Chapitre 2 : cadre théorique
2.1 Un champ encore peu exploré...
Nous avions pensé dresser un cadre théorique conséquent à partir des ressources récoltées sur Internet ou dans des revues, mais la maigreur de celles-ci nous a obligé à revoir à la baisse nos ambitions. En effet, nous n'avons trouvé aucun document traitant spécifiquement des tutoriels de jeux informatiques. Nos recherches nous faisaient soit aboutir directement sur un tutoriel consacré à l'apprentissage d'un jeux, ou alors sur des tutoriels expliquant l'utilisation d'outils de type bureautique.
Nous avons donc élargi notre angle de recherche pour nous centrer sur les systèmes d'aides en général et plus spécifiquement ceux en ligne. Nous avons trouvé quelques documents intéressants, notamment ceux du professeur Mendelsohn, qui a beaucoup travaillé dans ce domaine. Cela nous a également permis d'éviter de nous focaliser uniquement sur les jeux informatiques, et de toujours garder présent à l'esprit le but principal de cette recherche qui est de déterminer quels éléments intéressants sont transférables des jeux informatiques dans le monde de l'éducation.
Ce modeste cadre théorique sur les systèmes d'aide nous permet donc de placer un certain nombre de points de repères qui serviront d'assise à notre discussion.
2.2 Les systèmes d'aide en ligne
2.2.1 objectifs génériques
Les sytèmes d'aides en ligne poursuivent plusieurs objectifs, dont les principaux sont:
- faire découvrir le système: avec notamment les messages de bienvenue, les conseils du jour, les astuces, les didacticiels (démonstrations, simulations), les bulles d'aide et les assistants conseil.
- assister l'utilisateur lors de la réalisation d'une tâche: avec les assistants (fonction de conseil), les menus et les barres d'outils contextuels, les raccourcis clavier, les diverses informations fournies par le système (position du curseur, numéro de la page actuelle, statistiques diverses, etc.), la mise en valeur d'éléments (surlignage, marquage), les outils de recherche et les opérations automatisables (insertions, chercher/remplacer).
- prévenir et remédier aux erreurs des utilisateurs: avec les aperçus avant l'application d'une commande (impression), les menus grisés, les messages d'erreur, les avertissements, la touche annuler (Ctrl-z) et la touche répéter (Ctrl-y).
- informer l'utilisateur sur les opérations du système: avec les avertissements, les boîtes de dialogue, les représentations d'état et les animations.
- fournir des connaissances de référence: avec les rubriques d'aide (hypertexte), l'aide intuitive, l'index, les curseurs d'aide, les outils d'assistance à distance et les hot-lines.
- adapter le système à l'utilisateur: avec les macromondes, les barres d'outils, les raccourcis clavier, les annotations, les notes, les commentaires, la personnalisation des options par défaut ou de l'interface et les modèles (style).
2.2.2 deux logiques principales
Les systèmes d'aide peuvent être classés selon qu'ils suivent une logique de l'utilisation ou une logique du fonctionnement.
- la logique de l'utilisation (procédural): elle est destinée à assister l'utilisateur dans la réalisation d'une tâche particulière. Les aides suivant cette logique présentent la suite des actions à exécuter pour effectuer une tâche.
- la logique du fonctionnement (savoir-faire): elle est destinée à informer l'utilisateur sur les composantes d'un dispositif et sur les fonctions disponibles. Ces aides sont structurées comme les classes logiques piagétiennes, indépendamment d'une configuration particulière du réel (réalisation d'une tâche) et indépendamment d'une structure de but.
2.2.3 deux concepts-clés
On pourrait croire que ces concepts n'ont que peu à voir avec notre problématique. Pourtant, tout système d'aide en ligne repose sur les postulats de l'un ou l'autre de ces concepts. Nous y reviendrons dans la discussion.
- le tutorat: le tutorat est une méthode d'enseignement dans laquelle un apprenant reçoit une instruction individualisée et personnalisée. Le tutorat consiste à suivre pas à pas l'apprenant dans sa démarche de résolution de problème et à intervenir lorsqu'il se trompe.
- le guidage: le guidage permet d'intervenir dans un apprentissage en préservant l'indépendance de l'apprenant. Selon Wenger, la tâche d'un guide est de rendre attentif l'apprenant aux possibilités d'apprentissage contenues dans une tâche et de transformer un échec en une expérience enrichissante.
2.2.3 deux modèles de l'apprentissage
Les deux modèles visent à améliorer l'enseignement et l'apprentissage et poursuivent donc des buts similaires à ceux développés par les systèmes d'aide. Ils sont complémentaires dans le sens où le second propose d'intégrer certains principes d'origine constructivistes dans la pratique de l'enseignement basé, le plus souvent, sur des principes instructionnistes.
- l'instructionnisme: l'instructionnisme est un courant qui a pour objet d'étude l'amélioration de l'enseignement d'un point de vue essentiellement "technique", c'est-à-dire sans prise en compte des spécificités des différents apprenants.
- le constructionnisme: le courant constructionniste repose sur cinq principes:
- augmenter l'autonomie de l'apprenant: il s'agit notamment de mettre en valeur le côté affectif de l'apprentissage, de fournir un enseignement qui soit pertinent pour l'élève dans sa situation personnelle et de mieux équilibrer l'autonomie de l'apprenant face aux contrôle exercé par l'enseignant.
- favoriser la collaboration: la collaboration entre apprenants sur une question précise favorise la confrontation des points de vue et la mise en parallèle de perspectives multiples en vue de la résolution d'un problème donné.
- apprentissage contextualisé: le contenu de l'apprentissage doit pouvoir se rattacher à la réalité vécue par les apprenants.
- prise de responsabilité de l'apprenant: l'objectif visé est ici de parvenir à rendre les apprenants le plus indépendants possible dans la gestion de l'acquisition des connaissances.
- exploitation stratégique des erreurs: utilisation des erreurs commises comme des opportunités permettant d'augmenter la motivation dans le cadre d'une résolution de problème en tentant de comprendre pourquoi la stratégie utilisée ne fonctionne pas.
Chapitre 3 : présentation des résultats
3.1 Questionnaires
Comme nous l'avons souligné ci-dessus, la participation de nos camarades n'a été que partielle pour des raisons que nous n'allons reprendre dans ce contexte. Concentrons-nous à mettre en évidence les démarches de nos collègues dans l'approche de leur jeu:
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Première étape:
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Les joueurs de Black and White, Baldur's Gate ont commencé par la lecture du tutoriel papier;
Le joueur de Gunman Chronicles a commencé par le didacticiel on-line (obligatoire) intégré dans le jeu;
Celui de Ultima on-line a commencé à créer et à personnaliser son avatar (sexe, profession, caractéristiques physiques,...). Selon lui, le remplissage du questionnaire pour obtenir son login et mot de passe est à la fois long et compliqué.
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Ils ont ensuite suivi le didacticiel on-line qui était obligatoire (Black and White) ou à option (Baldur's Gate); notons que le joueur ayant joué au deuxième jeu n'a pas terminé le tutoriel pour des raisons qui seront décrites dans la partie des entretiens;
Celui de Gunman Chronicles a commencé à jouer la partie;
Pour Ultima on-line, une fois dans le jeu, le joueur a commencé à suivre un guide (observation et ensuite imitation). Il est selon lui efficace pour les notions de base mais trop minimaliste. Il aurait aimé trouver en plus des explications indiquant les objectifs du jeu ainsi que les explications pour gagner de l'argent et faire des rencontres. L'organisation sociale n'est pas bien expliquée.
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Le joueur de Baldur's Gate a recherché de l'information supplémentaire sur des sites Web. Les deux ont ensuite commencé à jouer une partie;
(Ultima on-line) Rencontres avec des joueurs humains, observation et imitation. Il a effectué un apprentissage collaboratif à distance. Le seul problème de cette démarche est qu'elle se déroulait tout en anglais. De plus, il fallait respecter les mêmes règles et normes sociales que celles de la réalité. Plus on passe de temps dans le jeu, et plus on a la possibilité de faire grandir et évoluer son propre personnage d'où l'importance de l'expérience et des échanges avec les autres joueurs. Ceci pose un gros problème de dépendance au jeu (souvent entre 10 et 48 heures de jeu d'affilée). Selon lui, le type d'environnement préfigure les futurs campus de formation à distance.
Remarques: le didacticiel on-line de Baldur's Gate doit être effectué d'un coup et ne peut être sauvegardé, raison par laquelle notre sujet ne l'a pas terminé. Pour Black and White, le tutoriel papier ne donne qu'une vague idée des possibilités offertes, alors que le didacticiel on-line permet de recadrer les informations contenues dans le support papier pour les appliquer ensuite pendant le jeu. Notre joueur nous indique que grâce au didacticiel on-line on apprend en jouant et plus on avance dans sa découverte et plus on a des options de jeu. Mais, il estime que ce didacticiel on-line guide trop le joueur et qu'au bout d'un moment, il devient redondant et ne permet pas de sauter les différentes étapes.
3.2 Entretiens
Les entretiens avaient pour but de peaufiner le panorama de l'aide apportée au joueur dès son entrée dans un jeu.
Nous en avons à priori repérés trois : les tutoriels "papier", qui correspondent à tous les guides, manuels ou tutoriels accompagnant un jeu; les tutoriels "on-line" qui sont en fait des didacticiels prévus pour faciliter la prise en main du jeu en plongeant directement le joueur dans une ambiance comparable à celle présente dans le jeu; les diverses autres types d'aide, allant du conseil d'un joueur plus expérimenté, au recours à des sites spécialisés.
Afin d'affiner notre recherche d'éléments qui pourraient être transférés à des domaines autres que les jeux informatiques, nous avons choisi d'interviewer certains de nos collègues stafiens qui ont accepté de nous accorder leur précieux temps. Nous soulignons encore une fois que seulement une partie de nos camarades a accepté d'être interviewée ce qui a limité notre champ d'action et d'analyse.
Comme nous le verrons plus bas, les entretiens nous ont permis d'ajouter d'autres aides s'ajoutant aux trois définies à priori: les sites internet spécialisés et les autres joueurs.
Le but des entretiens, que nous avons brièvement retranscrits en annexe, était principalement d'explorer d'autres facettes des jeux qui pourraient nous être utiles par la suite afin de dresser une typologie d'aides en ligne, de didacticiels intégrés dans les jeux et enfin de tutoriels en format papier. De plus, les entretiens se déroulaient dans des conditions réelles, c'est-à-dire que nos sujets étaient placés devant le jeu et répondaient à nos questions en jouant.
Les entretiens nous ont en outre permis de voir comment étaient implémentés ces trois systèmes d'aide et d'interroger nos joueurs quant à leur appréciation générale des systèmes d'aides.
3.3 Typologie des tutoriels
D'autres collègues de la promotion Gina ont listé dans leur recherche tous les aides présentes dans un jeu. Mais, n'oublions pas que l'un de nos buts consistait à déterminer les éléments susceptibles d'influencer positivement l'apprentissage d'un jeu. Pour cette raison, nous n'allons pas dresser une typologie de toutes les aides présentes, mais seulement de celles qui d'après nos sujets sont importantes et les ont aidés à comprendre de manière significative leur jeu. Nous nous sommes aussi plongés dans la découverte de différents jeux afin de compléter notre analyse.
3.3.1 les tutoriels papiers
Il semble admis dans la communauté des jeux informatiques que le tutoriel "papier" contient quasiment toutes les informations relatives au jeu, sans pour autant tout expliquer, comme par exemple, les descriptions précises des "chemins" à parcourir pour progresser, résoudre une quête ou arriver à la solution.
Nous avons constaté que la majorité des sujets ont commencé à lire les manuels en format papier avant de jouer. Mais, ils soulignent qu'ils sont souvent inutiles, car d'une part l'existence d'un didacticiel on-line permet d'aborder le jeu dans des parties en mode débutant, d'autre part parce qu'il sont difficiles à comprendre si on n'a pas une première idée de ce à quoi on peut s'attendre une fois dans le jeu.
Nous avons aussi remarqué que certains jeux fournissent des tutoriels papier dont le nombre de pages est trop conséquent, et dont la lecture démotive systématiquement le joueur.
Mais le tutoriel papier offre principalement deux fonctionnalités que le didacticiel on-line n'a pas: d'un côté il permet d'obtenir des informations supplémentaires permettant de jouer à des niveaux de difficultés supérieures, et de l'autre côté il permet à tout moment de retrouver des fonctionnalités oubliées.
Notons enfin que les jeux style doom-like se focalisent plutôt dans la description des armes et mettent à disposition une brève liste sur les commandes disponibles. Les joueurs de ce genre de jeux nous indiquent qu'une fois avoir effectué le "setup" des commandes, on peut commencer directement à jouer. L'apprentissage n'est donc pas trop compliqué, c'est principalement en jouant qu'on apprend à jouer. Les tutoriels papiers sont pour ce jeu presque inutiles car ils n'apportent que des informations qui ne sont pas nécessaires pendant le jeu (par exemple, l'histoire de Quake).
Pour résumer les apports définis par nos sujets, les tutoriels papier devraient: être faciles et agréables à lire, proposer un bon résumé des commandes, être facilement compréhensibles, ...
Nous avons analysé plusieurs manuels papier de différents jeux: Black and White (God Games), Quake III et Gunman Chronichles (first person shooter) et Baldur's Gate (jeu de rôle). Nous avons cherché à savoir comment les auteurs de ces jeux ont structuré le manuel. Voici les composantes des tutoriels que nous avons mis en évidence:
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Avertissements divers avant toute utilsation du jeu (épilepsie, enfants...)
Histoire du jeu
Installation et configuration du jeu (en single- ou multi- player)
Introduction
Usage du manuel
Manipulations d'objets, d'armes et d'artefacts magiques - déplacement -
Les autres personnages présents dans le jeu
Les informations à l'écran, comment utiliser l'interface du jeu
Types de jeux
Explication des différents niveaux de jeu
Raccourcis clavier
Description de l'environnement
Tableau récapitulatif du jeu
Aides en ligne (téléphone ou Internet)
3.3.2 Les didacticiels on-line
Les didacticiels on-line sont devenus de plus en plus fréquents dans les jeux. Nous pouvons imaginer que cette raison dérive du fait que par rapport au passé, le support de stockage des données (cd rom) favorise l'implémentation de nouvelles fonctionnalités offertes au public. Mais, nous avons été tout de suite frappés par le fait que les concepteurs, dans la majorité des jeux qui proposent un didacticiel on-line d'entrée, obligent les joueurs à le passer obligatoirement. Imaginons qu'un joueur ait dans le passé déjà joué à ce jeu. Ensuite il le désinstalle sans sauvegarder ailleurs ses parties. La prochaine fois qu'il joue au jeu il sera contraint de le passer à nouveau.
D'après nos entretiens nous avons remarqué que de manière générale ils sont acceptés favorablement de la part de nos interviewés, car ils sont directement plongés dans le jeu en ne passant pas forcément par un tutoriel papier. Le joueur peut tout de suite avoir une prise en main guidée du jeu, mais cela n'a pas que des conséquences positives. En effet, après coup nous avons supposé que les inconvénients sont dus justement à leur aspect novateur et à leur "jeunesse". Voici brièvement quelques aspects négatifs que nous avons retenus (attention, cette liste ne se réfère pas à tous les jeux, il s'agit au contraire d'une liste récoltant toutes les critiques rencontrées lors de nos entretiens) :
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Obligatoire;
On ne peut pas sauvegarder le tutoriel;
Trop long;
Trop basique, il ne permet pas de jouer à des niveaux de difficulté supérieurs;
Les stratégies à adopter pendant le jeu ne sont pas expliquées, c'est le joueur qui devra les trouver par la suite;
Parfois il est répétitif, redondant;
Pour jouer et comprendre le jeu il faut le faire, car le tutoriel papier est presque inaccessible;
Dans certains cas, si on arrive pas à résoudre la tâche demandée, le didacticiel on-line ne change pas le registre de la question demandée, il n'essaye pas de reformuler la question en donnant plus d'indices au joueur pour répondre;
Mais de l'autre côté, les éléments positifs sont supérieurs aux inconvénients. Outre le fait de pouvoir jouer tout de suite au jeu, nos sujets nous ont dit que normalement la prise en main et la compréhension du jeu est très facile, qu'il est de grande utilité, qu'il explique l'histoire et le contexte du jeu, qu'il n'est pas une simple copie du tutoriel papier, qu'il est complet, que l'apprentissage est ludique, ...
D'après les opinions de nos utilisateurs, nous pensons qu'il est inutile de chercher à savoir quel tutoriel est mieux que l'autre. Les deux supports devraient être complémentaires, les deux ayant des qualités différentes quant à leurs buts et leurs utilisations. Le didacticiel on-line devrait être utilisé comme une introduction au jeu mais devrait aussi donner des informations plus complexes en ne se limitant pas à expliquer que les mouvements ou la manipulation des objets. Quant au tutoriel papier, nous imaginons que sa fonction devrait être celle d'être un support utilisé plutôt pendant les phases du jeu, permettant au joueur de trouver vite des informations ponctuelles. De plus, un petit résumé des commandes principales devrait être présent (intégré ou séparé) et toujours à disposition du joueur.
3.3.3 Les diverses aides on-line
Nous avons répertoiré un certain nombre d'aides présentes dans l'interface du jeu et surtout les aides que les joueurs utilisent le plus souvent en fonction de leur véritable utilité
Nos sujets nous ont indiqué dans la plupart des cas que les aides sont implémentées sous une forme de bouton, en voici quelques unes:
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Informations, astuces et conseils (textuels) sur les stratégies à adopter pour gagner la partie;
Objectifs à atteindre pour gagner la partie;
Dans une sorte de temple, le joueur peut accéder à tous les étapes qu'il a franchi en regardant l'historique de son parcours;
D'autres aides sont implémentés sous forme d'info-bulles:
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Informations sur les personnages ou les objets au passage de la souris;
Informations concernant la nourriture, le bois, la fonction des personnages dans le jeu et dans le village, statistiques du jeu, miracles ...
Niveau de santé, nombre de balles disponibles, etc.
Informations sur les objets en possession et leur possibilités d'utilisation;
Dans certains cas, un personnage-guide parcourt le jeu à côté du joueur en l'aidant ponctuellement à résoudre des problèmes et à le conseiller.
3.3.4 Les sites spécialisés
Nos joueurs n'ont pas trop recouru aux sites spécialisés, sauf s'ils étaient vraiment coincés dans le jeu et n'arrivaient plus à s'en sortir. Notons que d'après notre expérience, les sites spécialisés offrent de nombreux supports pour les joueurs: forum de discussions, tips and triks (astuces), solutions de jeux, cheat codes, des petits patchs permettant au joueur d'avoir un pouvoir plus fort, etc.
3.3.5 Les collègues
Les collègues sont un recours lorsque les joueurs sont bloqués. Nos entretiens ont souligné que les joueurs estiment avoir appris en regardant les autres joueurs et ensuite à les imiter; dans certains cas, les parties en multi-joueurs ont permis d'apprendre en imitant et en posant directement des questions aux adversaires.
Chapitre 4 : discussion
4.1 Eléments transférables
Nous sommes conscients des limites de cette recherche qui, comme nous l'avons mentionné en introduction, nous obligent à livrer de modestes éléments d'analyse. Néanmoins, un certain nombre de points méritent d'être relevés.
- Diversité et complémentarité des systèmes d'aide
Nous avons pu constater en tant que joueurs et également lors des entretiens, que pour atteindre les buts fixés par un jeu, il est nécessaire de recourir et d'utiliser beaucoup d'aides différentes. Les jeux regorgent de possibilités très variés de résoudre des problèmes, qui vont de "comment je fais pour me déplacer", à "comment passer au niveau suivant". Ces différentes aides se complètent, chacune ayant sa fonction précise, sans pour autant que leur utilisation et leur fonction soient clairement expliquées au novice. Il serait donc intéressant de produire une sorte de méta-aide, qui organise l'ensemble des aides. Nous avons trouvé une réalisation intéressante dans Black and White qui se rapproche de cette idée. Il existe une sorte de centre d'aide (le Temple), intégré complètement au jeu dans lequel le "Dieu-Joueur" peut entrer et choisir une salle spécifique contenant des informations. - Le tutoriel version papier
Chaque jeu possède un tutoriel relativement épais contenant comme nous l'avons vu plus haut un nombre important d'informations. Ce genre d'aide existe bien entendu dans les dispositifs de type pédagogique, mais le format papier a des avantages évidents. Il peut être utilisé de manière synchrone ou asynchrone. Bien sûr, les dispositifs de type pédagogique peuvent proposer une information globale sous format PDF par exemple, mais celle-ci pourrait s'inspirer d'une part de la qualité graphique et rédactionnelle, et d'autre part de leur capacité d'intéresser et de plonger une personne dans un univers. Car un des défis d'un dispositif de type pédagogique serait peut-être celui-ci: être capable de générer un univers cohérent, peut-être moins complexe que celui de certains jeux, qui aurait le pouvoir de plonger l'apprenant dans un monde différent du monde réel, ayant ses propres règles et caractéristiques. Les entretiens nous ont démontré que les joueurs ont tellement intégré une nouvelle réalité qu'ils mettent du temps à nous expliquer le sens de certaines actions. Certaines réponses étaient même très claires: "il faut faire comme cela parce que ça marche comme cela dans ce jeu". Les joueurs vivent le temps de leur session de jeu à l'intérieur d'un nouvel univers et ont de la peine à expliquer le sens de leurs actions à des personnes qui ne connaissent pas le jeu.
Ce type d'aide répond plutôt à la logique du fonctionnement en fournissant les connaissances de référence pour un dispositif donné. On pourrait également mettre à disposition des utilisateurs un petit fascicule (imprimable) regroupant les principales commandes et explications. - Le didacticiel "on-line"
Cette sorte de tutoriel ne s'oppose pas à son "cousin" version papier, bien au contraire. Il peut même le compléter de manière efficace, comme dans le cas de Black and White. Là, l'apprenant est forcé de passer par le didacticiel avant de débuter le jeu. Ce dernier est très conséquent et est censé apprendre au joueur la totalité des fonctions du jeu. Le tutoriel version papier est alors utile pour apporter des compléments d'information au moment du jeu. Il a donc une fonction de support.
Dans les dispositifs de type pédagogique, le didacticiel on-line pourrait s'apparenter aux démos et autres visites guidées. Cependant, dans les jeux, le joueur a davantage de possibilité: il est relativement libre de visiter le monde comme il le désire, il peut interagir avec celui-ci, etc. Les démos et les visites guidés sont par définition très directives et ne laissent pratiquement pas de liberté à l'apprenant mis à part la répétition d'une tâche "pas à pas". Il y aurait là des pistes à explorer. La réaction des joueurs relative à la pertinence des didacticiels on-line est sans appel et très positive. Les raisons invoquées mettent l'accent sur le fait qu'un didacticiel plonge le joueur en situation "réelle" de jeu, qu'il lui présente des actions, des personnages et des interactions similaires à ceux qu'il sera amené à rencontrer, et qu'il lui laisse souvent une grande liberté de mouvement.
Ce type d'aide correspond quant à lui à une logique de l'utilisation, dépendant fortement d'une configuration particulière du réel, et d'une structure de but (le joueur doit en règle générale résoudre une énigme ou accomplir une mission). La situation d'apprentissage a ici un sens pour le joueur. - La fonction de guide et d'assistant conseil
Cette fonction répond au premier objectif générique.
Certains jeux, comme Black and White, Baldur's Gate (dans le didacticiel on-line), utilisent cette fonction. Dans Baldur's Gate, le joueur a à faire avec un guide de la même apparence que lui, comme un personnage supplémentaire. Celui-ci est assez directif et n'est utile que pour indiquer au novice les étapes qu'il faut parcourir. Par contre, dans Black and White, le guide joue un peu le rôle de l'ange et du diablotin. Ils apparaissent automatiquement pour distiller des conseils (nouvelle mission, stimulation, etc.), et comme nous l'avons vu plus haut, ils sont capables de changer de registre pour reformuler leurs questions.
Certaines applications utilisent déjà des sortes de guides. Le plus évolué nous semble être celui de Microsoft Word. Pourtant, il ne semble pas autant évolué que ceux rencontrés dans les jeux. La raison selon nous tient à une différence fondamentale dans la capacité d'accompagnement: dans une application, un guide peut orienter un apprenant sur la réalisation d'une ou de plusieurs tâches précises, mais il ne possède aucune information sur l'objet d'apprentissage en question, ni sur les objectifs que poursuit l'apprenant. Or dans les jeux, le guide sait exactement ce qu'est en train de réaliser le joueur, pourquoi il le fait, etc. Il a la vision du but final et pourra ainsi très bien orienter le joueur et surtout anticiper son raisonnement.
On pourrait dès lors imaginer des guides multiples dans les applications, chacun étant spécialisé dans une tâche précise et pouvant prendre complètement en main l'activité de l'apprenant. Il faudra en effet s'y prendre différemment si l'on désire par exemple apprendre à rédiger un CV à une personne de 14 ans qui cherche un travail pour l'été ou à une personne de 50 ans qui désire se réorienter professionnellement. La tâche est la même mais le contexte d'apprentissage et les buts diffèrent fondamentalement. Il y a donc toute une série de paramètres à prendre en compte (contextuels, culturels, affectifs) pour proposer une aide adéquate et pertinente.
C'est bien d'une sorte de tuteur virtuel dont il s'agit. Mais comment dépasser l'inévitable rigidité d'un tel système? Il faudra aussi s'interroger sur la forme d'un tel guide. Aura-t-il l'apparence d'un professeur, ce qui ne serait pas forcément très bon, car il recréerait une sorte de hiérarchie pédagogique à notre avis contre-productrice. Ou alors serait-il plus ou moins personnalisable par l'apprenant (apparence, fréquence d'apparition, manière d'interpeller, etc.). On pourrait étendre cette possibilité de paramétrage à tout le système, car le fait de pouvoir s'approprier un système constitue déjà en lui-même une aide, discrète mais efficace.
L'idéal serait donc de créer un guide usant autant du tutorat que du guidage, éléments qui pourraient également être paramétrables. On pourrait se référer aux travaux effectués dans le champ de l'ITS (Intelligent Tutoring Systems), consistant à mettre un tuteur artificiel à disposition de l'apprenant, étant capable de résoudre les mêmes problèmes que lui. - La collaboration
Les jeux que nous avons analysé étaient tous multi-players, ce qui par définition signifie que "l'autre" sous quelque forme qu'il se présente fait partie du jeu et est donc atteignable d'une manière ou d'une autre. Atteignable dans le sens qu'il peut devenir un partenaire. Un autre étudiant a travaillé spécifiquement sur le thème de l'awareness, c'est à dire quels sont les outils, qui dans les jeux permettent d'obtenir des informations sur les autres joueurs (localisation, présence, identité, activité...). Il est aisé de comprendre les liens entre "collaboration" et "systèmes d'aides". Ces différents outils, ces différentes possibilités de contacter l'autre (chat, forum, sons, bip, etc.) servent à augmenter le "team play", et sont extrêmement utiles pour la prise en main d'un jeu. Nous avons suivi la découverte du jeu Ultima on-line par un collègue et nous avons été conquis par le système collaboratif qui y règne. Tout d'abord, le jeu se déroule en réseau, ce qui signifie qu'autour du joueur, il y a une multitude d'autres joueurs qui "vivent" leur jeu. Notre collègue en a souvent arrêté plus d'un pour leur demander des conseils. Il s'est très vite fait enrôler dans un groupe, avec cérémonie d'intronisation à l'appui, etc. et a rapidement bénéficié de leurs connaissances.
Imaginons un dispositif de type pédagogique qui puisse proposer une collaboration qui dépasse ce qu'offre les chats et forums et atteigne le niveau d'Ultima on-line. Nous pensons que si le système se doit d'offrir différents types d'aides comme nous l'avons vu (tutoriels papiers, didacticiels on-line, etc.), la mise en valeur de l'apprentissage collaboratif constitue selon nous l'aide optimale.
Le diplôme STAF a d'ailleurs démontré qu'il existe une corrélation positive entre l'usage d'un outil de collaboration (Tecfamoo) et les performances scolaires (en règle générale). - La gestion des erreurs
Ce type d'aide est sans doute le plus difficile à implémenter, car comme nous l'avons déjà dit pour la fonction de guide, il est indispensable que le système connaisse avec précision les objectifs que poursuit l'apprenant pour anticiper ses actions et fournir des feedbacks formatifs de qualité.
Baldur's Gate propose des dialogues permettant d'avancer dans le jeu. Le joueur peut choisir une question parmi celles proposées. Cependant, s'il se trompe, il peut légèrement modifier le déroulement du jeu. Mais, nous avons remarqué qu'en fin de compte, le système amène le joueur à bien répondre, en reposant les mêmes questions jusqu'à ce qu'il réponde juste. Dans Black and White, si on oublie de faire quelque chose, de lire telle ou telle information, ou si l'on se trompe, le système représentera l'information un peu plus loin au joueur. Il garde donc en mémoire ce que le joueur a déjà réalisé et attend tout simplement l'occasion de représenter au joueur les éléments manquants à son parcours ou à sa connaissance. L'aide semble donc avoir une mémoire. De plus, ces informations sont présentées sans pour autant couper le rythme du jeu. Ainsi l'intervention ne réduit pas l'attrait de la tâche et laisse toujours au joueur le contrôle de l'activité. On pourrait imaginer des aides dans des dispositifs de type pédagogique qui sont capables de se souvenir de la manière de procéder de l'utilisateur et de garder un certain de paramètres en mémoire pour proposer une aide de plus en plus fine et adaptée à l'apprenant, à son expérience et à son évolution.
Un dispositif pédagogique pourrait donc fortement s'inspirer de ces concepts. Mais à l'image des petits panneaux contenant un point d'interrogation, présents dans Black and White, le système pourrait aller plus loin et intervenir quand l'apprenant est coincé ou ne progresse plus. Ainsi, selon Wenger, la tâche d'un guide est de rendre attentif l'apprenant aux possibilités d'apprentissage contenues dans une tâche et de transformer un échec en une expérience enrichissante.
Nous avons déjà parlé au point précédent de la collaboration entre joueurs (Ultima on-line) et par extension entre apprenants. Nous pensons que cet aspect est très important en ce qui concerne la gestion des erreurs. Les autres utilisateurs, surtout ceux plus avancés peuvent faire bénéficier les autres apprenants de leur expérience. En effet, existe-t-il une meilleure aide qu'un ancien novice devenu expert qui explique une notion qui lui a également posé problème quelques temps auparavant? Mais les novices ou les autres personnes de même niveau jouent également un rôle très important dans la recherche d'une solution en commun. Selon Medway, le relation tuteur-apprenant devrait être collaborative et agréable. En cela, le monde virtuel "Moo" en est une bonne illustration.