L'élaboration de rôles narratifs et de processus narratifs qui les définissent n'est qu'un précodage selon Bremond. Ces listes présentées dans les figures 3 et 4 ne constituent que la majeure partie du lexique dont on a besoin pour analyser l'intrigue d'un récit particulier. En ce qui concerne l'analyse d'un récit concrèt, le travail de l'analyste commence en effet par l'identification des processus d'action. Ces éléments (noms de fonctions) sont identifiés avec un dictionaire comme celui qui se trouve à fin du livre de Bremond (73) ou celui qui est présenté dans la fig. 4. Dans une même étape il faudra également isoler d'autres éléments qui qualifient un processus narratif. La deuxième étape de l'analyse consiste à lier les processus d'action (et leurs éléments connectés) par des relations syntaxiques.
Les trois catégories théoriques d'analyse les plus importans: le rôle, le processus narratif et les phases de processus narratif sont fortement interdépendants. Comme nous l'avons vu ils se définissent mutuellement. En conséquence lors de l'analyse du récit il suffit de se concentrer sur l'un d'eux, la phase du processus narratif, qui toutefois lors de l'analyse, est aussi appelé "processus d'action" pour désigner le fait qu'il contient un prédicat d'action. La structure du résultat d'une analyse peut suivre d'assez près la séquence linéraire du racontant, mais elle est parfois (comme on vu dans la petite section précedente) très hiérarchisée et même paralellisée. Malgré ces complications Bremond prétend pouvoir saisir un récit, c'est-à-dire, l'essence d'une structure narrative en appliquant la liste suivante au contenu du raconté. Cette liste exprime les catégories d'une proposition narrative élémentaire. Elle est utilisé comme "tête de formulaire" pour coder la structure d'un récit.
.row a)lien@syntaxique b)processus@d'action c)Phase@du@proc. .crow d)volition e)nom@des@pers. .row (ex.@actualisation) (ex.am\'elioration) (\'eventuel, .crow (volontaire, agent@@patient .row " " " " en@acte,effective) involontaire) .row .row " " | .row " " | codage .row " " | .row " " v
Pour coder un texte il faut d'abord être capable d'identifier les éléments (b)-(e) de ce "formulaire". Ces éléments permettent de définir en termes plus formels une proposition narrative (et donc aussi la bonne identification du predicat d'action d'un processus). Répétons que les composantes suivantes sont codifiées d'un processus d'action: Le type de processus (son "nom"), la phase de processus, la volition et l'identification de l'agent et du patient. Je discuterai brièvement l'utilisation de ces éléments analytiques dans le processus de codification. Pour le codage d'un récit Bremond propose des abbréviations pour la plupart des catégories à coder. Je les utiliserai dans une forme légèrement modifiée. Examinons maintenant son langage de codification.
(1) Un processus d'action (le "nom" d'une fonction) est identifié à l'aide d'un lexique prédéfini. Brémond résume le sien à la fin de son ouvrage de 1973. Ce lexique correspond plus ou moins à la fig.4 ("Bremond: l'inventaire des processus d'action") que je viens de présenter plus haut. L'auteur admet que cette liste est encore incomplète, et mériterait d'être raffinée. Revenons brièvement sur la manière dont elle a été constituée. D'abord elle a été dérivée logiquement et donc considérée universelle. Deuxièmement elle est dégagée de la discussion des rôles narratifs et aussi de la définition de la structure du processus narratif. Ceci fait que Brémond doit indirectement présupposer "une métaphysique des facultés de l'être humain" car la liste des processus est une derivée d'une hierarchie de "prédicats anthropomorphes" (cf. Bremond 73:314). Selon Bremond cette métaphysique est juste et appropriée. "La structuration de l'intrigue en termes de rôles repose sur la notion de fonction; mais la fonction se définit comme la signification prise par un événement dans son rapport à une finalité (qu'il sert ou dessert); or un foyer de finalité immanent à l'intrigue n'apparait que lorsqu'un sujet y recoit les attributs d'une personne" (Bremond 73:329). Cette affirmation est toute à fait juste, mais elle peut impliquer d'autres conséquences que celles qui en tire Bremond. Par exemple pourquoi ne pas inclure explicitement les finalités (buts) dans le codage? En pratique maintenant l'utilisation du lexique est difficile lorsqu'on ne sait pas comment les processus ont été dérivés. Dans les cas incertains il faut utiliser l'indice fourni par Bremond pour dégager la signification et les possibilités d'une fonction. Les questions principales que le codeur doit se poser sont les suivantes: A quoi sert une action observée dans un texte? Quel est son apport pour le développement de l'intrigue, et notamment pour les buts fonctionels des participants? Est-ce que je peux trouver des processus correspondants dans le lexique? Dans quelles phase se trouvent-ils?
(2) Les identités (noms de personnes) des agents et des patients sont relativement faciles à identifier. Dans certains cas plusieurs acteurs remplissent le rôle d'agent ou de patient, ou encore l'agent est égal au patient (comme dans l'exemple "La Suisse essaye de se protéger"). La situation où un agent (un patient) manque pose des problèmes. La colonne de la grille d'analyse de l'agent reste vide pour "La Suisse est agressée"; il n'y a pas d'agent identifiable. Bremond distingue un autre cas particulier, celui de la mise en oeuvre d'un processus narratif où il n'y a pas de patient, comme dans "La Suisse fait des efforts ..[pour convaincre les gens d'adhérer à l'ONU]". Cette phrase contient deux processus. Le deuxième (entre "[...]") est induit par le premier.
(3) Le codage de la phase du processus pose des problèmes encore plus délicats. Les trois étapes du développement forment le triplet familier éventualité (=EV), actualisation (=ACT) et éffectivité (=EFF). Dans le cas d'un processus continue et terminé le codage ne pose pas de problèmes, mais il y a des cas plus difficiles. D'abord le maintien à l'état de virtualité d'un processsus éventuel est codifié avec le symbole NON-ACT. Le symbole NON-EFF correspond à la non-réussite, à l'insuccès d'un processus en cours. Le symbole NON-EV définit le cas très particulier de la pseudo-tâche. A la fin Bremond propose également de coder les décisions de poursuivre une action (=PERSEV) ou d'y renoncer (=INTER). Le temps relatif (que je codifierais sous une autre variable) est également marqué dans la même colonne si c'est nécessaire. Dans le cas, où un processus se déroule dans le temps "normal" il n'est pas nécessaire de le codifier. Les différents futurs relatifs au temps principal sont notés par "t+n", "t+n+n", etc. Il est utile de codifier un futur relatif pour les cas des processus tel que les promesses ou les prédictions. Les différent passés relatifs notés par "t-n", "t-n-n", etc., sont nécessaires pour indiquer les références dans le passé comme dans les cas des explications ou justifications.
(4) La volition par contre est relativement facile à coder, si on a réussi à bien identifier le type de processus. La volition d'une fonction est évaluée par rapport à un but. En général il est facile de voir si une action était volontaire (=VOL) ou non (=NON-VOL). Toutefois le caractère un peu ambigu de certains processus comme la dégradation par exemple (est-ce une action ou un événement) empêche souvent la codification de la volition. Brémond propose aussi des raffinéments pour cette catégorie comme le consentement (non nolo) et le rejet (nolo). Je pense en effet que cette catégorie pourrait être mieux élaborée. On pourrait y inclure également des critères de jugement d'utilité d'une action. Toutefois cette dernière dimension est déjà contenue dans la définition des phases de processus.
Figure 3.5: Les liens syntaxiques Bremondiens
(5) Les liens syntaxiques forment le "cerveau" d'une grammaire de récit. Ils permettent de mettre les processus d'action dans un ordre logique et temporel explicite et de dégager la forme de la structure narrative d'un récit. Les relations (liens ou connecteurs) syntaxiques sont parfois difficile à coder. Le fait que Bremond n'utilise ni une représentation formelle, ni une représentation graphique ne fait qu'aggraver le problème. Il est assez significatif que l'auteur dans Brémond (73) n'ait jamais codé un récit qui va au-delà de quelques processus d'action. Néanmoins les relations syntaxiques présentées dans la fig.5 ("les liens syntaxiques Bremondiens") sont intéressantes notamment pour les problèmes qu'elles soulèvent.
Les relations syntaxiques entre les processus d'actions sont également symbolisées par des abbréviations. Lorsqu'on a identifié un lien syntaxique on le note dans la première colonne de la grille d'analyse sur la ligne correspondant au conséquent de la relation. Ceci rappelle le fait qu'une relation est détectée à posteriori. En règle générale le nom du précédent (le nom du processus et son indexe) est également inscrit après le symbole pour la relation. Voici un exemple:
proposition: "l'election de X est une défaite pour la Suisse"
.row syntaxe processus phase volition agent patient .row .row ---- am\'elioration-1 EFF VOL X ---- .row EFFET: .row am\'elioration-1 d\'egradation-1 EFF ---- ---- SuisseDéjà ce petit exemple montre qu'il est extrèmenent difficile de déterminer comment remplir ces colonnes. Le lecteur qui essayera de codifier lui-même cette proposition découvrira probablement qu'il y a une multitue de codifications possibles.
Figure 3.6: Le lexique de codage de Bremond
Nous nous proposons de discuter ici brièvement les liens syntaxiques dont la dérivation logique est montrée dans la fig.5 ("les liens syntaxiques Bremondiens"). Comme chaque phase du processus d'action est une fonction autonome, Brémond traite les liens inter- et intra-processus quasiment de la même manière. (a) Une première relation syntaxique, l'actualisation, marque le passage d'une phase éventualité à la phase d'actualisation (=ACTU). La terminaison (=TERME) indique le passage au résultat. (b) Les relations chronologiques sont les relations narratives minimales, de l'avis de tous les auteurs. A défaut de lien plus spécifique Brémond distingue la simultanéité (=SIMUL) et la postériorité (=POST) qui sont codés au défaut d'un lien plus étroit. (c) Un processus B peut être causé (=EFFET) par un processus actuel ou achevé A. Si un processus B est un moyen pour un processus A éventuel ou actuel, il constitue un cas particulier, que l'on codifiera MOYEN. (d) Un processus B peut être une information manipulée par un processus A. Cette relation de CONTENU se trouve par exemple dans les fonctions d'interdiction, de conseil ou de l'exitation de désir. Bremond ajoute le cas spécial de l'hypothèse (=HYP) qui évoque le problème tres connu parmis les chercheurs de la difficultué de codifier les actions réflexives internes des acteurs. Les processus comme la négotiation soulèvent également le problème de la codification de la communication verbale entre acteurs du récit. (e) Un dernier cas concerne les formulations équivalentes d'un même événement par deux processus distincts ayant une autre signification. Les exemples du cas de l'adoption d'une loi qui peut engendrer ou des restrictions sur les agissements de quelqu'un ou lui permettre de faire quelque chose, et du cas, où une dégradation signifie un même temps l'éventualité d'une protection, sont des relations d'implication (=VEL). Le complément (=COMPL) permet de codifier le fait que des processus comme neutralisation et obtention gouvernent des processus de prestation et d'obstruction. Cette breve présentation des liens syntaxiques de Brémond nous permet maintenant de discuter le codage d'un petit récit. L'utilité du système de codage et de l'approche de Bremond en general sera discutée à travers cet exemple et dans le dernier paragraphe de cette section.