Ce travail porte sur la perceptualisation de l'information dans les jeux vidéos. La littérature scientifique compte un grand nombre de travaux sur la visualisation d'information, mais relativement peu sur la perceptualisation d'information. Il s'agit donc dans en premier temps de définir quelques termes qui seront utilisés dans la suite de ce travail.
1. Définitions
Les éléments graphiques informatifs (EGI) :
Les éléments graphiques informatifs sont des parties d'un environnement virtuel bidimensionnel ou tridimensionnel qui contiennent une ou plusieurs informations vers lesquelles l'utilisateur est attiré et qui le renseignent sur le système.
Il s'agit de données qui informent, guident ou/et aident l'utilisateur dans sa progression au sein du programme informatique (le jeu) et qui sont intégrées dans l'environnement virtuel même. Autrement dit, ce sont des informations qui font partie intégrante du décor virtuel.La perceptualisation d'information :
Manière de coder l'information autrement que textuellement, en utilisant les canaux sensoriels kinesthésiques (relatif au sens du toucher) aussi bien que auditifs et visuels de l'utilisateurs.HUD :
" HUD stands for Heads Up Display. A Heads Up Display is generally a status or control readout which in the context of a VRML world remains motionless on the display world. The term originated from physical hardware used in military aircraft that displays readouts on the cockpit canopy, on the glass allowing pilots to not move their heads to look at display indicators. " (http://3dgraphics.about.com/compute/3dgraphics/library/glossary/bldef-hud.htm)La réalité virtuelle augmentée :
Enrichissement de la réalité traditionnelle (construction psychosociale basée sur l'interactivité en temps réel d'éléments multisensoriels) à l'aide de données multisensorielles élaborées ou fournies par un ordinateur (à l'aide de télésenseurs).
2. Inventaire des EGI de Black and White
Les EGI de Black and White ont différentes fonctionnalités qu'on peut classer en 5 catégories :
Les aides Les lancements d'animations (énigmes et déviation vers une autre île) Les avatars Les EGI statiques Les EGI dynamiques
Voici un tableau qui répertorie tous les éléments graphiques chargés d'informations que l'on trouve dans Black and White (le code des couleurs indique la catégorie d'EGI) :
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Les EGI de type tactile ne peuvent être perçu ou ressenti que si un périphérique spécifique est préalablement installé, à savoir une souris tactile qui permet de fournir des sensations haptiques appellées "retours de forces". [note 1]
3. Inventaire des EGI de Quake III
Le tableau ci-dessus constituait un inventaire de toutes les données informatives intégrées dans le graphisme de Black and White. Cet inventaire n'a d'intérêt que s'il est comparé à celui d'un autre jeu et c'est précisément l'objectif de ce travail. Afin de faire une étude comparative valide des informations contenues dans le graphisme des jeux, il a fallu analyser un jeu qui soit également en 3D. C'est le cas de Quake III.
Voici donc le même type de tableau que ci-dessus, mais inventoriant les EGI de Quake III :
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4. Les différentes fonctionnalités des EGI
Les EGI constituent donc une aide . Pas forcément, dans le sens d'un indice ou d'un conseil, mais dans le sens d'une information au sens général. Même s'ils ont des fonctionnalités différentes, ils servent toujours l'utilisateur et, en ce sens, représentent une aide. Certains favorisent le sentiment d'immersion, d'autres fournisent des indices, d'autres encore symbolisent, traduisent ou situent le comportement de l'utilisateur. Quoiqu'il en soit, il est intéressant d'observer les différences fondamentales entre ces fonctionnalités et de les expliquer.Voici les types de catégories mentionnées ci-dessus :
Les aides :
Elles interviennent généralement sur demande du joueur (par exemple en cliquant sur les panneaux avec un point d'interrogation dans Black and White) mais aussi lorsque celui-ci patauge et ne sait plus très bien quoi faire (le système le remarque par le nombre d'essai erreur et la répétition exagérée des mêmes shèmes de comportements). Dans ce cas elles apparaissent sous forme d'indice ou de suggestions.
Ces EGI contiennent généralement des informations indispensables pour l'aboutissement du jeu et qui sont pratiquement toujours inclues dans le manuel papier.
Les lancements d'animation :
Ces EGI informent qu'une animation va être engagée sur click de l'utilisateur. Ils sont très visibles et attirent l'attention du joueur. Les animations n'aident pas tellement l'utilisateur, mais lui proposent de résoudre une énigme qui lui apportera des ressources (miracles, objets, etc.) s'il la résoud ou alors le transporte dans un autre monde.
Dans le monde de Black and White, il s'agit le plus souvent de parchemins tournoyant en l'air. Lorsqu'il ne s'agit pas de parchemins, c'est un acteur (villageois qui ne sert qu'à lancer une animation).
Les avatars [note 2]:
Ils sont des représentations physiques du joueur et permettent de situer ce dernier dans l'environnement virtuel et de lui donner un corps pour interragir avec le monde environnant. En partie multi-utilisateurs, ils informent sur ce que l'autre joueur est en train de faire.
Chaque jeu a des avatars. Dans Black and White, les joueurs sont représentés par une couleur et une trace laissée par le déplacement du curseur et, dans Quake III par un personnage (forme humaine avec différents skin).
Les EGI statiques :
Ils s'agit de tous les éléments graphiques qui informent le joueur sur ce qu'il doit faire à l'endroit de cet EGI ou à ce moment-là du jeu. On les distingue des EGI dynamiques, en ce sens qu'ils n'évoluent pas en fonction du joueur, mais existent ou interviennent indépendamment de ce dernier. Ils ont pour avantage de fournir de précieux indices au joueur ou/et de favoriser le sentiment d'immersion.
Les EGI dynamiques :
Ils informent le joueur sur sa façon de jouer. Ils sont donc dépendant des actions du joueur et évoluent dans son sens. Ils sont, pour la plupart, le reflet de la position du joueur par rapport aux autres joueurs. Ils affichent également les statistiques du joueur.
Dans la plupart des jeux, les EGI dynamiques s'affichent sur le HUD. Autrement dit, il ne sont pas intégrés dans le décor du jeu. L'originalité de jeux comme Black and White et la différence avec d'autres jeux pour PC se situe dans le fait qu'ils sont totalement intégrés dans le décor du jeu et non dans le HUD comme c'est souvent le cas.
5. Le fonctionnement des EGI
Les EGI sont des éléments du décor virtuel. Ce sont des parties du graphisme qui ont une valeur informative. Cela peut être un objet, une tâche sur le sol, une lumière, bref un pattern qui attire l'attention du joueur. Ce qui est intéressant dans cette manière de représenter l'information, c'est le fait que cette dernière n'a pas l'aspect rébarbatif d'une donnée textuelle, puisqu'elle est un élément du décor.
Cependant pour qu'un EGI soit intelligible, il faut deux composantes :
- qu'il soit perçu
- qu'il soit suffisamment éloquent, c'est-à-dire qu'il soit représenté dans un format compréhensible pour le spectateur de l'environnement virtuel
5.1. La perception des EGI
Selon le modèle cognitif ICS (Interacting Cognitive Subsystems) [note 3], les sous-systèmes perceptifs actifs dans la perception d'un environnement virtuel sont les suivants :
- sous-système visuel
- sous-système acoustique
- sous-système état physique
D'après ce modèle, les sous-systèmes perceptifs acquièrent l'information en provenance de l'environnement ou du corps. Les sous-systèmes centraux réalisent des transformations de l'information acquise. Ces sous-systèmes sont au coeur des processus d'interprétation et de compréhension, ainsi que des mécanismes du raisonnement. Il ne s'agit pas ici de rentrer dans les détails du traitement de l'information, mais de voir comment procèdent les EGI pour attirer l'attention de l'utilisateur.
Il s'agit d'étudier le processus de détection et de description d'un objet dans une scène 3D, à la lumière de la psychologie cognitive et des modèles connexionnistes.
Les recherches sur la perception visuelle dans le domaine de la psychologie cognitive nous enseignent qu'un objet est perçu lorsqu'il se détache de son fond. A contrario, un objet est invisible lorsqu'il ressemble, par sa forme, par sa couleur, par texture à son arrière-plan. C'est le principe du camouflage. En ce qui concerne la présente étude, les EGI ne doivent pas seulement être visible, mais en plus, attirer le regard du joueur.
Voici ci-dessous les principales techniques utilisées par les fabriquants de jeux vidéos pour représenter ces informations, techniques basées sur les théories psycho-cognitivistes :
L'effet de contour
Dans le domaine visuel, l'effet de contour consiste en des phénomènes apparaissant lors du passage d'une zone d'une certaine luminosité à une zone d'une luminosité différente. L'effet de contour est illustré par les "bandes de Mach" :
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Une bande paraît plus claire aux abords d'une bande de luminosité moindre et plus foncée à la proximité d'une bande plus claire. Les peintres soulignaient le contour par le rajout d'un trait plus clair et les graphistes des interfaces de jeux vidéos font exactement pareils aujourd'hui. Ils jouent sur les différences de luminosité pour souligner les contours d'un objet. Par exemple, dans Black and White, les tâches sur le sol se perçoivent par leur différence de luminosité avec les zones avoisinantes et le joueur comprend qu'une maison devrait aller à cet endroit en faisant une mise en correspondance de la forme de la tâche avec la forme de la surface d'une maison visualisée préalablement.Notons que les systèmes de vision numérique procèdent de la même manière, comme le font remarquer Mokhtari et Bergevin : "Dans le contexte d'une application de détection et de description d'objets 3D, la perception visuelle d'une scène se matérialise en pratique par la production d'une description de celle-ci selon les caractéristiques de forme géométrique des objets présents. La première phase du module de perception, qui en comprend trois, consiste à extraire l'information structurelle de base d'une image 2D à niveaux de gris. Celle-ci représente une scène encombrée, composée d'objets 3D, généralement opaques, en occlusion ou non. Cette première phase est divisée en trois étapes: (i) détection des arêtes selon l'opérateur de Canny ; (ii) les contours ouverts et fermés pouvant correspondre aux frontières des objets sont identifiés dans l'image d'arêtes selon une méthode de suivi de contours débutant aux points de jonction et aux extrémités ; et, (iii) segmentation/approximation robuste descontours/courbes en segments à courbure constante (segment de droite, arc de cercle)." [note 4]
Le mouvement
Des expériences (Sekuler, 1975) ont montré que l'oeil humain était sensible au changement de direction et de vitesse d'un stimulus visuel. En effet, il existe dans la rétine des récepteurs spécifiques à l'orientation, pouvant détecter le sens (gauche ou droite) du déplacement d'un stimulus et des récepteurs spécifiques à la vitesse. Autrement dit, le fait de changer la direction d'un mouvement ou de faire varier sa vitesse excite des cellules et mobilisent l'attention de l'individu.
Dans Black and White et dans Quake III, les items (parchemins dans Black and White ou munitions dans Quake) bougent ou clignotent pour attirer le joueur.L'effet de proximité
Voici un exemple simplifié de cas où l'oeil regroupe des items proches entre eux et perçoit des colonnes de points (trois colonnes de 2 et une colonne de 1) :
L'effet de proximité fait partie des phénomènes de structuration ou de groupement perceptif. Ce phénomènes se retrouvent aussi bien dans la perception visuelle que dans la perception auditive ou tactile. L'effet de groupement par proximité, dans le domaine de la perception visuelle, consiste en un rapprochement d'items différents simplement parce qu'ils ont, entre eux, une distance spatiale plus ou moins proche par rapport à d'autres items plus éloignés.
A contrario, un item qui est distant d'autres items se perçoit en tant qu'entité et, par conséquent, se détache du reste. C'est le cas, par exemple, des distributeurs de miracles ou les forêts dans Black and White qui sont isolés par rapport aux autres éléments du décor.
L'effet de similarité
Voici un exemple simplifié où l'effet de similarité consiste à voir deux groupes de pastilles noires et deux de pastilles blanches, car l'oeil regroupe les pastilles selon leur similarité de couleur :
Le groupement perceptif par similarité consiste à regrouper des éléments qui sont semblables, au niveau de la forme, de la couleur, ou de la fréquence au niveau de la perception auditive.
De même que ci-dessus, l'inverse est aussi vrai, c'est-à-dire qu'un stimulus qui n'a pas les mêmes propriétés et la même apparence que d'autres stimuli se perçoit davantage puisqu'il se démarque du reste.
En résumé, pour attirer l'attention du joueur sur un EGI, les infographistes utilisent différentes techniques, comme le contraste de couleur et de luminosité, le mouvement, l'isolement d'un EGI par rapport au reste du décor virtuel, et bien d'autres techniques calquées sur les théories de la perception humaine.
Toutes ces caractéristiques de la perception humaine sont exploitées au maximum dans les jeux vidéos pour guider le joueur dans l'environnement du jeu. Mais il faut garder à l'esprit que les EGI ne sont pas présent uniquement dans le but d'aider le joueur à jouer, mais aussi pour que le monde virtuel lui semble le plus réel possible. On appelle cela le sentiment d'immersion, c'est-à-dire la faculté de se mettre dans la peau du personnage du jeu.
Remarquons encore qu'il a surtout été question jusqu'ici de perception visuelle, mais que les EGI de type acoustique ou tactile existe et sont également très importants et bien utilisés pour représenter de l'information ou pour favoriser le sentiment d'immersion.
5.2. La représentation des EGI
Pour qu'un EGI ait une valeur informative, il ne suffit pas qu'il soit perçu. Encore faut-il qu'il soit compris, c'est-à-dire que l'information qu'il véhicule possède une sémantique intrinsèque et collective, c'est-à-dire universelle. Si elle ne l'est pas, une explication doit être fournie à l'utilisateur sur la codification de l'élément graphique dans le manuel papier ou le tutoriel du jeu.
Par exemple, les chiffres jaunes qui s'envolent au-dessus de la tête des villageois, dans le jeu Black and White, n'ont pas de sémantique intrinsèque outre le fait de signifier les dix signes de la numérotation usuelle, c'est-à-dire d'être des chiffres. C'est le manuel papier livré avec le jeu qui informera le joueur que ces chiffres représentent la croyance acquise par le villageois au-dessus duquel ces chiffres s'envolent.
Il en va de même pour les items en forme de cube, dans Quake III, pour lesquels l'iconographie n'est pas suffisamment évidente pour comprendre intuitivement qu'il s'agit de "recharge de munitions".Dans l'intérêt de cette étude, il reste maintenant à comparer le fonctionnement et les fonctionnalités des EGI de Black and White et de Quake III, en se basant sur les deux tableaux ci-dessus : l'inventaire des EGI de Black and White et l'inventaire des EGI de Quake III
6. Comparaison entre les EGI de Black and White et de Quake III
Si l'on compare les deux tableaux inventoriant les EGI des jeux mentionnés ci-dessus, on remarque d'emblée que la colonne de droite, consacrée aux EGI de types tactiles, est vide pour le jeu Quake III. En effet, ce jeu ne permet pas de brancher sur l'ordinateur une souris tactile et de percevoir des informations tactilement. Pourtant, cette technologie n'est pas uniquement un gadget ou un luxe, mais permet, d'une part, d'augmenter le sentiment d'immersion et, d'autre part, de représenter des informations autrement que visuellement ou auditivement. Les EGI tactiles sont, en outre, un très efficace moyen pour attirer l'attention du joueur sur un objet virtuel, lorsqu'il passe la souris sur cet objet et qu'il ressent une vibration. D'ailleurs, certains sites Internet utilisent cette technique pour les utilisateurs qui possèdent une souris tactile, ce qui permet, par exemple, de faire vibrer la souris lorsque l'utilisateur passe le curseur sur un lien.
Ce qui frappe également dans la comparaison systématique des deux tableaux, c'est l'absence des EGI informant sur le lancement d'une animation dans Quake III. Cela n'est pas forcément une lacune, car, outre le fait de rendre le jeu plus attractif et "plus joli", ce type d'EGI n'a pas vraiment d'utilité empirique. Les lancements d'animation contribuent simplement à alimenter le scénario et à contextualiser le jeu dans une histoire qui fait sens.
La grande force de Black and White se situe au niveau des EGI dynamiques. En effet, ceux-là sont proportionnellement plus nombreux dans le jeu de Lionhead que dans Quake III. Autrement dit, le joueur est continuellement informé sur sa façon de jouer, sur son état, sur sa position par rapport aux autres joueurs et ces informations sont intégrées de manière dynamique dans le décor virtuel. Dans Quake III, ces informations sur le positionnement du joueur (le stock de munition, l'état de santé, l'arme sélectionnée, etc.) sont bien sûr présentes, mais sont contenues dans le Heads Up Display (HUD). Aussi est-il très difficile, dans le cadre de ce travail, de déterminer lequel de ces deux modes d'affichage de l'information apporte les meilleures scores de rétention et d'assimilation des données. En effet, cette recherche n'est pas expérimentale, mais purement théorique, et répondre à la question posée ci-dessus nécessiterait de mettre sur pied une expériences et de tester ces deux modes d'affichage. Cependant, on peut penser, a priori, que l'information est davantage lisible lorsqu'elle est affichée sur le HUD comme dans Quake III que lorsqu'elle est intégrée (cachée ?) dans le décor virtuel comme dans Black and White. Par contre, il est possible que le sentiment d'immersion soit plus fort lorsque l'information ne se superpositionne pas en 2D à l'environnement virtuel 3D comme c'est le cas dans Quake III. Encore que cela reste à prouver. Telle est l'hypothèse qui peut être posée pour une future recherche.