EIAO et Psychologie Cognitive

 

 

Patrick Mendelsohn

 

Résumé

Cet article est une réflexion sur les principales questions qui fondent l'approche pluridisciplinaire en EIAO. Je voudrais tenter de répondre ici aux questions que nous nous posons souvent: la conception et la réalisation d'environnements d'apprentissage représentent-elles une contribution majeure aux disciplines qui s'en réclament ? Avons-nous réellement progressé dans notre compréhension des processus d'acquisition des connaissances ? Y a-t-il des objets de recherche propres à l'EIAO ou bien nous contentons-nous de projeter nos concepts disciplinaires dans les modèles de nos partenaires ? Pour répondre à ces questions, je proposerai un certain nombre de réflexions sur les différences qui existent entre les démarches scientifiques propres à chacune des disciplines impliquées dans le champ de l'EIAO (Intelligence Artificielle, Didactique, Psychologie Cognitive et Sciences de l'Education). A cette occasion, je mentionnerai les problèmes que ces différences engendrent à chaque étape du développement d'un système. Je profiterai aussi de cette présentation pour aborder les principaux thèmes de recherche en psychologie qui sont concernés de près ou de loin par les recherches sur les environnements d'apprentissage et j'essaierai de montrer l'originalité des apports de la psychologie à la problématique de l'EIAO.

Mots Clés

EIAO; épistémologie; psychologie cognitive, interdisciplinarité, modèles.

Introduction

Si l'on considère globalement les rapports entre les différentes disciplines qui sont représentées dans le champ de l'EIAO (Intelligence Artificielle, Didactique, Psychologie Cognitive et Sciences de l'Education), il existe des différences notoires dans les modes de validation de la recherche, dans les objectifs poursuivis et dans le statut des travaux réalisés en EIAO pour chacune des disciplines de cette communauté. Ce fait n'est pas une nouveauté et il n'est pas dans mon propos de polémiquer sur la pertinence de ces différences ni sur une quelconque préséance que pourrait avoir une de ces disciplines dans notre communauté. Plus modestement, cet article propose un certain nombre de réflexions sur les différences qui existent entre les démarches scientifiques propres à chacune de ces disciplines. A cette occasion, je mentionnerai les problèmes que ces différences engendrent à chaque étape du développement d'un système. Je profiterai aussi de cette présentation pour aborder les principaux thèmes de recherche en psychologie qui sont concernés de près ou de loin par les recherches sur les environnements d'apprentissage et j'essaierai de montrer l'originalité des apports de la psychologie à la problématique de l'EIAO. Bien sûr, il ne sera fait état ici que du point de vue du psychologue sur ces problèmes et je laisse le soin à mes collègues de compléter ce tableau pour ce qui concerne leur vision de la collaboration pluridisciplinaire dans un tel projet. N'oublions pas les leçons de l'histoire: la communauté scientifique qui s'était retrouvée dans les années 80 autour du projet LOGO a succombé à une incapacité de transformer en véritable questionnement scientifique les problèmes théoriques qu'elle avait soulevés. Devrons-nous subir le même sort ?

Chronologie d'un projet EIAO

Pour rendre cet exposé plus concret, j'appuierai mon argumentation sur une collaboration pluridisciplinaire que nous menons depuis plus de trois ans dans notre équipe autour du projet MEMOLAB. Le plan de mon exposé reprendra chronologiquement les différentes phases de la réalisation de cet environnement. Bien qu'apparemment ce procédé puisse sembler peu original, je pense qu'il permet de poser correctement les problèmes de recherche pluridisciplinaire en les situant dans une perspective chronologique et dynamique. J'examinerai ainsi dans l'ordre:

- la phase de mise en place d'une équipe de recherche pluridisciplinaire: la collaboration entre chercheurs d'horizons différents n'est pas une mince entreprise en raison des différentes démarches scientifiques propres à chaque discipline. Ce sera pour moi l'occasion de faire le point sur les concepts de modèles, d'explication et de validation tels qu'ils me sont apparus au cours des discussions en groupe.

- la phase de conception d'un environnement d'apprentissage: c'est celle où l'équipe doit faire des choix sur les modèles et les conceptions relatives à l'acte d'enseigner, sur le contenu à transmettre et plus délicat encore sur la plate-forme de développement. Aucun de ces choix n'est vraiment innocent. Tous ont des implications théoriques et méthodologiques qui déterminent en grande partie le succès d'une telle entreprise.

- La phase de développement proprement dite pourrait être appelée la phase des compromis. On cherche à faire coller un schéma de référence (en général peu contraignant) avec une réalité matérielle qui a la particularité d'offrir de grandes résistances. Ces compromis incessants, dus aux contraintes d'implémentation, contraignent le chercheur à des choix d'un second type: comment concilier l'esprit et la lettre du projet initial ? Quelle extension donner au système ? Comment traduire dans les composantes du système les effets que l'on souhaite voir apparaître à l'interface ? etc.

- La phase de remise en cause: parallèlement à la phase de développement et en raison des difficultés que je viens de souligner, je placerai à ce niveau les questionnements de recherche et les «reconceptualisations» qui font partie du débat scientifique sans forcément être instanciables dans le système. Ce sont les questions du type: « s’il fallait recommencer, je ferais.... » ou encore les débats suscités par l'émergence de tel ou tel paradigme de recherche.

- Vient ensuite la phase de validation du système. Comment assurer un caractère scientifique au travail de développement d'un environnement d'EIAO ? Doit-on privilégier l'expérimentation in situ ou un travail de généralisation de l'architecture du système ? Sur ce thème, les différences entre les communautés impliquées en EIAO sont réelles. Les psychologues et dans une moindre mesure les pédagogues verront dans l'expérimentation une voie royale pour valider la pertinence de leurs modèles. Les informaticiens sont, quant à eux, en général plus enclins à opter pour la généralisation. Ils préfèrent développer, à partir du prototype, des langages de plus haut niveau pour spécifier des outils qui permettront d’engendrer des environnements qui auraient des caractéristiques similaires.

- Enfin, j'aborderai brièvement la phase de valorisation: publications, divulgation des travaux et diffusion du système (commercialisation, essais en grandeur nature...).

1. Mise en place d'une équipe de recherche pluridisciplinaire

Quand se met en place un groupe de recherche pluridisciplinaire autour d'un projet EIAO, les premiers contacts sont toujours enthousiasmants et euphoriques. Chacun ressent la présence des autres comme une possible ouverture thématique, une éventuelle solution aux problèmes qu'il se pose et, il faut bien le dire, comme une manière de valoriser ses propres travaux. Ce n'est que progressivement que les choses se gâtent. On découvre ainsi petit à petit que chaque discipline a sa propre démarche, ses modes de validation, ses conceptions plus ou moins partielles des processus d'acquisition des connaissances. Ces différents points de vue peuvent très rapidement se transformer en obstacles si l'on ne prête pas une attention suffisante à la mise en perspective des démarches propres à chacun. Je me risque donc à faire ce travail de clarification pour la psychologie cognitive et je me contenterai seulement d'évoquer mon point de vue personnel sur la contribution des autres disciplines en leur laissant le soin de compléter ce tableau.

Il s'agit donc ici de comparer à la fois les fondements de chaque discipline, ce qui fonde la démarche des chercheurs, et de mettre en parallèle la conception que chaque domaine a des principaux concepts utilisés en commun: en particulier, ceux de modèles d'apprentissage et ceux qui se réfèrent aux méthodes de validation. En première approche, on pourrait dire que chaque discipline contribue au projet en apportant:

- soit des connaissances sur les processus d'acquisition des connaissances qui sont propres à son objet de recherche, ces connaissances pouvant être des faits, des modèles, des théories;

- soit des démarches originales associées aux méthodes qu'elle utilise pour construire ces connaissances.

De manière caricaturale et sans mentionner pour l'instant des recouvrements possibles entre les champs disciplinaires, on peut avancer que 1) la psychologie cognitive contribue à l'étude des processus d'apprentissage en apportant des connaissances sur le fonctionnement du sujet psychologique, 2) les sciences de l'éducation apportent des connaissances sur les modes de régulation des interactions entre la situation d'enseignement et l'élève, 3) la didactique analyse la pertinence des savoirs enseignés et les conceptions implicites de l'apprenant et 4) l'intelligence artificielle propose des formalismes informatiques capables de représenter ces connaissances ainsi que de concevoir des systèmes interactifs.

1.1. La démarche de la psychologie cognitive: l'expérimentation

La psychologie cognitive est une science expérimentale qui privilégie l'observation contrôlée du comportement humain dans le but de construire des modèles du fonctionnement cognitif. Elle procède donc, comme toute discipline expérimentale, par un cycle récurrent "Modèle -> Hypothèses -> Expérimentation...". Le psychologue construit d'abord un modèle du fonctionnement cognitif (en général il part de modèles existants). Par exemple, il a de bonnes raisons de penser que les informations sont maintenues en mémoire par plusieurs processus de natures différentes (mémoire à court terme et mémoire à long terme). L'objet de ce modèle est d'établir les relations de dépendance ou d'indépendance entre composantes du système cognitif humain en fonction des conditions dans lesquelles un sujet donné est amené à fonctionner. Il cherche ensuite à valider son modèle en proposant une ou des hypothèses qui, une fois validées, ne contrediraient pas ses présuppositions. Pour l'exemple proposé, une bonne méthode consiste à faire l'hypothèse que certaines variables d'environnement affectent différentiellement les performances d'un sujet dans une épreuve de mémorisation. Il peut vouloir montrer que le fait d'intercaler une tâche de répétition de chiffres entre la phase d'encodage d'une liste de mots et la phase de rappel fait baisser sensiblement la performance du sujet sur les cinq derniers items sans modifier les résultats sur le reste de la liste. Il réalise enfin son expérience en respectant scrupuleusement la logique du raisonnement expérimental afin de ne pas attribuer la source de variation systématique étudiée à des variables cachées. Les modèles de la psychologie cognitive ont donc comme principal fondement l'expérimentation et sont essentiellement des modèles de dépendance entre variables expérimentales. J'appellerai par la suite ces modèles des "modèles pour comprendre".

L'objet d'étude de référence du psychologue est le sujet humain, quel que soit le contexte particulier dans lequel il est amené à fonctionner. Ce "quel que soit" est même parfois interprété dans un sens plus restrictif par les psychologues cognitivistes qui l'interprètent comme "indépendamment" des contextes particuliers dans lesquels un sujet peut être amené à fonctionner. Ce dernier point de vue tendrait, par exemple, à ne point considérer comme relevant du domaine de la psychologie les faits qui ne dépendent que de l'histoire individuelle d'un seul sujet (démarche qui caractérise en général le psychologue clinicien). Le contenu des connaissances et le contexte de l'apprentissage sont le plus souvent considérés comme des variables indépendantes que l'on manipule au gré des différents comportements que l'on souhaite étudier.

Indépendamment du fait que la méthode expérimentale est une référence pour la psychologie cognitive, il arrive souvent que le psychologue ne s'intéresse qu'à la cohérence interne de son modèle et à ses rapports avec les autres modèles, sans le soumettre à une validation expérimentale. Cette attitude est souvent justifiée par la complexité des interactions étudiées et par le fait que personne n'est vraiment capable de prendre en compte l'ensemble des faits expérimentaux établis dans un modèle unique du fonctionnement cognitif qui en serait la synthèse parfaite. Une tentative récente dans ce sens (Kosslyn & Koenig, 1992) montre le caractère limité d'une telle démarche synthétique. Les modèles de la psychologie cognitive sont donc avant tout des "modèles pour comprendre", des schémas simplificateurs, c'est-à-dire des réseaux de relations de dépendance entre des variables de situations (plus ou moins bien définies) et un comportement humain. Du fait de ce statut, ces modèles ne sont donc en aucun cas "calculables" comme pourrait l'être un modèle cybernétique et ce reproche, qui leur est souvent fait par le chercheur en informatique, est de ce point de vue injustifié.

Malgré cette approche unitaire, il existe au sein même de la psychologie cognitive différentes approches des processus d'acquisition des connaissances. Chacune de ces approches met l'accent sur une simplification "exemplaire" des processus d'apprentissage dans le seul but de mieux faire ressortir l'effet de certains groupes de paramètres. Il faut bien nous résoudre à cette vue, que certains pourraient qualifier de "réductrice", si l'on veut bien pouvoir comprendre quelque chose à un univers de cette complexité. On peut toutefois noter que la tentation de réaliser des synthèses est toujours présente en psychologie mais ces tentatives sont généralement vouées à l'échec car notre discipline manque actuellement d'un langage de description unificateur qui nous permettrait de prendre en compte à la fois les actions élémentaires de pensée, la façon dont elles sont associées au fonctionnement du cerveau et leur mode de régulation.

La psychologie est une discipline frontière entre les sciences de la vie et les sciences humaines. Cette frontière est particulièrement sensible dans l'étude du fonctionnement cognitif. Dans ce domaine, le chercheur peut adopter soit une approche dite "orientée-sujet" en privilégiant le sujet psychologique, soit une approche dite "orientée-problème" en mettant l'accent sur le contexte. Chacune de ces approches se subdivise elle-même en deux variantes qui forment ainsi les quatre principaux paradigmes de recherche sur les processus d'acquisition:

- l'approche "structuraliste" privilégie l'étude synchronique du mode d'organisation des connaissances en mémoire. Que l'on s'intéresse aux "concepts" et à leur organisation en réseaux sémantiques, aux connaissances plus complexes comme les "schémas" ou les "scripts", ou aux aspects développementaux avec les "schèmes" et les "structures de contrôle", le but est toujours de proposer un modèle pour comprendre comment les connaissances sont organisées en unités élémentaires fonctionnelles. De tels modèles ont permis d'interpréter efficacement les mécanismes de compréhension dans la lecture, les processus d'association libre, la construction des connaissances au cours de la genèse.

- l'approche "fonctionnaliste", inspirée par les théories du traitement de l'information, privilégie quant à elle l'étude des paramètres qui spécifient la transformation et le contrôle de l'information dans le système cognitif. On doit à cette approche les travaux sur la mémoire de travail, l'apprentissage implicite ou encore sur le caractère automatique ou contrôlé de certains processus mentaux. Ces modèles du fonctionnement cognitif sont très efficaces pour comprendre l'économie générale du système de traitement de l'information humain et le comportement du sujet en situation d'apprentissage par l'action. De ce point de vue, le sujet "connaissant" est perçu comme un "résolveur de problèmes" et des travaux expérimentaux très convaincants (Kotowski, Hayes et Simon, 1985) ont montré que de tels modèles pouvaient expliquer en grande partie les effets de transfert dans l'apprentissage.

- l'approche "différentielle" est une approche orientée-problème. Le psychologue différentialiste découpe dans l'univers des connaissances des "fractions élémentaires" de savoirs qu'il soumet, sous la forme de tests, à un grand nombre de sujets. A l'aide d'outils statistiques puissants (analyse des correspondances, analyse factorielle), il cherche ensuite à faire ressortir comment les performances d'un groupe de sujets s'organisent les unes par rapport aux autres en patterns corrélationnels (items verbaux, numériques, spatiaux...). Bien que porteuse d'une image négative, la psychologie des tests a permis cependant de réaliser des avancées décisives. Ce sont les différentialistes qui les premiers ont proposé un découpage des activités mentales en actions élémentaires de pensée, ce sont aussi des différentialistes qui ont contribué aux recherches sur les styles cognitifs (modèles souvent utilisés dans les Sciences de l'Education).

- enfin, l'approche "culturaliste" en psychologie cognitive privilégie le rôle des outils transmis par la société, en particulier le langage. Il existe en effet de nombreux psychologues qui défendent l'idée que les processus d'acquisition des connaissances ne peuvent se comprendre sans faire référence au sens que les symboles véhiculent et à leur valeur sociale comme moyen pour communiquer. Cette approche semble retrouver actuellement un regain de vitalité, grâce en particulier aux travaux des "contextualistes" qui s'intéressent au fonctionnement cognitif dans les situations de la vie quotidienne.

1.2. La démarche de la didactique: l'épistémologie des disciplines

Sur ce même problème de l'acquisition des connaissances, le didacticien a un point de vue centré sur les contenus des connaissances et sur les contextes dans lesquels elles sont transmises. L'objet d'étude de la didactique se confond en partie avec celui de l'épistémologie dans la mesure où il est centré sur le rapport qu'entretient un individu, ou une communauté, et la transmission des savoirs savants (Balacheff, 1992). Cette approche revient à approfondir la question du sens qu'une connaissance a pour un sujet, la question de son origine et de son évolution au cours de l'histoire individuelle ou collective. La méthode de référence des didacticiens est donc basée, d'une part, sur l'analyse historico-critique des connaissances construites, et, d'autre part, sur l'observation des sujets apprenants et enseignants dans les situations explicitement dédiées à la transmission des connaissances.

1.3. La démarche de l’intelligence artificielle: la formalisation

L'Intelligence Artificielle (et plus généralement l'informatique) s'attache quant à elle à construire des modèles computationnels du traitement de l'information avec comme objectif de les faire exécuter par un automate. Pour ce faire, elle utilise une démarche "constructiviste" qui consiste à assembler, à partir d'un formalisme de base, les différents objets calculables dont elle a besoin pour représenter une connaissance donnée. Un des problèmes clefs de l'IA est qu'elle ne peut progresser qu'en améliorant ces "schèmes" de base (les formalismes). En effet, ceux-ci montrent souvent leurs limites dès qu'il s'agit de formaliser la complexité des problèmes liés à la représentation des connaissances en mémoire.

1.4. La démarche des Sciences de l'Education: la synthèse

Les Sciences de l'Education s'intéressent, quant à elles, aux interactions entre un sujet "apprenant" et un sujet "enseignant" dont le rôle institutionnel est de transmettre des connaissances. Ces interactions sont complexes et mettent en jeu des variables d'attitude, des facteurs économiques et sociologiques et sont souvent rebelles à toute expérimentation rigoureuse. En effet, les Sciences de l'Education sont concernées aussi bien par la relation et le mode de régulation du discours entre le maître et l'élève que par la qualité et les propriétés dites "pédagogiques" des environnements matériels, ou encore par les pressions et les réalités économiques qu'une société fait peser sur son système de formation. C'est probablement pour cette raison que cette discipline est périodiquement traversée par des personnages que M. Linard qualifie de "héros" (Linard, 1990) et dont la mission est de systématiser et de promouvoir un modèle spécifique d'apprentissage ou une technologie issue de la recherche fondamentale. Ce processus de "personnification" permet de résumer et de synthétiser des ensembles fort complexes d'interactions qu'il serait impossible de décrire analytiquement. Cette démarche représente sans aucun doute une étape nécessaire pour "valider", au sens des sciences éducatives, la pertinence d'une approche.

1.5. En résumé

Pour résumer notre point de vue, il faut bien constater qu'en réunissant toutes les disciplines susmentionnées autour d'un même projet de développement d'un environnement d'apprentissage, nous tentons par là-même de concilier quatre conceptions bien différentes de la notion de modèle:

- le "modèle pour comprendre le fonctionnement cognitif" des psychologues;

- le "modèle pour réguler la situation d'enseignement" des pédagogues;

- le "modèle pour analyser les savoirs" du didacticien;

- le "modèle calculable pour représenter les connaissances" du chercheur en IA.

Notre stratégie a été de favoriser la convergence entre ces modèles en construisant ce que nous avons appelé des "modèles intermédiaires" dont la fonction est de concilier "l'architecture cognitive" de l'environnement d'apprentissage et "l'architecture informatique" du système (pour une description détaillée, voir Dillenbourg et al, 1992).

2. Conception d'un environnement d'apprentissage

La phase de conception et de lancement d'un projet d'EIAO peut être fort différente d'un projet à l'autre. Plusieurs scénarios sont possibles: en général le projet est lancé par une équipe disciplinaire homogène et ce n'est qu'au cours de son développement que des relations de travail sont nouées avec des chercheurs d'autres disciplines. Il peut cependant arriver, comme cela a été le cas pour le projet genevois, que ce soit une équipe authentiquement pluridisciplinaire qui décide de se lancer dans cette aventure. Se posent alors de nombreux problèmes pour choisir un modèle de référence, un contenu à enseigner et une plate-forme de développement. Je voudrais témoigner ici de l'importance de ces choix en raison des liens qui existent entre tous les paramètres que nous avons mentionnés jusqu'ici.

2.1. Choisir un modèle de référence

Le travail de mise en perspective des systèmes existants et des théories de l'apprentissage (que ces modèles soient soutenus par des psychologues, des pédagogues ou des didacticiens) est un préalable indispensable au lancement de la phase de conception d'un projet de recherche. Ce travail de réflexion sur la taxonomie des environnements d'apprentissage ne doit pas être perçu uniquement comme un jeu intellectuel pour satisfaire le goût des chercheurs pour les systèmes. Il est aussi un moyen commode pour évaluer l'évolution des paradigmes de recherche de ces dernières années en matière d'environnement d'apprentissage. On peut aborder cette tâche de manière analytique en classant les environnements en fonction de critères logiques (leurs propriétés intrinsèques par exemple). On peut préférer une taxonomie basée sur des prototypes, comme l'a proposé E. Wenger (1987). Cette deuxième démarche revient à faire ressortir non seulement des éléments d'architecture communs à plusieurs systèmes (systèmes experts, micromondes, simulations...) mais aussi leurs propriétés vues du côté de l'utilisateur (dialogues socratiques, explorations...). On peut enfin adopter une démarche historico-critique en mettant en parallèle l'évolution des environnements et l'évolution des théories de l'apprentissage (Solomon, 1986; Linard, 1990).

2.1.1. Classification relativement aux composantes des environnements

Comme c'est le cas pour toute situation d'enseignement, les principales fonctions d'un tutoriel intelligent doivent lui permettre de répondre à trois questions: Comment représenter le contenu à enseigner ? Comment diagnostiquer les difficultés de l'élève ? et quelle méthode ou stratégie d'enseignement adopter ? Dans notre jargon de concepteur de systèmes ces fonctions se réfèrent, dans l'ordre, au module expert dans le domaine à enseigner, au modèle de l'élève et au modèle pédagogique. A ces trois composantes il faut ajouter l'interface utilisateur, une entité qui joue un rôle important bien qu'il soit difficile de la considérer comme une composante fonctionnelle du système.

L'histoire et/ou la taxonomie des environnements d'EIAO peut s'écrire de différentes façons mais tous ceux qui ont tenté de le faire (en particulier Wenger dans son excellent ouvrage de 1987) ont constaté que l'évolution des systèmes est souvent liée à une attention plus ou moins grande portée à l'une ou l'autre de ces composantes.

Les premiers systèmes, mis au point au début des années 70, sont principalement centrés sur la représentation des connaissances du domaine de référence (Carbonnell, 1970). A partir du milieu des années 70, on peut facilement constater que c'est le modèle de l'élève et plus précisément le diagnostic des erreurs qui retiennent l'attention des chercheurs (Brown and Burton, 1978; Van Lehn, 1982). Presque simultanément à cet intérêt pour le modèle de l'élève, c'est le module pédagogique et les stratégies d'enseignement qui font l'objet de représentations calculables (Burton and Brown, 1979). Enfin, et pour les raisons que nous avons soulignées plus haut c'est l'interface qui devient une composante de tout premier ordre. En combinant les possibilités de manipulations directes et le réalisme des représentations, les interfaces graphiques actuelles ont contribué à créer un véritable langage avec une sémantique relativement facile à transférer d'une application à l'autre.

L'objectif commun à tous les projets de recherche en EIAO est de construire un système performant sur ces quatre axes. Les temps de développement et les problèmes rencontrés font malheureusement que bien souvent un travail approfondi dans une des directions citées se traduit par des faiblesses sur les autres axes de développement. Je reste cependant persuadé que la qualité d'un tutoriel doit être actuellement évaluée sur sa capacité à maîtriser l'interaction et la pertinence de l'ensemble de ces composantes. C'est aussi le pari que nous avons tenté avec Memolab.

2.1.2. Quels modèles du fonctionnement cognitif choisir pour construire un environnement d'apprentissage?

Pour les psychologues, un EIAO est souvent un laboratoire pour étudier les processus d'apprentissage. Dans ce cas, il lui reste à déterminer quels sont les modèles théoriques les plus aptes à une implémentation. Un exemple historique et réussi dans le domaine des tutoriels nous a été donné par Anderson (Anderson et Reiser, 1985) et ses désormais célèbres "Geometry Tutor et Lisp Tutor" basés sur son modèle ACT* (Anderson, 1983). Un autre exemple, dans le domaine des micro-mondes, nous a été proposé par Papert avec l'environnement LOGO (Papert, 1980). Ce dernier est un prototype remarquable des conceptions constructivistes du développement de Piaget. En remontant le cours de l'histoire, on peut encore citer l'enseignement programmé (caricature du didacticiel) comme une fidèle réplique des conceptions behavioristes de l'apprentissage instrumental chères à Skinner. A ces archétypes, il faut ajouter tous les autres projets (parmi lesquels je situe aussi le nôtre) qui n'ont que la solution, ingrate mais combien nécessaire, de tenter des implémentations partielles de fragments de modèles. Je ne ferai pas ici une revue détaillée de la question sur ce thème, mais le lecteur intéressé peut se reporter à la synthèse de Wenger (1987) pour ce qui concerne les tutoriels et à l'ouvrage de Solomon (1986) pour les environnements classiques. Je me contenterai ici de mentionner les pistes qui me paraissent les plus prometteuses.

Le rôle des schémas dans les activités mentales supérieures (compréhension, résolution de problème, inférences..) a fait l'objet d'une synthèse claire et bien documentée de Richard (1990). L'intérêt de ce concept est qu'il permet une représentation facilement manipulable sur un écran graphique et que sa validité psychologique est aisément vérifiable. Le système TAPS (pour Training in Arithmetic Problem Solving) de Derry (1990) présente une utilisation originale de ce modèle. La conceptualisation d'un problème (analogue du concept de représentation chez Richard) est pour cet auteur un sous-produit des stratégies de résolution de problème. Le simple fait d'activer un schéma produit, en même temps, une représentation et un moyen pour atteindre un but. C'est justement en raison de cette interaction que l'ordinateur s'avère un bon outil de conceptualisation dans l'enseignement. L'ordinateur permet d'apporter la "colle" pour mettre ensemble des blocs de connaissances isolés ainsi que les savoir-faire qui leur sont associés. Selon cette conception, les métaconnaissances seront définies comme l'ensemble des moyens mis à la disposition du sujet pour élaborer de nouveaux schémas à partir de schémas "primitifs".

Un autre concept intéressant, celui de "chunking", est souvent présent dans les logiciels professionnels. Une version minimale de ce mécanisme est offerte par la possibilité de construire des macro-commandes à partir de séquences d'instructions de base. Cette option est maintenant un standard du marché sur presque tous les logiciels. Elle est souvent fournie avec une procédure d'apprentissage. Ce mécanisme d'unitarisation des connaissances n'a cependant pas fait l'objet d'une implémentation explicite dans les environnements d'apprentissage (sauf sous la forme du concept de procédure en programmation). J'ai moi même proposé une version développementale de ce processus dans le projet "Schèmes Informatiques Programmables", en m'inspirant des travaux de Case (Case, 1985; Mendelsohn, 1988). Une version plus élaborée de ce même principe a été implémentée dans Memolab (Dillenbourg, 1992) sous l'appellation de "language shift".

2.2. Choisir un contenu à enseigner

La question du contenu à enseigner n'est pas aussi anodine que l'on pourrait le croire. Plusieurs paramètres peuvent rentrer en ligne de compte, je me contenterai ici d'énumérer les questions que peuvent soulever ce choix sans les développer.

- S'agit-il d'un domaine bien ou mal défini ? On peut en effet s'intéresser à un problème d'école bien connu (comme les tours de Hanoï) ou à vrai contenu complexe et aux contours flous. Cette distinction semble actuellement ne plus être aussi pertinente que par le passé (Richard, 1994).

- Le contenu est-il facilement formalisable ? Les domaines de la géométrie, de la programmation, de l'algèbre ou encore de la physique sont sur-représentés dans les EIAO en raison de la solidité des modèles calculables sur lesquels ils reposent. Il n'en est pas de même pour d'autres thèmes comme la littérature, l'histoire ancienne ou la psychologie expérimentale (contenu enseigné dans Memolab).

- Les connaissances à acquérir sont-elles de nature procédurale (comme le savoir-faire arithmétique) ou ont-elles une composante déclarative marquée (comme en psychologie)? Peut-on enseigner ces deux formes de connaissances dans un même environnement ?

2.3. Choisir un environnement de développement

Ce choix est bien entendu sujet à de nombreuses pressions qui ne sont pas toutes de nature scientifique. Si le choix d'une plate-forme de développement devrait être en réalité conforme aux objectifs du projet, il existe aussi des habitudes propres à chaque communauté scientifique et le choix de LISP est un passage obligé pour de nombreux projets. Ce choix s'avère surtout déterminant pour les facilités que la plate-forme offrira sur le plan de la réalisation de l'interface graphique. Ceci est d'autant plus vrai que l'interface joue un rôle de plus en plus important relativement aux schèmes familiers que l'on peut embarquer en utilisant les grands standard actuels (X windows, Hypercard, Windows...).

3. Développement d'un environnement EIAO

L'habitude veut que nous dénommions chaque composante d'un système EIAO par un terme plus ou moins ambitieux: module expert, modèle de l'élève, module pédagogique. En fait ces modules n'existent pas vraiment indépendamment les uns des autres. Je préfère considérer pour ma part qu'il existe en fait des questions d'ingénierie relativement précises et pour lesquelles on peut trouver des solutions plus ou moins optimales. Ces questions peuvent se regrouper sous les rubriques suivantes:

- Comment sont représentés et découpés les contenus à enseigner embarqués dans l'environnement ?

- Comment et sur quelle base le système prend-il des informations sur les actions que l'élève réalise?

- Que fait le système de ces informations ?

3.1. La représentation et le découpage des contenus embarqués

3.1.1. Représentation de l'expertise pour le système

Les modes de représentation utilisés pour le module expert sont très variés et les auteurs de systèmes ont fait appel à presque toutes les solutions disponibles en IA:

- les réseaux sémantiques comme dans SCHOLAR (Carbonnell, 1970). La matière à enseigner, ici la géographie de l'Amérique du Sud, est représentée dans un réseau dont les noeuds sont des objets géographiques et des concepts. Du fait de l'organisation hiérarchique de ces objets par des relations du type "superpart", "superconcept" ou superattribute", des inférences simples peuvent être réalisées par composition de relations. Les limitations inhérentes à ce mode de représentation sont bien entendu liées au fait qu'il n'est pas possible de représenter des connaissances procédurales sur un tel mode.

- les systèmes de production sont utilisés pour construire des modèles de compétences formalisables sous la forme de règles du type "Si condition C Alors Action A". L'organisation de ces règles se veut indépendante de la manière dont elles seront traitées par le système. Une des contributions majeures de Clancey (1983) avec le programme GUIDON est d'avoir proposé une méthodologie pour ce type de modèle dont on peut résumer les étapes essentielles de la manière suivante:

1) analyse du domaine de référence à partir de protocoles d'experts;

2) construction d'un modèle de l'expert qui tient compte de toutes nuances possibles de raisonnement.

3) construction du module d'enseignement.

- les schémas sont des structures de données incluant des informations déclaratives et procédurales. Ils sont maintenant largement utilisés par les concepteurs de programmes en raison des facilités de programmation apportées par les langages de programmation orientés objets.

Tous ces modes de représentation (sans oublier la logique de premier ordre ou les automates à états finis) sont bien souvent interchangeables et il arrive que les concepteurs utilisent plusieurs modes de représentation dans un même système pour bénéficier des avantages liés à chacun. La connaissance du module expert a généralement trois fonctions principales: la recherche de faits pertinents pour un problème donné, le raisonnement sur ces faits pour trouver une solution, l'auto-apprentissage du système pour générer de nouvelles informations.

3.1.2. Représentation de la tâche à l'interface

La conception graphique de l'interface apparaît de plus en plus comme une composante cruciale dans la conception d'un tutoriel. Sans faire référence aux seules qualités esthétiques ou décoratives que peut avoir un logiciel, il est possible d'augmenter la qualité de l'interaction avec l'élève par une représentation plus réaliste et bien organisée des informations. L'usage combiné de la souris et des fenêtres a accru les possibilités de manipulation directe des objets, comme dans les situations de construction d'une figure en géométrie ou d'un circuit électrique par exemple. Par ailleurs, plusieurs travaux récents visent à amener l'élève à participer à la construction ou à observer une représentation spatialisée d'une entité abstraite, telle que sa représentation du problème ou son cheminement dans le graphe du problème. En devenant observables, ces entités permettent de concrétiser des activités de niveau méta-cognitif, telles que discuter de "ce que l'on a compris de l'énoncé" ou de l'efficacité d'une stratégie de résolution de problème.

3.2. Que fait le système des informations qu'il prélève sur l'élève ?

3.2.1. Le modèle de recouvrement (overlay model)

En raison du fait que, dans les systèmes d'EIAO, l'état des connaissances de l'élève est généralement représenté comme un sous-ensemble des connaissances du module expert, le modèle de l'élève est construit en comparant la performance de l'apprenant avec celle que l'expert « simulé » aurait produite dans les mêmes circonstances. Cette technique a été baptisée "overlay model", elle est applicable chaque fois que l'expertise du domaine est représentée sous la forme d'un système de règles de production. Le tutoriel "WUSOR" utilise une technique de ce type. Son auteur, Goldstein (1982), rappelle que la mise à jour du modèle de recouvrement repose sur plusieurs sources d'information:

- les informations implicites qui découlent de la comparaison entre le comportement de l'élève et les décisions de l'expert. L'acquisition de ces informations dépend de la capacité du concepteur à relier un comportement donné à un ensemble bien défini de réalisations effectives. C'est sur ce point peut-être que la collaboration avec le didacticien s'avère la plus fructueuse (sémantique des actions).

- les informations structurelles qui relèvent du réseau de dépendances et de complexité relative aux différentes compétences en jeu. Ce réseau détermine en quelque sorte les frontières à l'intérieur desquelles l'apprentissage doit se centrer.

- les informations explicites qui peuvent être obtenues par un questionnement direct de l'élève (test ou questionnaire).

- les prérequis supposés, inférés ou stockés lors d'une précédente séance pour initialiser le modèle.

Deux limitations sont généralement invoquées à propos de ces techniques de recouvrement: la première difficulté tient au problème plus général de la représentation des connaissances dans le module expert, étant donné que la représentation de celles de l'élève en découle directement. Le modèle est mis en échec chaque fois que l'apprenant suit une voie qui n'a pas été prévue dans le modèle de l'expert comme un chemin optimal. Pour dépasser cette difficulté, on pourrait imaginer pour chaque problème une "société" de systèmes experts régulés par un meta-expert qui choisirait le modèle approprié à la démarche de l'élève. La seconde difficulté est liée au modèle lui-même. Le paradigme de recouvrement présuppose qu'une performance non optimale est le résultat d'un manque de connaissance (par rapport à celle de l'expert) et non celui d'une erreur opératoire commise lors du déroulement d'une stratégie dont la validité est pourtant avérée. Cette nuance importante sera au centre des préoccupations des modèles dits "buggy models".

 

3.2.2. Le modèle des erreurs (buggy model)

Une autre approche consiste à utiliser les erreurs observées le plus fréquemment chez les élèves comme des variantes possibles du modèle de l'expert (Brown & Burton, 1978). BUGGY et les systèmes DEBUGGY et IDEBUGGY dans le domaine de l'enseignement de l'algèbre sont les exemples les plus représentatifs de cette approche. Les implications de recherches de ce type sur l'étude des processus d'acquisition tiennent au fait que comprendre l'origine des "bugs" (en étant capable de les reproduire artificiellement) a des conséquences non négligeables sur les stratégies pédagogiques de remédiation.

3.2.3. A quoi sert le modèle de l'élève ?

C'est Self (1988) qui a le plus clairement analysé le rôle et l'usage effectif du modèle de l'élève dans les tuteurs intelligents. Il a pu ainsi dégager six fonctions principales: correction de l'erreur, aide à l'élaboration d'une action à entreprendre quand l'erreur est due à une procédure incomplète, mise en oeuvre d'une stratégie globale pour proposer un nouveau plan d'actions, construction d'un diagnostic, prévision d'actions futures (fonction prédictive) et, enfin, évaluation du travail fourni par l'élève.

Ce modèle peut aussi être utilisé pour différencier les erreurs dues à des connaissances mal apprises ou mal utilisées de celles qui auraient pour origine la fatigue, la distraction ou encore une charge cognitive trop importante. Le chantier ouvert par la modélisation de l'apprenant, on le voit, révèle des problèmes théoriques et méthodologiques qui ne devraient pas laisser les psychologues indifférents.

3.3. Conception et ergonomie de l'interface

La conception des stratégies d'enseignement est fortement assujettie aux modalités de communication entre l'élève et l'ordinateur qui, elles-mêmes, dépendent de l'interface. La qualité de l'interface est donc fondamentale si l’on ne veut pas que les échanges entre l'élève et le système soient réduits à des échanges de messages codés. Comme je l'ai déjà mentionné, la plupart des interfaces EIAO actuelles privilégient les interfaces graphiques et la manipulation directe, mais il ne faudrait pas pour autant oublier qu'une des principales missions de l'école reste encore celle de l'enseignement de la langue écrite et parlée. Malgré les difficultés inhérentes au traitement du langage naturel, il reste que le dialogue est une des manières par lesquelles l'élève exerce sa capacité à construire une argumentation. Certains tutoriels récents vont plus loin que les prototypes SCHOLAR et SOPHIE dans cette direction, c'est le cas de DECIDER, élaboré par Bloch et Farrel (1988). Dans ce système, la tâche de l'élève est de proposer une forme d'intervention américaine au Nicaragua. Le tutoriel ne cherche pas à enseigner ce que serait une bonne ou une mauvaise intervention, il l'ignore lui-même. Il se contente de contrer les propositions ou les arguments de l'élève en décrivant des événements historiques (Vietnam, Cuba..) au cours desquels une intervention similaire n'a pas donné les résultats escomptés. De plus, il observe la façon dont l'élève tient compte de ses contre-arguments. La description verbale de ces événements est accompagnée de la présentation d'une brève séquence vidéo.

 

4. Questions de recherche

Nul doute que le chercheur en EIAO est souvent traversé par des pensées lancinantes du type: si c'était à refaire, je m'y prendrai bien différemment; le système est trop complexe, trop lourd ...; comment imaginer que des élèves vont réellement utiliser mon système pour apprendre? Les raisons profondes de ces interrogations sont essentiellement liées au facteur temps et aux réalités du débat scientifique qui font que les idées avancent toujours plus vite que la réalisation effective d'un prototype. Cependant, on peut aussi constater qu'il existe un certain nombre de problèmes récurrents qui se posent à toutes les équipes, quels que soient la vitesse ou le niveau d'avancement de leur projet. Tout d'abord il existe très peu de systèmes qui dépassent le simple stade du prototype, quand ce n'est pas celui de maquette. Ensuite, les performances de ces systèmes ne sont pas satisfaisantes. Sleeman & Brown (1982) décrivaient, il y a plus de dix ans maintenant, les défauts de ces tutoriels de la manière suivante:

1) le niveau de réponse à un questionnement ou à une erreur commise par l'élève est souvent situé à un mauvais niveau de détail: en général, les systèmes et les sujets ne "regardent" pas dans la même direction ni les mêmes choses;

2) trop peu de systèmes sont capables de représenter efficacement les conceptualisations idiosyncratiques des élèves qui leur permettraient de diagnostiquer efficacement leurs "bugs";

3) les stratégies tutorielles et les conseils donnés aux élèves sont "ad hoc" et reflètent des intuitions souvent sans fondement sur la manière dont il faudrait gérer l'interaction avec l'apprenant.

4) l'interactivité système-élève est encore trop souvent dominée par les interventions du système.

Ces défauts pourraient être encore, plus de dix ans après, attribués à la plupart des systèmes actuels bien que sur certains points des progrès notables aient été accomplis (en particulier dans le domaine de l’interactivité système-élève). A mon avis, cela tient au fait qu'ils sont liés à des limitations qui sont spécifiques aux différentes disciplines plus qu'à une défaillance dans la communication interdisciplinaire. Parmi ces limitations, je citerai les points suivants:

1) le manque de moyens pour communiquer efficacement entre l'élève et l'ordinateur est un obstacle majeur que tous les développeurs rencontrent. A l'heure actuelle, le dialogue en langue naturelle n'est possible que s'il porte sur des éléments d'information qui sont représentés dans la base de connaissance, et encore !

2) la possibilité de saisir les cheminements par lesquels un élève apprend à partir d'un module expert est très limitée. Il n'est pas prouvé que ce type de système soit capable de "comprendre" les différents procédés de raisonnement d'un élève singulier; il n'est pas non plus prouvé que la confrontation d'un apprenant et d'un expert soit un modèle idéal pour enseigner à des novices.

3) la quantité de travail méthodologique et technique requise par la spécification du domaine de connaissance et par celle des stratégies d'enseignement est très importante. L'obligation de travailler en général sur des systèmes lourds et difficilement transportables n'allège pas vraiment le travail de développement.

4) les techniques IA sont plus difficilement applicables à des domaines moins bien structurés que l'algèbre, la programmation, la géométrie ou encore l'électricité. Nous manquons cruellement de modèles de résolution de problèmes en psychologie cognitive pour aider ceux qui pourraient formaliser ce qui se passe d'un point de vue cognitif dans des domaines peu structurés.

A mon avis, ces limitations sont accentuées par le fait que la plupart des systèmes dont nous avons parlé jusqu'à présent ont mis l'accent presque exclusivement sur les capacités d'interaction entre l'homme et la machine. La plupart des problèmes abordés par les logiciels d'EIAO sont très simples et limités à des domaines bien définis sans espoir de pouvoir à brève échéance généraliser leurs résultats. Une manière de sortir de cette impasse, qui lie les progrès des tutoriels aux progrès des techniques d'intelligence artificielle, serait de fonder plus intimement l'architecture et la conception de ces systèmes sur les résultats des recherches dans le domaine de l'apprentissage et de l'instruction. C'est une voie initiée il y a déjà quelque temps par Anderson et Reiser (1985) avec GEOMETRY et LISP TUTOR (qui a produit d'ailleurs un des rares systèmes que l'on trouve dans le commerce); ainsi que par Tennyson, Christensen & Park (1984) avec MAIS. Ces derniers proposent que l'EIAO entre désormais dans la phase des systèmes "orientés théorie de l'apprentissage" (Mendelsohn et Dillenbourg, 1993).

5. Validation des systèmes EIAO

5.1. L'expérimentation

L'expérimentation en situation réelle d'un environnement d'apprentissage est l'aboutissement logique de toute entreprise en ce domaine. Il faut cependant constater que ce point n'est pas toujours atteint et que souvent les prototypes développés restent plus des systèmes pour faire avancer la réflexion que d'authentiques outils utilisables dans l'enseignement et donc expérimentables.

Pour ce qui relève de l'expérimentation proprement-dite, il me semble que la contribution des pédagogues, des didacticiens et des psychologues est déterminante. En général, ils sont habitués à ce genre de travail et ont développé chacun dans leurs domaines respectifs des méthodologies solides pour effectuer cette tâche.

Si la conception des systèmes reposait au départ exclusivement sur des méthodes d'enseignement dont il apparaît en général qu'on ignore les effets sur les processus d'acquisition, on constate maintenant que les environnements d'apprentissage représentent des tentatives pour établir des connections directes entre telle ou telle variable de situation et les performances du sujet. Dans mon exposé, les premiers seront qualifiés de systèmes orientés modèles d'enseignement, les seconds de systèmes reposant sur des théories de l'apprentissage. La plupart des systèmes classiques d'EIAO relèvent de la première catégorie. Ils ont comme objectif la démonstration que des techniques d'Intelligence Artificielle (par exemple, le traitement du langage naturel ou encore l'utilisation de systèmes experts) peuvent être appliquées avec succès au domaine de l'enseignement. En général, leurs auteurs ne se préoccupent pas de la validation expérimentale des effets que ces systèmes pourraient avoir sur telle ou telle variable liée aux processus d'acquisition. A l'opposé, les environnements reposant sur des théories de l'apprentissage, comme celui que nous développons à Genève par exemple, sont directement utilisables comme stations expérimentales pour valider une composante ou un modèle bien précis de l'apprentissage. Une première conséquence de cette évolution est que les systèmes reposent presque tous maintenant sur des variables ou des modèles locaux dont il est possible d'étudier les effets expérimentalement. Leur statut initial d'outil au service de l'enseignement s'est parfois transformé en véritable station expérimentale pour le chercheur en Sciences Cognitives.

5.2. La généralisation des solutions

Il n'y a de démarche scientifique que si les résultats de la recherche ont un certain caractère généralisable. La question qui se pose souvent aux chercheurs de notre communauté est de savoir s'il faut faire de ce travail d'abstraction un authentique système auteur. Pour les informaticiens, la tentation est grande de transformer un système particulier en générateur d'applications dans la mesure où cette démarche est inhérente à une programmation efficace. Nous devons cependant reconnaître qu'elle débouche rarement sur un outil réellement utilisable. Au-delà du caractère plus ou moins généralisable d'une démarche se pose le problème de rajouter une interface auteur au système ainsi qu'une documentation détaillée pour les futurs développeurs. En général, le travail supplémentaire que nécessite une telle entreprise est considérable; de plus, il n'est pas vraiment considéré comme ayant une valeur scientifique suffisante pour être publié. Pour ces raisons, cette entreprise reste souvent à l'état de projet.

6. Valorisation de la recherche

C'est à ce stade d'un projet EIAO que se posent les véritables problèmes institutionnels pour notre communauté. Pour des raisons académiques, les chercheurs impliqués dans un projet doivent pouvoir valoriser leur travail dans leurs communautés scientifiques respectives. Il est en effet dangereux de faire croire aux jeunes chercheurs que l'EIAO forme une communauté qui peut assurer à elle seule leur carrière de chercheurs. Ils risqueraient de rencontrer de sérieuses difficultés dans de nombreux pays européens où le recrutement est encore fortement marqué par le découpage disciplinaire. Cependant, il existe plusieurs solutions à ce problème.

La première passe par la nécessité de concevoir un projet d'EIAO comme une "fédération" de problématiques avancées qui conserveraient chacune leur autonomie propre. Par exemple, le système doit être suffisamment innovateur sur le plan du développement informatique pour que les informaticiens du projet puissent faire reconnaître par leurs pairs au moins un sous-ensemble significatif du développement; les psychologues doivent pouvoir utiliser l'environnement pour expérimenter des situations d'apprentissage inédites; les didacticiens exercer sur le contenu leur esprit critique et les pédagogues valider leur modèles d'enseignement ou valider le système en situation réelle d'utilisation. Nous avons essayé de travailler dans ce sens avec Memolab et la variété des supports de publications que nous avons utilisés prouve qu'une telle entreprise est possible (voir bibliographie). Un projet d'EIAO peut ainsi jouer le même rôle que l'équipement "lourd" des physiciens qui se servent parfois du même dispositif pour faire des expériences très différentes. A nous de travailler à les faire reconnaître comme tels dans nos secteurs respectifs.

La seconde solution consiste à développer des collaborations entre équipes homogènes et à sous-traiter certaines parties du projet quand celles-ci nécessitent une contribution qui sort de son champ de compétence. Cette solution est souvent pratiquée par les chercheurs mais elle est difficile à tenir pour des projets d'une grande ampleur. Elle génère assez rapidement des frustrations chez l'une ou l'autre des équipes disciplinaires qui rapidement se sentent peu concernées par un travail de seconde main. Toutefois, elle est plus facilement gérable à l'échelle d'une communauté scientifique par l'emprunt de résultats publiés et les échanges lors de conférences spécialisées regroupant des disciplines voisines.

6.1. Publications et communications

Outre les supports de publications propres aux disciplines concernées, il existe maintenant plusieurs revues scientifiques reconnues pour diffuser les travaux d'EIAO. Notons que, dans les pays anglo-saxons, celles-ci ont tendance à se diversifier et à se spécialiser selon que la problématique traitée est plus centrée sur les applications de l'intelligence artificielle, les interactions "homme-machine" ou l'enseignement assisté. Dans la communauté francophone, la parution de la revue "Sciences et Techniques Educatives", la vitalité des "Journées de Cachan" témoignent de la bonne implantation de notre communauté en Europe. Je souhaite que ces initiatives conservent leur caractère pluridisciplinaire original. Il en va de leur survie et je suis sûr que c'est le souhait de leurs promoteurs.

6.2. Diffusion des systèmes

Ce n'est une surprise pour personne, mais il faut bien reconnaître que la diffusion des systèmes issus de la recherche en EIAO ne fonctionne pas réellement bien et cette difficulté est un obstacle important au développement de notre discipline. J'ai déjà évoqué certaines des raisons qui empêchent cette diffusion (incomplétude des systèmes, manque de convivialité, ...) mais il est sûrement possible d'améliorer la situation actuelle pour peu que chacun veuille bien s'en donner la peine. Par exemple, on pourrait décider que toutes les équipes mettent librement à disposition les versions mises à jour des systèmes sur FTP serveur avec un minimum de documentation. Nous avons procédé ainsi avec Memolab, bien que nous imaginions assez facilement qu'un utilisateur éventuel puisse avoir des difficultés à l'installer en raison de sa taille et de la spécificité de sa plate-forme de développement.

Conclusion

Cet article m'a permis de faire un tour d'horizon des différentes questions épistémologiques que nous nous sommes posées à propos d’un projet pluridisciplinaire dans le domaine de l'EIAO. Cet exercice pourra paraître superflu à certains. Je pense qu'ils n'ont que partiellement raison. En effet, j'ai pu constater au cours de cette expérience combien la communauté EIAO a du mal à valoriser ses travaux dans les disciplines de référence avec lesquelles elle est associée. Ce manque de visibilité est lourd de conséquences pour certains chercheurs, en particulier pour les plus jeunes. Nous devons chacun faire un effort particulier pour expliquer et relier nos problématiques aux travaux les plus récents dans les domaines de la psychologie cognitive, de la didactique, des sciences de l'éducation et de l'informatique. Nous devons enfin comprendre que ce n'est pas seulement le caractère novateur des dispositifs que nous concevons qui justifie le label "recherche" que nous accolons à nos systèmes. Nous devrons aussi à l'avenir prendre en compte la nécessité de fonder nos approches sur une démarche paradigmatique qui consiste à construire du "savoir" explicitable et à le relier à celui discuté dans nos domaines respectifs. C'est à ce prix que nous pourrons continuer à nous développer.

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