et qu'on le laisse découvrir l'univers des possibles que ce ce logiciel rend accessible, il reconstruira la géométrie Euclidienne tout seul en commençant par découvrir ce qu'est un point, un ligne, puis un plan.

Deux fonctionnalités intéressantes de CABRI-GEOMETRE permettent de modifier l'environnement dans ce sens. D'abord, la possibilité de modifier les menus à disposition de l'apprenant. Ensuite la possibilité de construire des "Macro-Constructions" qui sont la compilation d'une séquence d'actions. L'enseignant peut ne laisser à l'apprenant que les commandes élémentaires comme dessiner un point, une ligne et un cercle (menu création) et supprimer les fonctions du menu construction (mileu, médiane, médiatrice, etc.). Le but pour l'élève est alors de construire lui-même un langage plus puissant en réalisant des macro-commandes qui réalisent une médiane ou une médiatrice.

Pour Piaget la construction des connaissances consiste à repérer des invariants dans l'environnement, les internaliser sous forme de structures opératoires et finalement diriger et contrôler nos actions et notre pensée avec ces structures . La possibilité de faire bouger une figure et d'observer le mouvement des autres points qui en dépendent (faire bouger le sommet d'un triangle et voir que l'intersection des hauteurs est un lieu géométrique) est une fonctionnalité de CABRI qui va dans le sens de la construction d'un invariant.

3. Aides à l' apprentissage

Il existe plusieurs types d'aides dans CABRI.
Les aides associées aux fonctions d'édition
Les fonctionnalités "aspect des objets", "nommer", "agrandir la figure" et "montrer la feuille" sont des outils qui permettent de mettre de l'ordre dans un dessin devenant trop chargé. Il est nécessaire de nommer les objets construits sans quoi les mesures et autres fonctionnalités feront intervenir des noms arbitraires.

Les aides à la planification de la tâche: Historique, Session et Enoncé
Ces trois fonctions du menu "Divers" permettent de garder une trace des sessions précédantes, de voir la trace et l'état de la session courante. L'historique peut être intéressant pour un enseignant qui voudrait vérifier le cheminement d'un élève en difficultés. La fonction énoncé permet à l'enseignant d'attacher des commentaires aux objets d'un exemple.

Les Aides classiques on-line
Pour les fonctions "compliquées", comme par exemple la construction d'une macro-commande, le système met à disposition un petit texte explicatif sous forme de définition (logique du fonctionnement). Le pas suivant serait d'implémenter un assistant (wizard) qui accompagne l'apprenant dans sa construction (logique de l'utilisation).

Les aides à la conception: calculer et vérifier une propriété
Le menu "Divers" contient aussi des outils qui s'adressent à l'élève comme à l'enseignant. Sous "Calculer", l'élève peut effectuer un certain nombre de calculs qui peuvent l'aider à se rendre compte de certaines propriétés d'une figure (par exemple la distance des sommets d'un triangle au barycentre est constante pour un triangle équilatéral, ou encore une symétrie axiale conserve les angles). La rubrique "Vérifier une propriété" est une manière qualitative de "mesurer" des caractéristiques d'une figure. Le système donne une réponse binaire après avoir lui-même effectué la mesure.

Par exemple, la perpendicularité est équivalente à un angle de 90°. On peut imaginer qu'un élève fasse successivement une mesure (angle = 90°) et une vérification de propriété (les deux droites sont perpendiculaires). Ces deux expression d'une même réalité seront alors associées et le mot "perpendiculaire" remplacera "avec un angle de 90°". Ce passage est également interprétable selon une orientation constructiviste.

La seule intervention du système observée consiste à proposer de bouger la figure lorsque l'on vérifie une propriété de longueurs égales. En effet, si les longueurs de deux segements sont égales (par hasard), le système montre, en déplaçant un point, que ce n'est pas toujours le cas.

4. Rôle du maître

Le role du maitre est essentiel. Sans lui, il parait bien difficile de découvrir seul les définitions et de comprendre les règles de géométrie. CABRI géomètre peut aussi le soulager de la lourde tache de la représentation de son discours sous forme de dessin. Qui ne se souvient de l'équerre, du rapporteur et même du compas en bois dimension tableau noir que les instituteurs devaient maintenir à l'aide de leurs trente-six mains pour construire un cercle passant par tel ou tel point - qui n'y passait jamais - d'ou la difficulté de justifier son discours. Même à l'ère du rétroprojecteur, la précision de l'ordinateur facilite la vérification de certaines règles. Le logiciel permet aussi de sauter l'étape (dorénavant dépassée) de l'enseignement de la manipulation des instruments de construction, par exemple construire deux parallèles à l'aide d'une règle et d'une équerre.

Plus que dans l'exposé de la théorie, CABRI géomètre pourrait être utile à l'enseignant pour l'élaboration d'exercices, soit pour poser des problèmes à résoudre, et dans ce cas il pourrait préparer un document avec des objets pré-dessinés par lui, soit sur la base d'un document écrit, pour faire réaliser à l'élève les constructions dont il se sert pour vérifier une théorie ou pour qu'il apprenne par imitation le déroulement d'une action.

Les activités scolaires pouvant être soutenues par CABRI-Géomètre sont par exemple la démonstration et l'expérimentation des caractéristiques d'un triangle. (Somme des angles = 180 °). Avec les macro-commandes il est aussi possible de faire programmer des transformations géométriques aux élèves comme la symétrie, l'homothétie ou la rotation. Les activités varient selon le niveau scolaire. Elles débutent par la construction d'une médiane et aboutissent à la construction d'un hypocycloïde. Un usage raisonnable consisterai à utiliser CABRI en tant que "cognitive tools" plutôt que comme environnement purement expérimental. Il servirait dans ce cas à représenter dynamiquement des propriétés ou des concepts autrement difficiles à faire comprendre.

5. Intérêts et Limites

L'intérêt de ce programme réside dans la dynamique des représentations qui sont créées. L'élève peut, en effet, créer des figures, les faire évoluer et voir ainsi évoluer leurs propriétés. Ce programme est intéressant dans la mesure où il fait appel à des types de connaissances variés comme nous l'avons vu plus haut.

Les limites résident dans le fait que l'élève, seul, aura du mal à l'utiliser (manque de motivation peut-être). La qualité du programme dépend donc pour beaucoup de l'investissement du maître. D'autre part, les limites de ce logiciel sont liées à l'absence de connaissances déclaratives (l'élève doit faire appel à ses propres connaissances, celles que le maître lui aura enseignées) et au manque d'éléments pertinents de généralisation. Nous l'avons vu que les feedbacks n'apportent pas beaucoup d'élément d'information à ce sujet. Il manque également quelques formules (le calcul d'une aire par exemple). Pour terminer, on peut mentionner la non-flexibilité du système de quadrillage. Celui-ci est en définitive peu précis. En résumé:
Qualités
- environnement ouvert qui peut être modifié selon les besoins;
- facilité d'utilisation à différents niveaux;
- peut être proposé à un public qui va des primaires au collège;
- un nombre minimum de commandes permet de créer un nombre infini de figures;
- possibilité de sauver la session d'un élève dans un fichier afin d'en évaluer les procédures et non seulement le résultat final.

Défauts
- pas de gestion de calcul (aire ABC - aire ABD,...);
- pas possible de pré-enregistrer les macros à travers les préférences;
- utilisation d'une seule modalité de controle (menus), il serait plus intéressant d'avoir une barre d'icônes avec les constructions disponibles et des raccourcis claviers pour différentes constructions de base;
- l'ouverture et le manque d'instruments de controle objectifs ne permet pas à l'élève de travailler seul.

6. Prolongements:

Il serait intéressant de pouvoir construire des macro-commandes pour les calculs. Peut-être qu'une extension vers la géométrie descriptive et un "preview" en 3 dimensions serait un prolongement cohérent avec le programme scolaire de géométrie "dessinée". Il faut entendre par là que la géométrie analytique est plus du ressort de l'algèbre. Toutefois il serait intéressant de pouvoir écrire la formule d'une droite ou d'un cercle sous la forme y=ax + b et de voir les valeurs que prennent ces paramètres lorsqu'on bouge la droite sur un brouillon interactif. L'environnement servirait alors de représentation visuelle pour un apprentissage mathématique.

Une aide conçue dans une logique de l'utilisation pourrait être utile pour la construction de figures complexes. Nous avons utilisé une marche à suivre sur papier mais pourquoi ne pas l'implémenter sous forme d'assistants. Un autre rôle de ces assistants serait éventuellement de poser des problèmes en rapport avec les erreurs de l'apprenant. Mais ce serait là faire un ITS d'un micro-monde ce qui demanderait bien plus de travail qu'une simple amélioration.

Un hypertexte regroupant la théorie et les théorèmes pourrait compléter CABRI et le rendre utilisable en dehors d'un cours de géométrie où c'est l'enseignant qui détient le savoir.

De manière plus énumérative, on pourrait aussi penser à ajouter les fonctionnalités suivantes:
- ajouter un petit module de calculs;
- développer son coté didacticiels en permettant à l'élève de charger des exemples en rapport avec le problème à résoudre à l'aide d'un menu;
- ajouter un petit langage de commande pour controler certaines propriètès des objets afin de donner à l'élève un feed back sur son activité (surtout s'il travaille seul);
- développer son cotŽ tutoriel, on pourrait revoir l'idée de l'historique: l'enseignant peut créer des solutions de problèmes que l'élève peut suivre pas à pas; toutefois, en plus d'une petite description des différents passages (a1 = point quelconque, b = droite passant par a1,....) l'enseignant pourrait inscrire un commentaire sur la procédure choisie;
- prévoir un système de navigation entre les documents qui donne la possibilité à l'élève de choisir un parcours d'apprentissage;
- augmenter la quantité de mots que l'on peut écrire dans les aides et dans la présentation du problème.