Dispositif médiatique et médiation : deux formes d'interactivité
(Jacquinot, 1994)

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Les formes d'interactivité
Dans cette optique, on questionnera volontiers la notion d'interactivité qui semble de l'ordre de la médiation. Le concept d'interactivité permet de rendre compte de situations extrêmes mais ne se laisse pas définir simplement : d'un côté, le lien social propre à l'interaction et de l’autre, le simple échange d'informations entre deux machines . D'après Sansot, l'interactivité semble désigner « plutôt une relation instrumentale entre l'homme et des machines asservies à sa demande d'information » . De son côté, l’AFNOR suggère que l’interactivité « qualifie les matériels, les programmes et les conditions d’exploitation qui permettent les actions réciproques en mode dialogué avec des utilisateurs ou en temps réels avec des appareils » . Enfin, pour Rabaté et Lauraire , il s’agit d’intervenir volontairement dans l’intention d’influer sur le déroulement de l’action.
L'interactivité est spécifiée plus explicitement comme le processus cyclique d’échange dialogué entre un pôle utilisateur et un pôle application par D. Paquelin  de la façon suivante.
 


Selon ces différentes définitions, l’interactivité serait donc de l'ordre de la relation homme/machine, la relation entre interlocuteurs– non co-présents – ressortissant alors de l'interaction ou encore de la médiation au sens où nous l’avons définie ci-dessus.
Cette distinction entre interactivité et interaction rappelle la distinction introduite par E. Barchechat et S. Pouts-Lajus  entre deux formes d'interactivité. Prenant le point de vue des concepteurs de logiciels, ces auteurs distinguent à travers le processus de communication homme machine, l'interactivité qui établit et gère le protocole de communication entre l'utilisateur et la machine – l'interactivité fonctionnelle – et celle qui concerne le protocole de communication entre l'utilisateur et l'auteur absent, mais présent à travers le logiciel – l’interactivité intentionnelle. En d’autres termes, cette première forme d'interactivité concerne la capacité qu'a l’utilisateur d'interagir avec la machine et le hardware qu'il utilise, de modifier donc l’état du système. Il s’agit notamment « des protocoles de communication liés à la recherche, à la restitution et à la capture d’information, c’est-à-dire à la logique et à l’ergonomie des échanges d’information : vitesse et facilité d’usage, « user-friendliness », périphérique de saisie, couleurs ; définition des écrans, etc. » . La seconde, l'interactivité dite intentionnelle, se caractérise par la reconstruction d'une situation d'interlocution entre un auteur physiquement absent mais néanmoins présent par l'empreinte qu'il laisse à travers le document médiatisé (livre, vidéo, logiciel, CD-rom, etc.). L'empreinte de l'auteur, la façon d'interpeller le destinataire, de s'adresser à lui et de l'impliquer constituent une forme de médiatisation de la relation essentielle. Cette première distinction est définie en référence au point de vue du concepteur. Pourtant, Jacquinot souligne qu’elle trouve son pendant, chez certains auteurs, du point de vue de l’utilisateur . Il s’agit des interactivités transitive et intransitive définies notamment par Chateau  dans le contexte de la réception télévisuelle. Pour cet auteur, l’interactivité transitive est celle par la quelle le téléspectateur – de façon plus générale l’utilisateur – en devenant acteur rétroagit avec le programme tandis que l’interactivité intransitive est celle qui permet au destinataire « de déployer une activité sensorielle, affective et intellectuelle, au service de l’interprétation du message ». Interactivités intentionnelle et intransitive restituent la dimension relationnelle, pluri– ou dialogique, – au sens que lui donnait Bakhtine – , de la communication.
Ces notions sont essentielles pour la compréhension des effets pragmatiques et cognitifs de tous médias, même des médias classiques pour lesquels la notion d’interactivité ne semble pas à première vue adaptée. Elle est en effet liée à celle de décentration dont Piaget faisait le moteur du développement cognitif autant que du développement moral : chaque point de vue doit se percevoir comme relatif et se reformuler par la prise en compte d'autres points de vue possibles. Le choc des pensées qu'il implique est à l'origine de la réflexion comme processus dynamique d'intégration des points de vue.
L'intérêt de la notion de décentration s'étend largement au-delà de la seule psychologie du développement. La notion de décentration – à laquelle il faut adjoindre son contraire, la centration – concerne l'ensemble des rapports sociaux dans la mesure où ceux-ci interagissent avec des représentations mentales – d'autrui ou du monde partagé. Dans ce contexte, ce qui retiendra surtout l'attention ici, c'est que cette notion psychologique et même socio-psychologique s'articule étroitement avec la sémiopragmatique. Celle-ci a montré que toute communication – orale, écrite, audiovisuelle – relève d'un dispositif d'énonciation mettant en place un ou plusieurs énonciateur(s) s'adressant à un ou plusieurs destinataire(s) au moyen de divers actes de discours de forces variables. Il en découle un système relationnel qui détermine largement les opérations de décentration possibles pour les destinataires. Cette remarque est capitale du point de vue éducatif (socio-éducatif). Pour prendre un exemple. La valeur éducative d'un film ou d'un reportage , dépend largement de sa capacité à provoquer la décentration du spectateur et celle-ci dépend fortement de son dispositif d'énonciation, de la manière dont, par exemple, celui-ci ramène tout ce qui est dit à la vision d'un point de vue unique s'exprimant dans un commentaire off (auquel cas il y aura centration) ou au contraire favorise la traversée de divers points de vue auquel cas on peut espérer une décentration). Autrement, dit un document pédagogique peut offrir une interaction fonctionnelle nulle tout en présentant un degré élevé d’interaction intentionnelle manifestée notamment dans les mécanismes de décentrations et de polyphonie.
Ces notions sont proches en fin de celle d’espace interactif développée par Pochon et Grossen dont la « caractéristique est de réunir indirectement une série d’acteurs sociaux ayant chacun son projet propre et tentant dans une certaine mesure, d’orienter la machine vers la réalisation de ce projet. Comprenant des éléments de nature psychologique et sociale, cet espace interactif est donc fondamentalement hétérogène et convoque dans un espace symbolique des acteurs qui ne sont pas nécessairement physiquement présents, mais dont les présupposés sont contenus dans la configuration finale de l’interface et imposent une perspective à l’utilisateur. »  Cette dernière définition insiste à nouveau sur les composantes sémiopragmatiques, sémiocognitives et socio-interactionnistes du dispositif technologique. Ces différentes caractéristiques sont synthétisées dans le schéma 3, ci-dessous.


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Daniel Peraya

Last Changed : 16-Nov-1998