Interview de Béatrice Pellegrini
Jeunes Reporters Pourriez-vous vous présenter,
s.v.p.
Béatrice Pellegrini Je me nomme Béatrice
Pellegrini, je suis journaliste scientifique à l'Hebdo depuis
un an et demi. J'ai travaillé auparavant pour le Nouveau
Quotidien et la Tribune de Genève en tant que collaboratrice.
Parallèlement à cela, j'ai fait de la recherche pendant
une dizaine d'années dans le cadre de ma thèse de
doctorat premièrement, puis plus tard comme chercheuse, j'ai
fait de la génétique des populations humaines et de la
génétique médicale
Les chercheurs manipulent des gènes
végétaux et animaux, et nous consommateurs retrouvons
ces gènes dans notre alimentation; cela revient au titre de
notre projet de biologie "Si l'on mange,...." que pensez-vous de
cette phrase ?
[rires] C'est absolument impossible. Le problème ne
réside pas dans les gènes : nous en mangeons des
centaines de milliards à chaque repas et on les
dégrade. Je me pose beaucoup de questions, mais pas
celle-là !
Pensez-vous que ce soit une des craintes du consommateur qui
n'est pas forcément renseigné sur le sujet ?
Bien sûr. Je vous ai répondu en tant que scientifique,
mais c'est quelque chose qu'il faut prendre la peine d'expliquer aux
gens, d'une part, parce que la plupart des gens ne savent pas qu'ils
mangent des gènes, tout ce que l'on mange (légumes,
animaux, graines, tout ce qui a été vivant un jour)
contient de l'ADN. Effectivement, c'est important d'expliquer que
l'on mange de l'ADN; d'autre part, le fait d'ajouter un gène
n'est pas le problème, mais c'est le produit du gène
que l'on rajoute qui pose problème : suivant quel produit l'on
fait synthétisé par un gène, au cas par cas, on
peut se poser la question; mais l'ADN en lui-même n'a aucun
effet sur l'organisme.
Mais c'est une question que n'importe qui se pose, si l'on n'a pas de
bagage génétique. Ce qui est intéressant
autour de l'ADN, c'est qu'il y a énormément de
fantasmes : "est-ce que l'ADN c'est notre identité,
l'âme est-elle dans l'ADN." etc. On a entendu de ces phrases,
lors de la campagne [ndlr : votation du 7.6] ! J'avoue que
c'est aussi un peu de la faute des journalistes, car on lance des
grandes phrases, "l'ADN, c'est la vie", "le patrimoine
génétique", utiliser ce terme n'est pas non plus
anodin.
On pense souvent que des éléments acquis dans notre
éducation proviennent de nos gènes...
Absolument.
Nous allons à présent parler des lois qui
réglementent le génie génétique. En
Suisse, on procède à des analyses des produits issus de
manipulations génétiques. Mais on peut envisager des
actes illégaux, des délits comme dans tout autre
domaine : des champs d'OGM non-déclarés par exemple, ou
des produits issus d'OGM mis sur le marché sans
l'étiquetage adéquat. Pensez-vous que l'on peut se fier
aux systèmes de contrôle, toutes les précautions
sont-elles prises ?
Il faut distinguer les deux cas que vous avez mentionnés. En
ce qui concerne la mise en champ, je crois qu'en Suisse on soit assez
bien protégé, que l'on ne risque pas grand chose,
notamment grâce à l'existence d'associations très
actives, telles que Greenpeace, le WWF. La batterie d'autorisations
est immense, et la boîte ou le chercheur qui prendrait le
risque de le faire en cachette, il serait vraiment bien bête,
car c'est vraiment un gros risque pour sa carrière d'une part,
et pour le produit que l'on voudrait tester d'autre part. A mon avis,
la Suisse étant un petit pays et ses habitants se
contrôlant bien parmi [rires], il y a très peu
de chance que ce risque soit encouru.
Par contre, pour ce qui est de l'étiquetage des aliments, le
système est très peu fiable - cela a déjà
été prouvé par plusieurs enquêtes - , par
la nature même de l'organisme génétiquement
modifié (OGM). C'est-à-dire que selon le type d'OGM que
l'on cherche, on ne pourra parfois jamais le détecter, avec
les méthodes utilisées actuellement. Une grosse
étude menée par un institut nommé B.A.T.S., qui
s'occupe justement de bio-sécurité en Suisse, avait
prouvé que l'on ne pouvait pas tout détecter,
malgré les énormes efforts que l'on peut fournir :
certains procédés, comme la longue cuisson, l'hydrolyse
[ndlr : = décomposition chimique par fixation
d'eau], découpent l'ADN comme cela se passe dans
notre estomac, mais avant que l'aliment soit ingéré;
par conséquent, on ne parvient plus à détecter
le gène ajouté, on ne peut plus faire la
différence avec un aliment non manipulé.
Pourtant, un conseiller d'Etat genevois (Guy-Olivier Segond)
à qui l'on a posé la même question nous a
répondu que l'on détecterait la fraude trois ou quatre
jours après la mise sur le marché du nouveau
produit.
Non ! Ce n'est pas vrai. Les test sont effectués par les
laboratoires cantonaux à une fréquence d'environ deux
campagnes par année et par canton. Il y a quelques mois, une
enquête d' "A bon entendeur" [ndlr : émission de
consommation sur la TSR] avait détecté une
quantité incroyable d'OGM par rapport au petit
échantillonnage de produits testés. Encore une fois
cela ne veut pas dire que c'est fait volontairement...
Est-ce que ce sont parfois les grossistes qui vendent des OGM sans
l'annoncer ?
Oui. C'est notamment un problème aux Etats-Unis, où
l'on refuse de faire la différence entre organisme
génétiquement modifié et naturel; de ce fait, on
mélange tout. Dès lors, même si les importateurs
spécifient qu'ils ne veulent pas d'OGM, ils se retrouvent avec
ces aliments non désirés malgré tout.
D'un autre côté, cela nous montre que du fait que l'on
ne fait la différence que difficilement, on peut se demander
si l'impact de ces aliments est lui aussi peu différent
d'aliments communs. Cela pose indirectement cette
question-là.
Restons dans le domaine de la législation : nous avons
remarqué que les lois suisses ralentissent passablement la
recherche (le politicien que l'on a interviewé nous a dit que
les lois n'étaient qu'en cours de rédaction); dans un
champ d'action plus vaste, on remarque la même chose dans toute
l'Europe. Pensez-vous que les multinationales agroalimentaires
soient prêtes à entamer la sécurité du
consommateur pour faire avancer la recherche, pour faire aboutir
leurs expériences ?
Je ne pense pas qu'elles soient prêtes à les braver. Ma
foi, en Suisse, elles jouent le jeu ! C'est clair que c'est des
multinationales, elles portent bien leur nom : elles profitent des
lieux où la législation ... j'ai pas l'impression
qu'il y a de l'illégal là-dedans. On pourrait se poser
la question si certains pays n'ont pas tort d'être aussi
permissifs. Je ne crois pas que l'on peut puisse parler
d'illégalité pour les entreprises; en France, elles
font des essais en champ, elles ont le droit de le faire. On peut
être d'accord ou pas, mais... j'ai pas connaissance en tout
cas dans les pays occidentaux. J'ai l'impression qu'en ce moment en
Inde, il y a beaucoup de mouvements qui dénoncent des mises en
champ qui seraient illégales... je connais mal le
sujet.
Donc on a vu que les lois étaient en cours de
rédaction au niveau national; mais comment l'Etat et le peuple
peuvent-ils mettre les consommateurs en sécurité,
sachant que l'initiative du 7 juin n'est pas passée ?
C'est le problème en Suisse, on ne peut pas protéger
les gens contre leur gré. Vous semblez vouloir les
"protéger" (rires). Moi je crois qu'il y avait aussi une
responsabilité qui en incombe à ceux qui ont fait
l'initiative l'année passée: ils ont pris le parti de
tout mélanger. Du coup ils se sont un peu coupés des
moyens d'évaluation par sujet, notamment à propos des
plantes; je pense que si l'on avait traité le sujet des
plantes , le résultat aurait été tout à
fait différent. c'est clair que maintenant c'est très
difficile comme vous le dites de protéger les gens (rires)
contre les plantes génétiquement modifiées.
Quant aux moyens, ce sont les moyens qu'on a habituellement en Suisse
: créer le débat, continuer à discuter autour de
ce sujet-là, je pense que quand les projets de lois seront
soumis, car vous savez, il y a tout un processus : il y a
d'abord un projet de loi, il est soumis à tous les
milieux concernés, après il y a de nouveau une
consultation, on repropose, ça prend beaucoup de temps ; il y
aura de nouveau des discussions très serrées à
ce moment-là, et dans la presse, et dans
l'opinion publique. Donc il faudra que les milieux
concernés se remobilisent en tant voulu.
Justement, Monsieur Segond nous a dit qu'ici, à
Genève, on avait inséré le droit
américain en matière de Génie
génétique pour le droit cantonal (apparemment, le
canton [régionalisation] a le droit de faire sa propre
législation à défaut d'une loi
fédérale)... pensez-vous que ce soit une bonne
solution ?
Oui, mais en l'occurrence pour l'étiquetage, il
y a déjà une loi fédérale (même
s'il y a une loi cantonale, elle ne compte pas dans ce cas).
Je ne sais pas dans quelle domaine... Peut-être pour
d'autres applications...
Oui, peut-être la médecine... mais notre sujet
c'est plutôt les plantes.
Sûrement. Mais il y a aussi les associations de consommateurs
qui ont leur rôle à jouer. Il y a aussi mine de rien des
groupes comme la Coop ou la Migros qui jouent un grand rôle,
car sentant justement la réticence de leurs consommateurs - et
ils ont de quoi les écouter - ils ont tout fait jusqu'à
maintenant pour freiner , l'arrivée des OGM dans leurs
rayons. J'ai récemment vu dans le magasine «
Construire », le journal de la Coop, un article sur
l'étiquetage des OGM, disant « on essaye dans la
mesure du possible de bien contrôler ça » ; en tout
cas ils ont très à cúur de ne pas choquer leurs
clients. Ils ne sont pas opposés aux OGM : je leur ai
posé la question en tant que tel, ils n'ont pas de
raisons de s'y opposer, mais tant que leurs consommateurs
freinent, eux freineront.
Restons dans le domaine de l'agro-business. Les promoteurs
de l'utilisation du génie génétique, les
grandes sociétés comme Novartis, Monsanto, promettent
énormément d'avantages dans leur
publicités grâce aux OGM, autant pour le consommateur
que pour l'agriculteur... et en outre, ils promettent de
sauver les pays du tiers-Monde de la famine par
l'amélioration du rendement. Pensez-vous que ce soit un
avantage possible et véritable (sachant les coûts
énormes de ces opérations), ou que ce soit simplement
pour cacher leur unique but lucratif, pour leur image de marque
finalement ?
Je dirais qu'en théorie ça apporterait tous ces
avantages, on le sait, ça a été
vérifié sur le plan expérimental. Mais bon, de
là à dire que c'est le principal
intérêt de l'agrobusiness... leur
intérêt est commercial, c'est par
définitions de ces sociétés, c'est leur
travail. Ils ont des actionnaires derrière eux pour ça
: ils doivent gagner de l'argent. Donc c'est des
arguments de vente, l'environnement, ils les utilisent comme d'autres
boîtes les utilisent, ils ne sont pas les seuls à faire
ça. Je pense aussi que le consommateur n'est pas un
imbécile. La compagne de Monsanto en France, l'année
passée, toutes ces publicités... ça a bien
été décortiqué par tout le monde pour
montrer qu'ils ont font un peu trop, par rapport à ce que les
gens sont prêts à gober !
Nous avons tout de même remarqué que le politicien
que nous avons interviewé avait parlé, dans un discours
sur le génie génétique, d'une "promesse de
sauver l'humanité de la faim"...
C'est lui qui a dit ça ? Non mais ça, on l'a entendu
des dizaines de fois. Mais c'est vrai que cette technologie est
là, en germe, comme plein d'autres technologies. Une
technologie, elle est intéressante par rapport à ce
qu'on en fait. Les potentialités sont énormes, et c'est
évident qu'en priorité, c'est l'aspect commercial qui
va primer, comme dans tous les autre domaines. on voit ça
aussi autour des gènes "terminators" : c'est des gènes
qui visent à rendre stériles les graines. Et là
on voit justement très bien la stratégie commerciale
qui se cache là-dessous. C'est-à-dire qu'on oblige les
agriculteurs à s'approvisionner au même endroit; et
lorsque Monsanto vendra ses graines, elle vendra aussi son engrais et
autres phytosanitaires [ndlr : produits utilisés pour les
soins à donner aux végétaux ; il ne faut pas se
leurrer. D'où les critiques des mouvements écologistes
qui veulent dire que ce sera pas à ? l'environnement,
étant donné qu'il y a une logique commerciale qui va
primer là derrière.
Vous vous situez où en fait dans ce débat ?
Sur le plan personnel ou professionnel ? (rires)
Ben les deux, séparément, c'est intéressant
de comparer !
Sur le plan personnel, j'aurais tendance à me méfier
extrêmement vis-à-vis de l'agroalimentaire, étant
donné tout ce que l'on voit sur le plan historique, notamment
tout ce qui se passe par rapport au tiers-monde par exemple. Par
contre, sur le plan scientifique, je dirais que c'est une technologie
qui pourrait nous amener beaucoup de choses positives ; mais encore
une fois comme je l'ai dit tout à l'heure, ce n'est pas ce qui
se dessine en priorité. Donc, si on m'avait posé la
question l'année passée "êtes-vous pour ou contre
les OGM plantes", j'aurais dit non (risques). Et sur le plan
professionnel, ma foi c'est comme on a essayé de faire dans le
supplément : mettre en vis-à-vis les arguments des deux
bords, puisque théoriquement c'est notre métier, mais
je pense qu'on ne le fera jamais de façon complètement
neutre. Mais j'étais assez contente pour le supplément
parce que des deux bords, les gens étaient assez contents :
alors je me suis dit « c'est bizarre ». Ils disaient
« pour une fois c'est pas complètement
biaisé, c'est bien... » (...)
Vous êtes très dirigée par les instances
dirigeantes de l'Hebdo ?
Les instances dirigeantes de l'Hebdo, on en entend presque
jamais parlé, on est plutôt libres par rapport à
notre éditeur. Par contre, ce qui a été
demandé pour le supplément, c'était de
l'objectivité. Il y avait d'abord un souci de
faire de l'explicatif, d'où le titre «
c'est quoi ? », par contre, dans d'autres pages du
journal, on a pris des positions plus politiques, on a essayé
de faire le travail en deux temps.
Moi j'ai beaucoup aimé, parce qu'en plus de
l'aspect journalistique, il y avait l'aspect
débat, confrontations avec les gens. Voir les questions qui
sortent, j'aime bien, c'est là qu'on a du
retour, comme « quand on mange, est-ce qu'on va
incorporer les gènes ? » [rires], parfois on se
pose même pas ces questions, alors que ce sont des questions
logiques.
Le génie génétique est un sujet hyper
médiatisé (surtout pendant les votations, on entendait
parler que de ça !). A votre avis, quel est le rôle
des médias dans cette affaire ?
Si j'étais une bonne journaliste bien
zélée, je dirais d'informer [rires] ;
non, je trouve que le débat a été
particulièrement biaisé. Encore une fois, je crois que
chacun a sa part de responsabilité dans la chose, le fait
d'avoir voulu mélanger le médical avec les
plantes, ça a forcé beaucoup de gens à choisir
leur camp, et puis les journalistes également. Donc il y a eu
au départ une campagne assez équilibrée, les
pour, les contre, mais à la fin, il y a eu des arguments
émotionnels au niveau médical : « on ne peut pas
fermer des portes qui peuvent sauver des vies », on a eu des
témoignages de personnes en chaise roulante... Bon,
c'est des drames de vie, mais en même temps,
c'est un registre très émotionnel que je trouve
un peu exagéré.
[incompréhensible]
Mais c'est ça le problème de cette technologie.
On voit bien ce qui se passe avec le cancer. Alors qu'au
début on croyait que c'était une technologie qui
allait soigner surtout des maladies comme la mucoviscidose ; on se
rend compte qu'on arrive pas à soigner la
mucoviscidose, mais des cancers on commence à réussir
à en soigner avec la thérapie génique.
Donc c'est peut-être pas si rare que ça, les
applications. Alors après, il y a d'autres questions :
combien ça va coûter, etc. Mais dire que c'est
une technologie qui ne servira à rien... c'est pas
vrai.
Toujours est-il que dans la campagne, on beaucoup jouer sur la corde
émotionnel, surtout à la fin, ce qui a fait pencher la
balance du côté du pour. On est pas les seuls à
avoir jouer ce rôle-là.
Il y a eu un débat sur la TSR, avec notamment Christian Grobet, qui se disait pour l'initiative, mais qui utilisait l'émotionnel « Si on refuse l'initiative, les médecins ils vont faire n'importe quoi, ça va être la fin du monde, faites attention »...
...diaboliser... non, ce n'était pas une campagne très élevée, surtout à la fin. Les gens devenaient très cynique ; c'est de gens que je côtoyaient par ailleurs dans mon métier, je leur disais « Mais pourquoi vous sortez des arguments aussi primaires » - « Ah, mais maintenant c'est la campagne, il faut gagner, tant pis si nos arguments sont primaires, on prendra le temps de bien expliquer après ».
C'est grave ça, dans un pays comme la Suisse !
Ouais, mais c'est comme ça. C'est le système des campagnes autour de votations, qui crient aussi ça.
Comme on l'a vu avant, il y a des projets de loi en cours de rédaction. Est-ce que vous avez confiance en ces projets de loi ?
Je crois qu'il faudra raisonner au cas par cas,
c'est difficile de dire comme ça... Je crois
qu'il y a quand même pas mal de commission qui ont
été mises sur pied, il y a des gens relativement
compétents ; je trouve qu'il y a un équilibre
entre les partisans et les opposants. Ce qui va être
compliqué, c'est de trouer une législation qui
reflète la diversité de la technologie, de ses
applications. C'est vrai que c'est très dur de
légiférer dans des cas comme ça.
C'est-à-dire que c'est comme pour les plantes :
il y en a certaines qui me paraîtraient intéressantes,
j'aurais tendance à dire « pourquoi pas, dans des
conditions bien contrôlées, etc. » alors
qu'effectivement, une plante avec un gène
d'antibiotique dedans, c'est débile, on devrait
pas l'autoriser. C'est au cas par cas qu'il
faudrait raisonner. Donc une législation ne peut pas se
permettre une telle finesse dans ses réglementations. Alors
ça va être très compliqué.
Moi j'ai vu un projet de loi autour de la
génétique humaine, qui est en cours de consultation, et
on se rend compte que déjà au niveau des
définitions de ce que l'on parle, c'est pas
clair. Il y aura un gros travail. Alors est-ce qu'on les
moyens de faire ce gros travail ? on verra, on surveillera...
Mais bon, tout repose sur des hommes politiques, des conseillers nationaux, conseillers aux Etats qui vont voter ces lois ?
Non pas seulement...
Il y a des commissions avec des spécialistes ?
Oui, il y a des commissions qui vont élaborer les textes, il n'y a pas que les hommes politiques là derrière, même si c'est eux qui vont voter ces lois.
Est-ce qu'ils sont compétents pour le faire ?
Est-ce que le peuple suisse était compétent pour voter [initiative] ? Ça, c'est la définition de la démocratie, on est pour ou contre, on a une démocratie qui est extrêmement directe. Moi je pars du principe qu'on ne devrait pas fermer la porte aux citoyens ni aux politiciens, parce que c'est tout de même nous qui les avons élus. Sinon c'est la porte ouverte à des choses qu'on a entendu pendant la campagne de la part de certains scientifiques « ah non, pourquoi est-ce qu'on laisse le peuple voter là-dessus, ils comprennent rien ». Ils n'auront jamais accès assez suffisamment pour être capable de dire si c'est bien ou mal ; et ça je pense que c'est vraiment pas bien. Alors là, on peut dire qu'on est d'un bord ou d'un autre en politique, dire « on est bien / mal représenté », toujours est-il que c'est quand même le peuple suisse qui les a élus.
Chercheurs.. pouvoir pour faire ce qu'ils veulent... ????? [incompréhensible]
Ouais. Là encore la réponse elle est pas oui non, mais oui mais ! ça c'est vraiment la Suisse dans toute sa splendeur, quelque part elle a aussi un système dont je dirais que c'est un des moins pires. Il faut donc accepter les contraintes qui vont avec. Du moins il faut faire avec !
Pensez-vous à propos que les gens qui vont voter, mais qui ne s'intéressent pas spécialement au sujet sont capables de bien prendre position face au génie génétique ? Ont-ils un bagage scientifique suffisant ?
Je pense. On a fait semblant de croire que c'était énorme, ces connaissances, alors qu'en fait, non, pas vraiment. On n'a pas besoin de savoir ce que c'est qu'un gène, qu'une protéine, etc. pour comprendre ce que c'est que cette nouvelle technologie. En plus, on a bien vu pendant la campagne que c'était plutôt des arguments économiques, politiques, des enjeux presque planétaires plus que des connaissances scientifiques ; il en fallait un minimum, c'est vrai. En plus, là, ceux qui voulaient vraiment savoir, ils en ont eu l'occasion [rires]. Ils en même eu trop, il y a eu un phénomène de saturation, à la fin. Presque tous les journaux ont fait des suppléments, il y a eu des conférences partout, des labos portes ouvertes...
Aussi tous les acteurs du débat qui ont rédigé des brochures exposant leurs arguments...
Oui, et en plus je trouve intéressant de faire voter les gens là-dessus, car ceux qui veulent vraiment se faire une opinion, ça les forcent à acquérir des connaissances qu'ils n'auraient pas eu autrement. Moi qui m'intéresse à la diffusion de la culture scientifique, je trouve ça bien, car ça permet à nous de le faire.
Revenons sur la politique. A votre avis, en quoi le génie génétique est un débat politique ?
Un peu tous les éléments dont on a discuté
jusque là. Le fait qu'il y a des enjeux de
sociétés, quand on choisit ou non une technologie comme
ça ; que ce soit sur le plan de la médecine, car les
opposants ne refusaient pas de soigner les gens bien sûr, mais
en termes de choix de société c'est pas la
même chose de mettre toutes ces billes du côté du
génie génétique, et rien du côté de
la prévention. Parce qu'on sauvera pas plus de vie en
favorisant plus la prévention, même si on
développe moins le génie génétique, la
thérapie génique. Donc, ce sont des choix de
société, suivant le type de recherche que l'on
choisit, et par définition , c'est de la politique.
Pour ce qui est des plantes, il s'agit du fait qu'il y
ait des intérêts colossaux derrière la
maîtrise des semences - car c'est vraiment cela qui se
joue dans le génie génétique : qui
détiendra le monopole de vente des semences dans le dix
prochaines années ? - ; donc ça c'est de
la politique, c'est évident.
Puis le fait qu'on fasse voter les citoyens là-dessus,
c'est pas banal, c'est de la politique. Il y avait
aussi toute l'histoire des brevets qui était aussi
soumis au moment des votations ; c'est cent pour cent
politique : l'OMC, les échanges mondiaux, la
propriété intellectuel. Tout ça, pour moi,
c'est de la politique.
C'est donc parce qu'il y a des enjeux économiques.
Oui. Enjeux économiques et choix de société, au sens large. Qu'est-ce qu'on privilégie dans la vie des gens ? est-ce que c'est la haute technologie, des soins de haut vol, ou des soins préventifs, des vaccins.
Une question maintenant au sujet des problèmes d'éthique que pose le génie génétique. Pensez-vous que ces problèmes vont perdurer ou se fondre dans notre vie quotidienne ?
C'est très difficile à dire... ça dépend de tellement de facteurs, économiques... c'est difficile de savoir ce que sera notre société dans cinq ans. Le seul repère est historique, si on regarde tout ce qui se passait autour des premières greffes d'organes : c'était des débats de société phénoménaux, car ça touchait aussi à la mort, etc., c'était des débats sans fin, acharnés, on traitait les gens qui faisaient des greffes de cúur de fous furieux. Et maintenant... C'était le même débat pour l'artificiel dans les aliments, sur les additifs, sur les colorants. Moi je crois qu'on s'oriente de plus en plus vers une société où la qualité de vie aura beaucoup d'importance, mais aura-t-on suffisamment de "confort économique" pour se le permettre, parce que le biologique, etc. ça coûte plus cher. Pour l'instant, c'est plutôt la classe moyenne qui s'oriente vers le biologique ; encore une fois ça dépendra de tout le reste.
Maintenant, plus généralement, comment voyez-vous l'avenir du génie génétique (la recherche surtout) ?
Dans les dix prochaines années, ça va encore se développer à vitesse grand V ; tous les indicateurs montrent que tout le monde fonce là-dedans, autant le privé que le public. Mais on entend quand même des petites voix s'élever à gauche à droite, au niveau scientifique notamment, sur le fait qu'on perd de plus en plus, d'un point de vue global, que ce soit l'environnement, ... un individu n'est pas ses gènes. Il y a des gens qui essayent de rappeler ça: au niveau de l'être humain, il ne suffit pas de séquencer son génome pour comprendre comment ça marche. Je ne sais si c'est des voix qui vont réussir à persister; et c'est la même chose pour les aliments, c'est le même type de raisonnement. Ça c'est les jours où je suis optimiste ! Je crois que le génie génétique est vraiment devenu la technologie du siècle prochain.
Il y a un projet en cours de faire une « cartographie » totale du génome humain...
Oui, c'est déjà bien avancé d'ailleurs. Et puis on essaye de breveter les animaux, maintenant ; brevet sur le vivant, c'est un vaste sujet passionnant.
Pensez-vous qu'on va cloner des êtres vivants au siècle prochain ?
C'est déjà fait ! Au niveau cellulaire,
c'est déjà fait
Cela vous fait-il peur ?
Moi ça ne me plaît pas tellement ! Ça fait un peu penser à des mauvais scénarios de science-fiction... Ce qui me fait le plus peur là-dedans, c'est l'esprit dans lequel tout cela est fait : un esprit de compétition, un esprit où l'on fait de moins en moins cas de ce que peuvent ressentir ou penser les gens, même si ça peut effectivement déboucher sur des applications qui sauvent des vies. Si on le fait alors qu'en défendant, je ne vois pas l'intérêt, si ce n'est de satisfaire les goûts et le plaisir des chercheurs. Mais la science comme ça, ça ne m'intéresse pas vraiment !
Merci d'avoir répondu nos questions !
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